Des réseaux sociaux au grand écran, l’affaire Mehdi Meklat refait surface avec "Arthur Rambo"

Publié le 2 février 2022 à 11h10, mis à jour le 2 février 2022 à 13h01

Source : Sujet TF1 Info

En salles mercredi, "Arthur Rambo", de Laurent Cantet, s’inspire librement de l’affaire Mehdi Meklat.
En 2017, cet écrivain et journaliste de banlieue avait été rattrapé par ses tweets antisémites et homophobes.
L'affaire avait secoué les médias, notamment parisiens.

Toute ressemblance avec un personnage existant n’est pas fortuite. En salle ce mercredi 2 février, Arthur Rambo, de Laurent Cantet, raconte l’histoire de Karim D., un jeune écrivain originaire de banlieue adoubé par le tout-Paris lorsque son passé numérique lui explose à la figure après son passage dans une célèbre émission de télé. Si ça ne vous dit vraiment rien du tout, voilà de quoi vous rafraîchir la mémoire…

Le 17 février 2017, alors qu’il vient de présenter le livre Minute sur le plateau de "La Grande Librairie", le jeune journaliste et écrivain Mehdi Meklat, 24 ans, est rattrapé par une série de tweets qu’il a publié de 2001 - alors qu'il est encore adolescent -, jusqu’à 2015, sous le pseudonyme de Marcelin Deschamps. Exhumées par les internautes, ces blagues homophobes, racistes, antisémites, faisant pour certaines l’apologie du terrorisme, suscitent un mélange de stupeur et d’écœurement. D’incompréhension aussi. 

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À partir de 2008, Mehdi Meklat forme, avec son copain de lycée Badroudine Saïd Abdallah, un duo dont les reportages sur le Bondy Blog et les chroniques auprès de Pascale Clarke, sur France Inter, offrent un regard édifiant sur la réalité de la vie en banlieue. Originaires de Seine-Saint-Denis, ils réalisent un documentaire sur la Cité des 4000 à la Courneuve pour Arte, et signent un premier livre, Burn Out, inspiré de l’histoire d’un homme qui s’était immolé dans une agence de Pôle Emploi en 2013.

Signe supplémentaire de leur reconnaissance, Mehdi et Badrou posent en une des Inrocks le 31 janvier 2017 en compagnie de l’ex-Garde des Sceaux Christiane Taubira, à l’occasion de la sortie de Minute, leur deuxième roman, ancré dans une réalité brûlante. Ensemble, ils accordent à l’hebdomadaire un entretien fleuve sur la jeunesse des quartiers populaires, les fractures de la société française et l’ascension, à l’époque, d’un candidat nommé Emmanuel Macron… Quelques semaines plus tard, tout s’effondre.

Confronté à ses écrits numériques, Mehdi Meklat y répond par le même canal. Le 24 février, il publie une série de tweets pour expliquer sa démarche, Marcelin Deschamps étant, écrit-il, "un personnage honteux raciste antisémite misogyne homophobe". Pour lui, c’est une évidence : "Les propos de ce personnage fictif ne représentent évidemment pas ma pensée et en sont tout l'inverse". "Je m'excuse si ces tweets ont pu choquer certains d'entre vous : ils sont obsolètes".

Dans le monde des médias traditionnels, qui l’a porté aux nues, la pilule ne passe pas. François Busnel regrette d’avoir invité le jeune homme sur le plateau de "La Grande Librairie", le Bondy Blog et Les Inrocks se désolidarisent, tandis que Christiane Taubira se fend d’un communiqué plus ferme que bienveillant. "Il ne peut résider dans un même esprit la beauté et la profondeur d’une telle littérature et la hideur de telles pensées", écrit-elle sur Facebook. Et pourtant.

L'embarras à France Inter

À France Inter, où on a ouvert le micro à Mehdi et Badrou pendant plusieurs mois, le mea culpa est plus épineux. D’autant plus que le fautif explique dans l’un de ses tweets qu'à la station, tout le monde ou presque connaissait l’existence de son double numérique. C’est ce que reconnaîtra bien volontiers Pascale Clarke à l’antenne, dénonçant l’hypocrisie d’une partie de la presse branchée. Elle sera l’une des seules à défendre son protégé, maintenant que Marcelin Deschamps n’était qu’un "personnage odieux, fictif qui ne servait qu’à dénoncer".

Malgré la colère d’associations, comme la Licra, l’affaire n’aura pas de suites judiciaires. Si les délits d’injures, d’incitation à la haine raciale et d’apologie du terrorisme sont punis par la loi, le délai de prescription ne permet pas de poursuivre leur auteur pour ses tweets. Dépassé par le scandale, Mehdi Meklat s’exile brièvement au Japon avant de refaire surface en novembre 2018 avec un livre, Autopsie (Grasset) dans lequel il réitère ses excuses tout en dénonçant la violence des réseaux sociaux.

Un livre pour s'excuser

"Peut-on aborder froidement, aujourd’hui, les questions de fond que Twitter pose ? Peut-on parler du caractère paradoxal de ce média qui encourage l’hystérie de l’improvisation tout en interdisant le droit à l’oubli ?", s’interroge-t-il. "Parler aussi des condamnations à perpétuité de tous ces jeunes imbéciles qui, comme moi, portent la faute de leurs premières transgressions ?". Un discours qu'il tient dans l'une de ces rares interviews à l'époque, sur le plateau de "Quotidien".

Mehdi Meklat : "Pourquoi n'a-t-on pas cru à mes excuses?"Source : Quotidien

Quatre ans après, les questions que pose Mehdi Meklat font écho à l’affaire Mila et à tant d’autres. À l’approche de la trentaine, il continue de travailler avec son camarade Badrou puisqu’ils ont signé une pièce de théâtre, Les enfants de la réalité, interprétée par Élodie Bouchez, mais aussi un documentaire, Demain le feu, un portrait de la France d’aujourd’hui narré par Gérard Depardieu.

Mehdi Meklat n’a pas participé à l’écriture d’Arthur Rambo, le film librement inspiré de son histoire. Mais Laurent Cantet lui a présenté le projet en amont. "Il m’a fait confiance", a confié le cinéaste à TF1info. "Il connaissait mes films précédents. Je pense aussi qu’il était en plein processus de réflexion sur sa propre histoire et que, peut-être, un regard extérieur pouvait l’intéresser aussi."

Interprété par le comédien Rabah Naït Oufella, révélé en 2008 dans Entre les murs, le personnage de Karim D. est aussi charismatique qu’insaisissable, le cinéaste refusant tout manichéisme. Mais pour lui l’affaire symbolise toute l’ambiguïté des réseaux sociaux qui génèrent "une course à la popularité qui nous pousse à dire un peu n’importe quoi" et où "choquer est un moyen de séduire". Un discours plus que jamais d’actualité.


Jérôme VERMELIN

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