Interview

VIDÉO - Cannes 2023 : "C’est un écorché et un incompris", affirme Maïwenn au sujet de Johnny Depp

Publié le 13 mai 2023 à 16h25, mis à jour le 16 mai 2023 à 9h42

Source : TF1 Info

L'actrice et réalisatrice française dirige l'acteur américain dans "Jeanne du Barry", le film d'ouverture du 76ᵉ Festival de Cannes.
Un rôle qui marque le grand retour au cinéma de la star de "Pirates des Caraïbes", après ses déboires très médiatisés.
C'est au château de Versailles, qui a accueilli le tournage l'an dernier, que TF1info est allé à la rencontre de la jeune femme.

Johnny Depp dans la langue de Molière ? C’est un pari surprenant qu’on doit à Maïwenn avec le très attendu Jeanne du Barry. Un drame historique présenté hors compétition en ouverture du 76e Festival de Cannes ce mardi, en même temps qu’il sortira sur les écrans dans toute la France. De retour sur grand écran après ses déboires très médiatisés, la star de Pirates des Caraïbes incarne le roi Louis XV, subjugué par Jeanne, une prostituée mondaine incarnée par l’actrice et réalisatrice de Polisse. C’est au Château de Versailles, où le film a été tourné en grande partie, que TF1info est allé à la rencontre de Maïwenn…  

Tourner ici à Versailles, ça faisait partie de l’attrait du projet ? 

Maïwenn : Je ne crois pas que j’aurais pu faire le film sans tourner à Versailles ! C’était inévitable. Après, c'est un endroit intimidant. C’est pour ça que pendant que j’écrivais, je suis beaucoup venue pour être le moins impressionnée possible au moment du tournage. Il ne fallait pas que le décor écrase le sujet. 

C’est la première fois que vous filmez l’Histoire de France. Pourquoi se focaliser sur Jeanne du Barry en particulier ? 

Je suis tombée amoureuse d’elle et de l’époque. Mais de la même manière que j’ai eu envie de faire les films précédents. Je n’ai pas senti un désir théorique du style "faire un film d’époque", "faire un film sur le XVIIIe" ou "faire un film sur une femme". Non, mon désir m’a sauté aux yeux en 2006 lorsque j’ai découvert le personnage dans Marie-Antoinette, le film de Sofia Coppola. Plus tard, j’ai acheté un livre sur elle. J’ai lu, j’ai aimé. Mais je ne me sentais pas prête à faire un film sur elle. Les années ont passé, j’ai réalisé d’autres films. Et le désir persistait.

Dans le film de Sofia Coppola, c’est Asia Argento qui jouait Jeanne du Barry…

Oui et j’ai très vite su que j’allais être plus fidèle à ce que je lisais qu’au personnage tel qu’il était joué par Asia Argento. Je le trouvais un peu caricatural. C’était un peu la manière dont on a tendance à filmer les courtisanes de l’époque. C’est-à-dire un peu provocatrices. Coquines. Tapageuses. Un peu le portrait des prostituées au cinéma jusqu’à aujourd’hui. Dans les films modernes, on a tendance à montrer ces femmes comme des grandes gueules, un peu vulgaires. Alors qu’il y a de tout. Je pense qu’il y a aussi des courtisanes et des prostituées très discrètes.

Jeanne du Barry reste un personnage entouré de mystère. Dans le film, c'est un mélange de légèreté et de gravité. Qu’est-ce qui vous intriguait le plus chez elle ? 

Tout m’intriguait (elle réfléchit). C’est comme si j’avais le sentiment de me retrouver chez quelqu’un. J’avais l’impression de la connaître. De connaître ses tristesses. De connaître ses combats. Et j’ai eu envie de la défendre. Parce que je suis persuadée que cette femme a aimé le roi. Or dans tout ce que je lisais, on comprend que son amour a toujours été remis en question. Il y a très peu de livres qui démontrent à quel point cette femme l’aimait. C'étaient souvent des livres écrits par des hommes. J’avais l’envie, la conviction de savoir que cette femme aimait cet homme. Parce que je sais qu'aimer un homme de pouvoir sera toujours perçu comme malhonnête. L’amour entre deux personnes issues de classes sociales différentes sera toujours perçu comme la rencontre entre une femme vénale et un homme puéril. J’avais envie de défendre le couple, aussi.

"C'est quelqu’un qui incarne un charisme majestueux", estime Maïwenn à propos de Johnny Depp.
"C'est quelqu’un qui incarne un charisme majestueux", estime Maïwenn à propos de Johnny Depp. - Why Not Productions

Ça faisait donc écho à des expériences, des questionnements intimes chez vous ? 

Surement, oui. À des époques de ma vie, j’ai été perçue comme quelqu’un de vénal, qui ne cherchait que mon intérêt envers un homme de pouvoir. La jalousie des femmes, la jalousie tout court. La condescendance aussi, c'est quelque chose qui m’a beaucoup marqué quand j’ai commencé à faire des films. La sensation qu’on ne peut pas être libre sans supporter le conformisme des gens. C’est un portrait féministe en fait, Jeanne du Barry. 

