Des vaches retrouvées échouées sur les plages du Finistère : que se passe-t-il sur les côtes bretonnes ?

Publié le 18 décembre 2023 à 18h38

Source : Sujet TF1 Info

Ces dernières semaines, au moins trois vaches ont été retrouvées échouées sur les plages du Finistère en France.
Des animaux probablement jetés d'un navire de transport bétailler et dont les bagues d'identification ont été arrachées.
Un incident rare dans cette région, et qui met en lumière les abus d'un secteur dont les contrôles restent encore difficiles.

La première découverte, sur la plage de Tréogat, a surpris. Les deux autres, sur des communes voisines, ont suscité davantage d'inquiétude. Depuis le mois de novembre, au moins trois cadavres de bovins ont été retrouvés sur des plages du Finistère. Des animaux qui auraient passé beaucoup de temps dans l'eau et dont les bagues d'identification ont été arrachées de leurs oreilles pour, semble-t-il, masquer leur provenance. Des indices qui mettent en cause le transport bétailler, avec des animaux morts sur un navire passant au large des côtes et dont l'équipage aurait jeté les cadavres à la mer. 

Une situation plutôt "rare en Bretagne" mais qui "se voit plus souvent en Méditerranée", détaille pour TF1info Gwendoline Farias Ranito, membre de l'Association Welfarm, spécialisée dans la protection des animaux de ferme. Elle précise toutefois : "Normalement, il existe une Convention internationale sur le transport maritime qui fait que si un animal meurt à bord, on peut le jeter par-dessus bord, mais uniquement si on est à plus de 10 milles nautiques des côtes. Par ailleurs, il faut normalement l'éventrer pour qu'il puisse couler et nourrir les animaux marins", explique-t-elle. Ce processus semble ne pas avoir été respecté ici.

Le transport "le plus radicalement meurtrier"

Dans cet échouage de vaches en Bretagne, plusieurs associations pointent du doigt, sans pouvoir prouver formellement son implication, un navire bétailler en provenance d'Irlande et à destination de la Libye, forcé de se mettre à l'abri dans le port de Douarnez avant l'arrivée de la tempête Ciarán. Un incident qui met en lumière les dysfonctionnements d'un secteur régulièrement décrié par les associations de défense des animaux : le transport des bêtes d'élevage dans des navires géants partant d'Europe à destination de "pays tiers". Selon un rapport de la Commission européenne publié en 2020, chaque année, ce sont près de trois millions d'animaux vivant - plus de deux millions de moutons et de chèvres, et 650.000 bovins - qui sont exportés vers des États du pourtour méditerranéen.

Des animaux dont on ne sait rien une fois qu'ils ont embarqué sur ces immenses navires. "On n'a aucun chiffre exact sur la mortalité sur les bateaux, une fois que les animaux sont montés à bord, il n'y a pas de vétérinaire et il y a un important flou juridique, car il n'y a aucun suivi", déplore Gwendoline Farias Ranito. "Clairement, on ne sait pas ce qu'il se passe à bord et même l'Union européenne n'a pas réussi à savoir ce qu'il se passait à bord des bateaux". Dans un rapport publié en 2020, la Commission européenne avait avoué avoir voulu se pencher "davantage sur la traversée en mer" des animaux, mais n'avoir "réussi à obtenir aucune information". 

"Actuellement, ni les États membres ni la Commission ne disposent d'informations ou de statistiques sur l'état de santé et de bien-être des animaux pendant les voyages en mer", pointait également le document. Dans une étude publiée en 2021, l'ONG Robin des Bois estimait ainsi que le transport maritime des animaux était "le plus radicalement meurtrier".

