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Emmanuel Macron a-t-il "bloqué" un certain nombre de réformes européennes ?

Publié le 10 mai 2022 à 19h29, mis à jour le 11 mai 2022 à 9h53

Source : Sujet JT LCI

Ce mardi, François Ruffin a accusé Emmanuel Macron de "bloquer" un certain nombre de réformes européennes.
Le député LFI accuse le chef de l'État de s'être opposé au "congé paternité", aux "taxes sur les transactions financières" et à la "reconnaissance des salariés d'Uber".
La réalité est plus nuancée.

Le problème ne serait pas à chercher ailleurs qu'en France. Interrogé ce mardi 10 mai sur la proposition d'Emmanuel Macron de lever le vote à l'unanimité dans les décisions européennes, François Ruffin a accusé le chef de l'État d'être celui qui fait "tout pour freiner l'Europe". Pour le député de La France insoumise, "quand l'Europe veut avancer dans le bon sens", c'est en réalité "la France d'Emmanuel Macron" qui "bloque". Sur le plateau de Franceinfo, l'élu de la Somme a cité plusieurs exemples : le congé paternité, les taxes sur les transactions financières et la reconnaissance du statut salarié des travailleurs d'Uber et des plateformes. "Trois points précis" que le député a invité à "vérifier". Ce que nous avons fait.

Congé paternité : 14 pays contre

Commençons par le congé paternité, ou plutôt la "directive vie privée - vie professionnelle", proposée en avril 2018 par la Commission européenne, qui suggérait notamment une meilleure indemnisation du congé parental, au niveau des indemnités journalières de maladie. Une éventualité rejetée dès le 17 avril 2018 par Emmanuel Macron. Si le chef de l'État avait indiqué, lors d'une intervention devant le Parlement européen, qu'il approuvait "les principes" de la directive, il s'inquiétait qu'une telle règle puisse "coûter très cher et finir par être insoutenable". "Il faut travailler sur la proposition" de la Commission européenne, avait-il ajouté. 

Réunie avec les 28 ministres du Travail de l'UE, celle qui était alors ministre du Travail avait défendu cette position, arguant que cela reviendrait à un surcoût pour un pays déjà généreux. "La France, historiquement, a fait le choix d'une rémunération pas très élevée", à savoir 396 euros par mois "mais par contre, qui peut se prendre sur une longue durée, un an", avait avancé Muriel Pénicaud.

Résultat : à l'issue de leur discussion, les ministres européennes s'étaient mis d'accord pour proposer un congé rémunéré de façon "adéquate", sans donner de précision chiffrée. Un texte bien en deçà de celui de la Commission, que la France a participé à vider de sa substance. Mais elle était loin d'être la seule. En tout, 14 pays ne voulaient pas de ce texte ambitieux. "Les pays comme le Danemark, les Pays-Bas ou la Suède étaient contre un texte allant moins loin que leur propre législation", expliquait à l'époque Antoine Math, chercheur à l'Ires, au HuffPost. D'autres pays jugés "plus conservateurs", comme l'Italie ou la Pologne, y étaient quant à eux opposés "sur le fond". 

Taxes sur les transactions financières : une proposition au rabais de Berlin

On ne peut donc pas accuser la France d'avoir bloqué à elle seule un texte ambitieux. Tout comme on ne peut pas lui donner la seule responsabilité de l'échec des négociations sur les taxes des transactions financières. Cette taxe est en réalité au cœur de dix ans de controverses parmi les États membres de l'UE. Dès 2012, face à l'impossibilité de trouver un accord entre les 28, certains États proposaient d'ouvrir les négociations aux seuls pays qui souhaitaient cette taxe. Dix d'entre eux ont alors fait le choix d'une coopération rapprochée sur le sujet. Parmi eux, la France. 

Ce groupe restreint était d'abord arrivé à un premier accord en 2014, promettant une mise en application de cette taxe pour l'année 2016. Mais à quelques mois de la date butoir, des désaccords persistaient. Si bien que la taxe n'a finalement jamais été mise en œuvre. 

C'est finalement Berlin qui a remis le sujet sur la table, en décembre 2019, en transmettant un nouveau projet de taxe européenne aux neuf autres capitales. Un texte "salué" par la France, via son ministre de l'Économie, Bruno Le Maire. Fruit, selon ses mots, d'un "travail étroit avec la France". Et pour cause, selon des révélations de Mediapart, Bercy n'a cessé de "plaider pour une taxe a minima, où les dérivés ne seraient pas taxés". Or, le texte proposé par Berlin exonérait justement les obligations et produits financiers dérivés, ainsi qu'un certain nombre d'opérations, comme les entrées en Bourse. 

Un projet fustigé ouvertement par certains États, dont l'Autriche. Face à un texte qui "punit les petits épargnants et ceux de catégorie moyenne", sans toucher aux spéculateurs boursiers, le ministre des Finances autrichien avait menacé de claquer la porte des négociations. 

Ce texte a minima est donc soutenu par Paris, mais proposé par Berlin.

Reconnaissance des salariés d'Uber : la France n'est pas seule opposante

Finalement, c'est sur la question des travailleurs d'Uber - qui lui "tient à cœur" - que François Ruffin est le plus proche de la réalité. En décembre 2021, Bruxelles a effectivement dévoilé un arsenal de mesures pour renforcer les droits des travailleurs des plateformes numériques comme Uber, Deliveroo ou Bolt, en fixant des critères à l'échelle de la communauté pour déterminer s'ils doivent ou non être considérés comme salariés. Une directive que Paris ne veut pas ? Interrogé dans la presse, le gouvernement français avait refusé de prendre position, avançant son "obligation de neutralité" durant la présidence française. 

En pratique, il y a toutefois fort à penser que Paris fera tout pour contrer cette directive, qui va effectivement à l'encontre de la politique française en la matière, qui tend à préférer un statut d'indépendant. Cependant, elle ne devrait pas être la seule dans les négociations. Comme le relevait Le Monde en décembre dernier, la Pologne, la Hongrie ou encore la Suède pourrait s'opposer, eux aussi, à cette avancée sociale. Cela pourrait également être le cas de l'Estonie, pays de naissance de l'entreprise Bolt.

Uber, responsable de salariat déguisé ?Source : JT 20h WE

En résumé, la France, son gouvernement et Emmanuel Macron, ont bel et bien marqué leur opposition à ces trois réformes. Ceci dit, il est trompeur de penser qu'elle fut le seul État membre à en bloquer l'avancée.

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Felicia SIDERIS

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