Vous la jouez aussi avec beaucoup de gourmandise. On sent que vous vous êtes amusée aussi, non ? 

J’aime cette femme au premier degré. J’aime cette femme sans théorie. Je ne suis pas là à me dire "tiens, je vais faire le portrait d’une femme moderne et féministe". J’ai profondément eu la conviction qu’il fallait que je la défende. Avec ses paradoxes aussi, car ce n’était pas une sainte non plus. Elle était aussi parfois vénale. Elle avait aussi des tendances racistes vis-à-vis de son page, Zamor. Ce n’est pas une sainte.

J’ai écrit un mail à l’agent de Johnny Depp. Sans connaître ni l’agent, ni Johnny Depp. Sans passer par aucun piston
Maïwenn

Comment vous est venue l’idée de proposer le rôle de Louis XV à Johnny Depp ?  C’est un choix qui a beaucoup fait parler, pour plein de raisons. C’est aussi un pari, non ? 

Ce n’était pas gagné du tout d’avance. J’étais perturbée parce que j’avais proposé le rôle à deux acteurs français que j’adorais. Un n’a pas voulu sans lire le scénario (Gérard Depardieu - ndlr). L’autre voulait bien le faire, mais il a eu des problèmes de santé… Après ces deux acteurs français, je n’en voyais aucun autre incarner la royauté. Alors, j'ai préféré suivre mon désir, quitte à ce que ça passe les frontières en faisant appel à des acteurs étrangers. Mais je me disais "ce n’est pas possible, c’est le film de ma vie, je veux prendre un acteur qui me fait rêver". Quelqu’un qui incarne la royauté sans que je le dirige. Il n’y en avait que deux ou trois comme ça. J’ai écrit un mail à l’agent de Johnny Depp. Sans connaître ni l’agent, ni Johnny Depp. Sans passer par aucun piston. En me disant que ça ne marcherait jamais. Mais je voulais aller au bout de mon désir. Qu’est-ce que j’avais à perdre ? Au pire, on ne me répond pas. Au pire, on me dit non. Et j’aurais été au bout de mes rêves. Mais il faut toujours aller au bout de ses rêves. Il faut toujours tenter. Et puis au bout de dix jours, on m’a répondu et j’avais rendez-vous avec lui.

Quand je le rencontre, il n’y a que mes yeux et mes oreilles qui s’ouvrent pour voir quel personnage il va donner
Maïwenn

Et tout de suite ça a matché ? 

J’ai ressenti une évidence. Un langage commun. Quelqu’un d’écorché. Quelqu’un d’incompris. Quelqu’un qui incarne un charisme majestueux. Et puis quelqu’un qui exprime beaucoup de sentiments par le regard. Et comme j’avais un scénario qui n’était pas très bavard, mais qui passait beaucoup par les regards – je savais que c’était un film très musical – je voulais un acteur quasiment sorti du muet.

Au moment où vous le contactez, il est dans un moment délicat de sa carrière…

Il ne travaillait pas beaucoup, mais c’était avant tous les procès. C’est un important de le dire. Il n’était pas dans les médias…

Avez-vous quand même eu l’impression de lui faire du bien, de le remettre en selle en lui proposant le film ? 

Non ! Lui faire du bien, ça voudrait dire que j’ai une haute image de moi-même. Quand je le rencontre, il n’y a que mes yeux et mes oreilles qui s’ouvrent pour voir quel personnage il va donner. Quel aspect de sa personnalité, il va faire rejaillir. Je ne me dis pas : "Qu’est-ce que je vais lui apporter ?". Je suis beaucoup plus égoïste que ça. Quand je le rencontre, j’ai un film à faire, j’ai un roi à faire incarner. Il n’y a que ça qui est important à ce moment-là.

Chez nos confrères de Premiere, vous avez expliqué qu’il n’était pas toujours facile à diriger…

Oui, parce qu’il y a un choc des cultures qui entre en compte. Il y a la langue, son statut de star. Il y a des moments où ce n’étais pas évident. Mais après, c'est important de dire qu’il y a des désaccords et des incompréhensions sur tous les tournages. J’en ai sur le film avec des acteurs français. J’en ai eu avec des acteurs inconnus. Et c’est normal parce qu’on passe tellement de temps ensemble sur un tournage que les relations peuvent vite exploser. 

Le film fait l’ouverture du 76e Festival de Cannes ce mardi. C’est un peu votre couronnement à tous les deux, non ? 

C’est chouette parce que ça correspond à la fin de la fabrication du film. J’ai terminé il y a dix jours, j’étais encore en étalonnage, en mixage. Donc c’est génial de se retrouver avec toute l’équipe et de fêter la fin du film tous ensemble avec de beaux costumes, de belles robes. Avec du champagne ! C’est la fin d’une aventure.

>> Jeanne du Barry de Maïwenn. Avec Maïwenn, Johnny Depp, Benjamin Lavernhe. 1h56. Sortie le 16 mai au soir.


Jérôme VERMELIN

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