22 février 2014, le jour où l'Ukraine s'est éloignée de la Russie en destituant son président

Publié le 22 février 2023 à 9h00

Source : Sujet TF1 Info

Le 22 février 2014, Viktor Ianoukovitch, président ukrainien de l'époque, est destitué par le Parlement.
Le signe d'un ras-de-bol généralisé après les multiples dérives de l'exécutif.
Ce coup de force, après de longs mois de manifestation, marque le point de départ de la dégradation des relations entre Kiev et Moscou.

Ce jour restera comme l'un des tournants de l'histoire moderne de l'Ukraine. Le 22 février 2014, le président ukrainien Viktor Ianoukovitch, élu en 2010, est poussé vers la sortie. Un vote du parlement entérine son départ, sous la pression de la rue. Sa fin de mandat précipite le pays, dans les mois qui suivent, dans un enchaînement infernal. Un engrenage terrible dont il est encore loin d'être sorti. 

L'éloignement de l'UE, le début de la fronde

Mais pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de cet événement clé, il faut revenir quelques mois en arrière. Le 21 novembre 2013, Viktor Ianoukovitch renonce à un accord d'association avec l'Union européenne, une semaine avant sa signature prévue. Au contraire, le chef d'État ukrainien privilégie une coopération économique renforcée avec la Russie. Ce rapprochement prévoit notamment que Moscou investisse l'équivalent de 15 milliards de dollars dans des titres du gouvernement ukrainien et réduise d'un tiers le tarif de ses livraisons de gaz à Kiev. Ce rétropédalage met le feu aux poudres. C'est à ce moment que naît le mouvement Euromaïdan (qui tire son nom de Maïdan, la "place de l'Indépendance", à Kiev). 

Manifestants sur la place Maïdan, le 20 février 2014.
Manifestants sur la place Maïdan, le 20 février 2014. - PIERO QUARANTA / AFP

Plusieurs milliers de personnes se rassemblent dans le centre-ville de la capitale pour marquer leur désaccord à la politique présidentielle et à l'éloignement du bloc occidental. Dès lors, les manifestants ne vont plus quitter la célèbre place Maïdan - à la seule exception de la période des faits - et la grogne ne va pas cesser de croitre. "Pendant trois mois, l’Ukraine a vécu des événements qui s’inscrivaient dans la suite logique de l’année 1991, autrement dit de l’effondrement de l’Union soviétique. La société s’est insurgée contre un système socio-économique postsoviétique qui n’avait été qu’une mascarade pendant vingt-trois ans d’indépendance", narre Bohdan Boutkevitch, dans un article relayé par le Courrier International

Un mouvement qui s'intensifie rapidement

Initialement représenté par les étudiants, journalistes et autres artistes, Maïdan va progressivement s'étendre à toutes les couches de la population. Si une minorité de citoyens réclament l'éviction de Ianoukovitch, la plupart des contestataires souhaitent surtout un retour à la constitution de 2004 - déclarée inconstitutionnelle en 2010 pour vice de procédure -, dans laquelle les pouvoirs du président étaient réduits au profit du parlement. Le mouvement s'affranchit alors largement des partis politiques, dans lesquelles les citoyens n'ont que peu de confiance, notamment en raison de la corruption qui gangrène le pays.

Le vote, le 16 janvier 2013, d'une série de lois liberticides qui visent à restreindre le droit de manifester, accentue encore la colère des Ukrainiens. Ces textes deviennent le centre des revendications des manifestants. Le mouvement prend de l'ampleur et s'étend en dehors des murs de Kiev. Dans l'ensemble du pays, la tension monte et des protestataires occupent ou assiègent les institutions locales et les sièges administratifs régionaux. En parallèle, Russie et Union européenne appellent à un retour au calme. 

Viktor Ianoukovitch signe un accord avec les principaux ténors de l'opposition, face à la fronde populaire.
Viktor Ianoukovitch signe un accord avec les principaux ténors de l'opposition, face à la fronde populaire. - Sergei SUPINSKY / AFP

Au cours des semaines qui suivent, la conjoncture se dégrade. De premiers morts surviennent dans les rangs des opposants. Les choses s'accélèrent encore davantage à partir du 18 février, date à laquelle les forces de l'ordre durcissent le ton dans leur répression. En l'espace de trois jours, plus de 100 Ukrainiens décèdent. En désespoir de cause, dans un climat particulièrement explosif, Viktor Ianoukovitch signe un accord avec les ténors de l'opposition, le 21 février 2014, répondant aux principales exigences des manifestants (retour à la Constitution de 2004, formation d'un gouvernement d'union nationale, tenue d'une élection présidentielle anticipée et abandon des lois liberticides). Validé par la Rada - le parlement ukrainien -, l'accord est approuvé par les pays européens d'un côté, et par la Russie de l'autre.

Le pays assiste à un coup d'État
Viktor Ianoukovitch

Mais le lendemain, après la démission d'une multitude d'élus de la majorité, les parlementaires votent la libération de l'opposante Ioulia Timochenko puis la destitution de Viktor Ianoukovitch. "Le pays assiste à un coup d'État", fustige-t-il après avoir quitté la capitale. "Je n'ai pas l'intention de donner ma démission. Je suis un président élu de manière légitime", martèle-t-il, dressant un parallèle avec l'arrivée des Nazis en Allemagne dans les années 1930. Dans la foulée, le président déchu s'envole pour... la Russie. 

Moscou, justement, ne cache pas son exaspération face à la tournure des événements et dénonce une menace pour la souveraineté du pays. "L'opposition n'a non seulement pas rempli une seule de ses obligations mais avance de nouvelles exigences, se soumettant aux extrémistes armés et aux pillards dont les actes constituent une menace directe pour la souveraineté et l'ordre constitutionnel de l'Ukraine", fustige le ministère des Affaires étrangères russe, dans un communiqué. 

Le temps viendra et le monde apprendra qui a agi pour affaiblir et même désintégrer l'Ukraine
Donald Tusk, Premier ministre polonais de novembre 2007 à septembre 2014

De l'autre côté, les avertissements du gouvernement polonais ont alors une dimension visionnaire. "Je ne le dis pas pour faire peur à qui que ce soit mais on voit clairement qu'il existe des forces souhaitant remettre en question l'intégrité de l'Ukraine", déclare le Premier ministre Donald Tusk. "Il faut que l'on dise de façon ferme et claire que ce scénario n'est pas envisageable, mais les menaces sont réelles. (...) Le temps viendra et le monde apprendra de façon très précise qui a agi, et pourquoi, pour affaiblir et même désintégrer l'Ukraine", glisse-t-il.

La suite de l'histoire est connue : le Kremlin profite de l'instabilité dans le pays pour s'ériger en figure d'ordre et de stabilité. C'est en s'appuyant sur cette doctrine que les troupes de Vladimir Poutine prennent possession de la Crimée. Une annexion confirmée par un référendum lors duquel 96,77% des électeurs se prononcent en faveur du rattachement à la Russie, selon Moscou. Cette manœuvre est dénoncée par la communauté internationale. Ce sont ensuite les régions de Donetsk et de Lougansk qui font l'objet de déstabilisations et de violents combats. S'ensuit un relatif statu quo avec les accords de Minsk, malgré une poursuite des affrontements, jusqu'à l'invasion du 24 février 2022.  


Maxence GEVIN

Tout
TF1 Info