On ne parle pas ici de chaussettes ou de vêtements, mais d'être vivants.
Gwendoline Farias Ranito

Après des heures de transport routier et d'attente sans espace de repos dans les ports, les moutons, bovins et autres chèvres embarquent sur des navires dont le profil inquiète. Selon l'étude de Robin des Bois, ONG spécialisée dans les risques du transport maritime, les bétaillères agréées par l'Union européenne sont particulièrement vétustes. En moyenne, ces bateaux sont âgés de 41 ans, "contaminés à l'amiante, aux PCB et autres substances chimiques". Des bateaux mesurant environ 99 mètres pour une jauge brute de 5261 tonneaux. 

Des navires qui battent "un pavillon de complaisance figurant sur la 'liste noire' du Mémorandum de Paris" -  l'institution chargée de veiller à la sécurité maritime et aux bons contrôles des navires dans les ports - et dont "les inspections au cours des deux dernières années ont constaté 32 déficiences", comme des entraves à la Convention du Travail Maritime, la prévention de la pollution ou encore des problèmes d'étanchéité à l'eau et aux intempéries. Et Robin des Bois de résumer : "La bétaillère maritime type agréée par l'Union européenne peut être qualifiée de navire sous-normes et de navire à démolir". Welfarm, de son côté, dénonce des "épaves qui naviguent"

"Ce sont des bateaux qui partent normalement à la casse et que l'on utilise pourtant pour transporter des animaux. On ne parle pas ici de chaussettes ou de vêtements, mais d'être vivants", dénonce Gwendoline Farias Ranito. Ces dernières années, les scandales se sont enchaînés dans ce secteur, minutieusement listés par Welfarm. En novembre 2019, le Queen Hind a coulé en sortant d'un port roumain, provoquant la noyade de 14.600 moutons, tandis que les membres de l'équipage ont pu être secourus. En 2020, ce sont 41 personnes et 6000 bovins qui sont morts après le naufrage d'un navire qui transportait les animaux entre la Nouvelle-Zélande et la Chine. Les images d'un naufrage en juin 2022 avaient également marqué les esprits : 15.000 moutons s'étaient noyés près des côtes soudanaises. Un incident provoqué par la surcharge du bâtiment prévu pour transporter "seulement"... 9000 moutons.

L'Hexagone, premier exportateur de bovins

Pour tenter de mieux réguler le secteur, la Commission européenne a récemment publié une nouvelle proposition de règlement. Le texte ambitionne de créer un critère de vétusté pour les navires, "ce qui enlèverait pas mal de navires bétaillers qui ne pourront plus transporter des animaux parce que trop dangereux", souligne Gwendoline Farias Ranito. L'instance cherche également à mettre en place un système permettant de connaître l'état des animaux une fois arrivés à destination. Un bon pas pour Welfarm, qui veut toutefois aller plus loin. "Il faut qu'il y ait un vétérinaire à bord des bateaux, car aujourd'hui si un animal tombe malade, soit il meurt, soit il endure". 

L'association se prononce aussi pour l'interdiction depuis l'Union européenne et vers des pays tiers d'animaux vivants. "On peut faire transporter de la viande, du matériel génétique, il n'y a aucun souci, mais pourquoi faire souffrir des animaux ? D'autant que cette pratique n'est pas toujours rentable", s'interroge la représentante de l'association. "Le transport maritime est vraiment problématique, on ne parle pas de bien-être des animaux dans ce secteur, mais de bientraitance. Juste bien traiter les animaux, ce serait déjà pas mal, et ce n'est pas le cas du tout". 

Mais le sujet est épineux au sein des Vingt-Sept. "On a deux blocs, avec ceux qui poussent pour une interdiction, et ceux, dont la France, l'Espagne et le Portugal, qui veulent continuer à tout prix l'exportation des animaux vivants", détaille la représentante de Welfarm. Et pour cause, l'Hexagone est l'un des premiers exportateurs de viande en Europe. En 2021, Paris a envoyé, par voie maritime, 44.000 bovins vers l'Algérie, 19.000 vers Israël, 7000 vers la Turquie et 3000 vers la Tunisie, certains dans les "cargos-poubelle" dénoncés par les ONG.


Annick BERGER

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