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Les cartes météo ont-elles viré au rouge pour "faire peur" avec le réchauffement climatique ?

Publié le 20 juillet 2023 à 17h46, mis à jour le 21 juillet 2023 à 10h33
Les cartes météo ont-elles viré au rouge pour "faire peur" avec le réchauffement climatique ?

Pour mettre en doute la réalité du dérèglement climatique, des climatosceptiques évoquent un changement artificiel des couleurs des cartes météos.
Celles-ci auraient viré au foncé dans un but strictement alarmiste.
Mais cela n’a rien de fondé, nous expliquent plusieurs météorologues.

Les bulletins météo sont-ils devenus alarmistes ? Exhibant des cartes de France, rouge écarlate en ces fortes chaleurs, les climatosceptiques des réseaux sociaux dénoncent une "manipulation par les couleurs". Selon eux, les colorimétries choisies sont "anxiogènes" et "catastrophistes". Et n’auraient que pour ambition de "terroriser les populations", d’après les mots de l’ancien candidat pro-Frexit à la présidentielle, François Asselineau. "Les cartes de la honte. Ont-ils perdu la raison ? Non ! Ils manipulent sciemment avec les couleurs", s’indigne une chaine Telegram, qui verse régulièrement dans le complotisme. Ce type d’affirmations se rencontre aussi à l’international, comme ici partagée par un compte anglophone avec une carte de l’Europe ayant viré au rouge vif. 

Une usine à trolls, menée par Asselineau

Pour faire passer ses idées et dénoncer, la sphère des climatosceptiques, très bruyante sur Twitter, n’hésite pas à employer des méthodes agressives. "Grâce à l'usine à troll d'asselineau-reconquete-antivax, le nombre de commentaires augmente la visibilité du tweet par l'algo de twitter. Ce tweet est le plus vu, le plus partagé et le plus aimé de tous mes tweets avec plein de nouveaux abonnés", témoigne un climatologue qui a justement pris la parole sur Twitter à ce sujet. Patrick Marlière, météorologue de profession, raconte à TF1info retrouver en ligne "les mêmes groupes de personnes qui s’amusent à harceler les services météorologiques". Dont un certain François Asselineau. Dans un article, le site Météo Express profite de cet épisode pour revenir en longueur sur les couleurs des cartes météo et "l’hystérie des sceptiques" qu’elles provoquent. 

Cette campagne consistant à nier le réchauffement climatique n’est pas nouvelle en ligne. En réalité, elle revient à chaque épisode météorologique important, et notamment à chaque canicule. Le phénomène a été observé par exemple l’été dernier, parmi un bon nombre d’affirmations climatosceptiques.

Des publications climatosceptiques remettent en cause la colorimétrie choisie par les météorologues
Des publications climatosceptiques remettent en cause la colorimétrie choisie par les météorologues - DR

Sur le fond, l’argument est tout aussi discutable. Dans le métier depuis 1975, Patrick Marlière se souvient des origines de la colorimétrie : "Ce besoin de graduer les événements météorologiques est venu en 1999, avec les premières tempêtes du siècle. Les premières cartes vigilance météo sont apparues, où il a fallu choisir un étalonnage de couleurs, allant du bleu au violet." Deux  cartes météo sont diffusées par les médias et les organismes chargés du suivi des températures : celles qui fondent la colorimétrie sur les températures observées sur le territoire (la plus faible est d’une couleur claire, la plus élevée d’une couleur foncée) et celles qui s’intéressent à l’écart entre les températures relevées et les normales de saison (plus l’écart est élevé, plus la couleur est vive). 

Des codes couleurs souvent incomparables

Interrogée, Météo France explique ne pas utiliser "de plage de couleur mais des pictogrammes avec l'affichage des températures prévues" et renvoie aux choix adoptés par chaque média, à travers son service météo. Ainsi, les chaines de télévision décident du code couleur utilisé sur leurs cartes météo : les comparer entre elles n’a donc pas de sens, comme nous l’expliquions ici. Pour Thomas Canda, de Meteociel, l’adoption d’une seule palette de couleurs pour tous, décidée par Météo France, serait une solution pour plus de lisibilité. Le gestionnaire du site de météorologie estime en effet que des échelles différentes d’un média à l’autre "créent la confusion, voire participe à nier la hausse des températures".

Malgré les accusations, des médias et instituts n’ont pas changé d’échelle de colorimétrie avec l’évolution du climat. Las des critiques à son encontre, l’observatoire Keraunos a fini par réagir publiquement : "Les remarques annuelles sur l'échelle de couleur, qui a toujours été la même, sont vaines. Nous mettrions du bleu foncé ça soulagerait peut-être certaines âmes mais ne changerait rien aux valeurs très au-dessus des normales, qui elles sont des faits". Thomas Canda détaille à son tour : "Le site a été créé en 2003 et la palette de couleurs n'a quasi pas évolué, avec juste des ajustements pour les très hautes températures supérieures à 40°C et très basses températures. Le changement climatique fait qu'inexorablement l'été, on tend à voir un peu plus de couleurs rouges/violettes". Il fournit pour preuve des cartes météo de juillet 2014 et de juillet 2023, qui disposent donc de la même échelle.

Le programme européen Copernicus, lui, a décidé de barder de noir ses cartes lorsque les températures virent à l'extrême. Comme le 11 juillet, où le sud-est de l’Espagne apparaissait complètement noirci, signe que le thermomètre affichait plus de 60 degrés. Mais la hausse des températures et la répétition d’événements extrêmes ont conduit d’autres spécialistes à revoir leur copie et à élargir leur propre code couleur (voir notre article). 

C’est le cas de Patrick Marlière, qui dirige sa société, Agate Météo. Le météorologue explique avoir dû modifier sa palette à deux reprises pour intégrer des nouveaux événements climatiques. "Aujourd’hui, on change toutes nos cartes et les échelles d’indications parce que des paramètres, comme les températures, évoluent beaucoup. Quand vous passez de 20 degrés à Dunkerque à presque 50 degrés sur la Corse, qu’est-ce que vous mettez comme palette de couleurs ?", s’interroge ce dernier, qui cite des précipitations jusqu’ici inédites et qui accompagnent les épisodes cévenols. "Comment voulez-vous graduer le risque sans attirer par la couleur qui est la plus pertinente ?", se demande encore Patrick Marlière, qui se défend de vouloir "faire peur" : "La vocation première de la météo, c’est d’assurer la sécurité des personnes". 

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Caroline QUEVRAIN

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