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Guerre en Ukraine : les trolls, la deuxième armée du patron de Wagner

Publié le 24 février 2023 à 15h27, mis à jour le 24 février 2023 à 16h31

Source : TF1 Info

La guerre que mène la Russie à l'Ukraine depuis un an se joue aussi sur le front de l'information.
Communication lissée, fake news et usines à trolls, la machine à propagande est infatigable.
Ce vendredi, l'équipe des Vérificateurs revient sur l'armée de désinformateurs menée par Evgueni Prigojine, le chef du groupe paramilitaire Wagner.

Il y a un an, Poutine n'a pas seulement lâché toute l'intensité de son armée sur son voisin ukrainien. Il a aussi activé l'intégralité de ses forces numériques sur le front de la désinformation. Depuis le début du conflit, le 24 février 2022, la fabrique à fausses informations tourne à plein régime, déversant quotidiennement le narratif du Kremlin sur les réseaux sociaux. Ce vendredi, TF1info revient sur l'activité de ce qu'il convient d'appeler les "usines à trolls".

Une armée nommée Cyber Front Z

Le phénomène n'est pas propre au conflit actuel. Mais lui permet de prospérer. Si la pratique est presque aussi vieille qu'Internet, décrite dès 2000 par la sociologue Anne Revillard, ce n'est que 15 ans après qu'est apparue l'expression "usine à trolls". On est alors déjà en Ukraine. Le New York Times rapporte comment cette méthode est utilisée de manière systématique par une structure centralisée pour diffuser des messages pro-russes après l'invasion de la Crimée.

Sept ans plus tard, rien n'a changé. Dès le mois de mars, un compte Telegram baptisé "Cyber Front Z" s'est approprié cette mission, relayant 24 heures sur 24 les positions du Kremlin. Le 1er février 2023, par exemple, on a découvert sur ce canal que l'Ukraine réclamerait désormais "le statut de puissance nucléaire". En réalité, les trolls pro-Russes ont complètement déformé les propos de l'ambassadeur ukrainien en Allemagne. Interrogé par la presse allemande sur les "garanties" que demanderait Kiev pour assurer sa sécurité une fois le conflit terminé, Oleksii Makeiev répondait que les différentes agressions russes prouvaient que "seule l'arme nucléaire peut sauver de l'attaque d'un tel agresseur". Le diplomate précisait avoir "lancé des discussions" avec les partenaires occidentaux sur le sujet, mais ne posséder "aucune suggestion toute faite à ce propos". 

Au-delà d'être une mine à fausses informations, ce canal propose à ses plus de 116.000 abonnés tout le lexique du parfait troll pro-russe. Joe Biden devient le "retraité", l'Ukraine est baptisée le "pays 404" - en référence au message d'erreur qui s'affiche lorsqu'un site internet n'existe pas - et ses habitants sont les "nazis" ou les "porcs". Un emoji représentant un clown accompagne les messages évoquant les dirigeants européens. 

Évidemment, cette usine à trolls ne se contente pas de diffuser des messages. Elle recrute. Soit en proposant des modes d'emplois destinés à tous les internautes qui souhaitent rejoindre leur "guerre de l’information". Soit en cherchant des profils très précis. De "commentateurs" à "spammeurs" en passant par des "analystes de contenus", tous les profils possèdent la même fiche de poste : "Lutter contre la junte de Kiev, soutenue par les puissances occidentales". Une mission payée "45.000 roubles par mois" (soit 640 euros) pour 200 commentaires par jour, selon l'enquête du média indépendant russe Fontanka.

Une véritable armada, formée et organisée. Qui fait de l'Ukraine la cible d'une "attaque numérique quasi-constante", pour reprendre l'expression utilisée par Google et Microsoft dans un très récent rapport. Les géants de l'informatique ont identifié trois acteurs principaux derrière ces actions, dont l'Internet Research Agency (IRA). Cette agence serait responsable à elle seule de la majorité des assauts informationnels, avec 814 attaques à son actif. Elle diffuse des contenus en russe, évidemment, mais aussi en arabe, en chinois et en français. C'est le seul acteur qui touche directement la France. 

L'ombre de Prigojine

Mais qui dirige ces soldats de l'ombre ? Nul autre qu'Evgueni Prigojine. Les liens entre le chef de la milice Wagner et l'Internet Research Agency ne fait en effet plus aucun doute. Dès 2019, le FBI avait largement documenté le rôle du chef d'entreprise dans "la ferme à trolls" de Saint-Pétersbourg. Une responsabilité que le chef de Wagner a désormais reconnue. Le 14 février dernier, le fondateur du groupe paramilitaire russe a avoué avoir créé et financé cette officine de propagande sur Internet.

Quant à son implication dans le canal Cyber Front Z ? Le "cuisinier de Poutine" continue à la nier. Mais plusieurs éléments prouvent qu'il s'agit bien d'une émanation de la galaxie Prigojine. En mai, les autorités britanniques "soupçonnaient" l'homme d'affaires d'être lié à cette "usine à trolls qui utilise Telegram pour recruter et coordonner activement de nouveaux militants". Ensuite, lorsque le groupe Meta a annoncé en août avoir démantelé une tentative d'influence pro-russe sur ses réseaux sociaux, l'entreprise précisait que le réseau avait été créé conjointement par Cyber Front Z et "des personnes associées dans le passé à l'Internet Research Agency (IRA)". Enfin, toujours dans sa communication du 14 février, le patron de Wagner a reconnu que le siège social du groupe Telegram se trouvait dans ses bureaux à Saint-Pétersbourg, avant d'assurer qu'il n'existerait pas d'autres financements. Toujours est-il que ce canal partage frénétiquement chaque communication du patron de Wagner. Et va même parfois plus loin. C'est par exemple ce groupe qu'Igor Yesiliev, l'avocat de l'entité, avait utilisé pour diffuser la mise en scène sordide dans laquelle il remettait une malle avec un marteau ensanglanté à destination du Parlement européen.

REPORTAGE - À Marioupol, la propagande russe au milieu des ruinesSource : JT 20h WE

Désinformation, blagues douteuses et narratif pro-russe, tout cela avec le financement d'une entreprise. Tout y est pour que cette armée de trolls remplisse son objectif. Sous couvert d'humour ou d'ironie, ils influencent le débat public afin de miner le gouvernement ukrainien, maintenir le nationalisme russe et briser le soutien international à l'Ukraine. Une stratégie payante, tant les réseaux sociaux sont noyés sous un tsunami de fausses informations pro-russes depuis un an. Comme le résumait Marie Peltier, historienne et spécialiste de la propagande, auprès de TF1info, "l'information, c'est le nerf de la guerre". "Et les Russes ont bien compris la puissance et le potentiel d’Internet."

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Felicia SIDERIS

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