"Avoir un enfant coûte très cher" : la baisse (inédite) de la population chinoise partie pour durer ?

Publié le 18 janvier 2023 à 15h59

Source : Sujet TF1 Info

En 2022, la Chine a perdu 850.000 habitants, notamment à cause de la baisse des naissances.
C'est la première fois depuis plus de 60 ans que la population recule dans l'Empire du milieu.
Une tendance, liée à de multiples facteurs structurels, qui semble vouée à se perpétuer dans les prochaines années.

Une superpuissance... aux pieds d'argile ? Pays le plus peuplé au monde, qui concentre un sixième des individus sur la planète, la Chine a perdu 850.000 habitants en 2022. Après un demi-siècle de croissance démographique effrénée, le pays a vu sa population reculer pour la première fois depuis 1960-1961. À l'époque, la famine, successive au "Grand bond en avant" lancé en 1958  par le régime de Mao Zedong, avait fait des dizaines de millions de morts. Conséquence d'un indice de fécondité en berne (1,15 enfant par femme), seuls 9,56 millions de bébés sont nés lors de l'année écoulée, a indiqué dans son dernier rapport le Bureau national des statistiques (BNS). C'est bien moins que le nombre de personnes décédées sur la même période (10,41 millions de décès ont été recensés). 

Si elle est amplifiée par une conjoncture économique et sanitaire défavorable, cette chute a surtout des explications structurelles. Ce recul, s'il se confirme, affectera durement l'économie et le système de retraites. Contactée par TF1Info, Isabelle Attané, directrice de recherche, démographe et sinologue à l'Institut national d'études démographiques (Ined), fait le point sur la situation. 

Comment expliquer ce recul de la population chinoise, le premier depuis six décennies ? 

Tout d'abord, l'allongement de la durée de vie moyenne a conduit à l'augmentation de la population âgée. Lorsque la population vieillit, le nombre de décès augmente mécaniquement. Cette mortalité en hausse est encore accentuée par le Covid-19, quand bien même les données sanitaires à ce sujet sont extrêmement opaques. 

Dans le même temps, la fécondité est basse (1,15), et très en deçà du seuil de renouvellement des générations (fixé à 2,05, soit environ deux enfants par couple qui remplacent les deux membres de ce même couple, ndlr). La baisse de la fécondité a été amorcée il y a une vingtaine d'année et la politique de l'enfant unique (arrêtée en 2016) y a grandement contribué. On ne sait pas dans quelle mesure la pandémie a certainement aggravé la tendance, de nombreux couples ayant reporté leur projet d'enfant dans ce contexte de crise. Néanmoins, ce décalage-là sera probablement rattrapé, dans une certaine mesure, dans le futur. 

En Chine, avoir un enfant coûte très cher
Isabelle Attané

D'autres causes de ce faible niveau de fécondité peuvent-elles être identifiées ? 

En Chine, avoir un enfant coûte très cher, notamment pour ce qui concerne l’éducation. Le système est très élitiste et donc très coûteux. De même, les modes de garde pour les enfants en bas âge ne sont que peu développés. De manière générale, le coût de la vie a explosé. 

Désormais, les Chinois préfèrent avoir moins d’enfants et ont pris l'habitude d'avoir de petites familles. Et ce n'est pas seulement le fruit de la politique de l'enfant unique, bien qu'elle ait favorisé ce trait. Il ne faut pas non plus négliger le fait que l'envie d'avoir un enfant a régressé chez les jeunes et, comme dans beaucoup d’autres régions du monde, apparaît de plus en plus tardivement. Sans oublier que le niveau d'études plus élevé des femmes repousse également les grossesses. 

En 2019, les Nations unies (ONU) pensaient encore que la Chine n’atteindrait son pic de population qu’en 2031-2032. Or, il semble qu'il ait été dépassé avec dix ans d'avance. Que s’est-il passé ? 

Lors de ses projections, l'ONU établit trois scénarios : bas, moyen, haut. L'hypothèse selon laquelle la population chinoise commencerait à diminuer vers 2030 correspondait au scénario moyen. La situation actuelle correspond davantage au scénario le plus pessimiste sur lequel a tablé l'instance.  

Il est probable que la Chine perde entre 100 et 200 millions d'habitants d'ici à 2050
Isabelle Attané

Que va-t-il se passer dans les années à venir ? 

La baisse va très probablement se poursuivre. L'inconnue réside surtout, à court terme, sur le poids du facteur conjoncturel - lié notamment à la crise du Covid-19. À quel point les naissances reportées du fait de la crise vont-elles être rattrapées ? À quel point le virus va-t-il augmenter la mortalité, dans un contexte où la fiabilité des données des autorités est incertaine ? La réponse à ces deux questions va, en partie, calibrer l'intensité de la diminution de la population. À plus long terme, la variante moyenne de l’ONU prévoit que la population chinoise perde 100 millions de personnes d'ici à 2050. Ce chiffre monte à 200 millions dans son scénario bas. Il est donc probable que ce recul se situe entre 100 et 200 millions d'habitants. 

La différence va être particulièrement visible au sein de la population en âge de travailler. Le nombre de "seniors" va, lui, continuer de croître. 

Est-il possible d'inverser la tendance ou les dés sont-ils déjà jetés ? 

En août 2021, les autorités chinoises ont mis en place une politique nataliste. Une famille peut désormais avoir jusqu'à trois enfants. Des incitations fiscales et autres allocations ont été instaurées. Les congés maternité et paternité ont été allongés. Des subventions sont accordées pour permettre de créer des crèches à moindre coût pour les familles et, de ce fait, faciliter l'articulation vie professionnelle et vie personnelle. Pékin a, par ailleurs, interdit les cours particuliers extra-scolaires, qui représentent une part importante du budget des foyers, afin de réduire le coût d’éducation. Dans les classes moyennes et supérieures, la pratique – qui coûte très cher – était très répandue. 

Mais cette batterie de mesures va mettre du temps à porter ses fruits. Et il est difficile de savoir si elles seront suffisantes. D'autant plus que l'habitude des familles réduites est à présent solidement ancrée dans le pays. En plus, la durée des études et le taux de chômage chez les jeunes continuent d'augmenter. 

Tout cela mis bout à bout, la Chine va prochainement perdre son statut de pays le plus peuplé au monde... 

Cette année ou l’année prochaine, l’Inde va devenir le pays le plus peuplé au monde. Et c’est parti pour durer. Pour inverser la tendance, il faudrait à la fois que la population indienne augmente moins vite et que la dynamique démographique de la Chine s’inverse. C’est improbable dans un cas comme dans l’autre. 


Maxence GEVIN

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