"Besoin de dire ce qu'ils ont vécu" : comment les enfants qui témoigneront au procès de l'attentat de Nice ont-ils été préparés ?

par Theodore AZOUZE
Publié le 6 mai 2024 à 9h16

Source : JT 13h Semaine

Ce lundi, des enfants de moins de 13 ans seront autorisés à témoigner devant la Cour d'appel de Paris dans le cadre du procès sur l'attaque terroriste du 14 juillet 2016 à Nice.
Un moment très attendu par certaines familles de victimes.
Comment ces mineurs ont-ils été préparés à cette prise de parole ? Plusieurs témoins racontent à TF1info.

Ils attendent ce moment avec détermination. Loin de l'impressionnante salle des grands procès sur l'île de la Cité à Paris, ils seront quelques-uns ce lundi à s'avancer devant l'écran de télévision installé dans une petite salle du palais de justice de Nice (Alpes-Maritimes). Stressés, forcément, mais aussi soulagés, souvent, de pouvoir prendre la parole en visioconférence depuis la Côte d'Azur pour témoigner devant la Cour d'assises spéciale de Paris. Celle-ci statue en appel depuis le 22 avril dernier sur l'affaire de l'attentat de la promenade des Anglais, le 14 juillet 2016.

Pour la première fois, neuf enfants, très jeunes au moment de l'attaque terroriste, sont ainsi autorisés à s'exprimer devant la justice. L'an dernier, lors du premier procès, aucun mineur de moins de 13 ans n'avait pu avoir cette opportunité. Après réflexion, le tribunal avait considéré que ces derniers, parfois âgés de 4 ou 6 ans au moment de l'attentat, étaient trop jeunes pour se présenter à la barre. Pourtant, certains d'entre eux s'y étaient préparés. Une impossibilité de parole vécue à l'époque comme un choc par certaines familles de victimes. Depuis, de nombreux acteurs font tout pour préparer au mieux à cette nouvelle audience les enfants rescapés de l'attaque niçoise.

Un accompagnement sur le plan judiciaire

Depuis 2022, Hager Ben Aouissi s'est ainsi donnée une mission : accompagner au mieux les enfants rescapés de cet attentat, au lourd bilan de 86 morts et plus de 450 blessés. Ce soir-là, 3000 enfants étaient présents sur le bord de mer pour assister au feu d'artifice de la fête nationale, quelques minutes avant qu'un camion, conduit par un terroriste islamiste, ne vienne percuter la foule. Ce soir-là, Hager et sa fille, Kenza, alors âgée de 4 ans, étaient, elles aussi, présentes. Dans un réflexe incroyable, la maman plaque soudainement son enfant au sol et la recouvre de son corps, juste avant le passage du poids-lourd. Toutes les deux passent miraculeusement entre ses roues. Elles s'en sortent avec des blessures, et de lourdes séquelles psychologiques.

Pour aider les mineurs qui ont survécu à cette soirée d'horreur, la rescapée a fondé l'association "Une Voie des enfants, 14 juillet 2016". Aujourd'hui, Kenza a 11 ans. Elle fait partie du groupe d'enfants qui va témoigner lors du procès en appel. "Ils ont besoin de dire ce qu'ils ont vécu eux-mêmes ; et ça, pour eux, c'est prendre le dessus, agir sur leurs problèmes", explique Hager Ben Aouissi, jointe par TF1info. Pour prédisposer au mieux les enfants à témoigner, l'association a mené de nombreuses actions. D'abord, quelques jours avant l'ouverture du procès, une visite de la salle de visioconférence où ces derniers seront installés a été organisée. L'objectif ? "Rendre ce processus judiciaire, qui peut être lourd, le moins intimidant possible pour eux en tant qu'enfants", souligne la présidente d'association. 

Rendre ce processus judiciaire le moins intimidant possible pour les enfants
Hager Ben Aouissi, présidente de l'association "Une Voie des Enfants"

L'avocate de la structure, spécialisée dans les droits des enfants, peut aussi répondre aux questions des familles au sujet du procès. La prise de parole d'un enfant lors d'un procès est d'ailleurs encadrée par la Convention des droits de l'enfant de l'Unicef. Le texte donne quelques "mesures" à appliquer pour "protéger la vie privée et le bien-être des enfants victimes et témoins" d'actes criminels. Parmi celles-ci, elles peuvent "consister à faire un enregistrement vidéo de leur déposition avant le procès et à permettre à l’enfant de témoigner sans devoir être mis en présence de l’accusé (...) ou qu’il dépose derrière un écran amovible ou un rideau pour ne pas avoir à soutenir le regard de l’accusé". Dans le cas du procès en appel de Nice, une bande dessinée a aussi justement été créée par l'association Montjoye pour sensibiliser les enfants rescapés à leur rôle durant le procès.

Des temps d'échange avec des psys

Mais, au-delà de cet accompagnement juridique en vue du procès, comment préparer psychologiquement les enfants à témoigner ? Juste avant leur récit à la barre, les enfants qui vont témoigner pourront bénéficier d'un temps d'échange avec plusieurs psychologues et un médecin. La professeure Florence Askenazy, pédopsychiatre au CHU de Nice, sera aussi présente à ce rendez-vous. Membre d'honneur de l'association "Une Voix des Enfants", elle suit depuis de nombreuses années certains des enfants témoins de l'attaque du 14 juillet 2016. "On va leur donner des conseils simples, écouter aussi les difficultés des enfants, et en fonction de ça, tenter de répondre à la demande en proposant déjà des groupes de soutien pour ceux qui le souhaitent, le temps du procès", indique à TF1info la professionnelle.

Des rencontres collectives, déjà effectuées au sein de l'association, peuvent aider les enfants à ne pas se sentir isolés face à ce qu'ils ont vécu. À la fin de la première semaine d'audience, plusieurs familles ont d'ailleurs partagé un moment dans un restaurant à volonté pour "décompresser" du procès en appel. Les enfants peuvent aussi échanger entre eux. "Ils me disent que ça leur donne de la force, souligne Hager Ben Aouissi. Ça les rassure de se parler, de raconter leurs cauchemars parce qu'ils voient qu'ils ne sont pas seuls."

Chaque enfant a eu un parcours traumatique et de résilience différent en fonction de sa prise en charge
Pr Florence Askenazy, pédopsychiatre à Nice

Les parents ont été confrontés à un choix difficile : autoriser, ou non, leurs enfants à témoigner. Un choix effectué en concertation avec les professionnels qui suivent toute l'année ces mineurs. "Chaque enfant a eu un parcours traumatique et de résilience différent en fonction de sa prise en charge, mais aussi de tous les facteurs de risque qui déterminent l'évolution du psychotraumatisme, rappelle Florence Askenazy. Pour certains, témoigner peut être tout à fait intéressant, pour d'autres, ça peut réactiver des éléments traumatiques. Pour ceux-là, il faudra être plus de vigilance et pouvoir les accompagner." 

Pour les parents favorables aux témoignages de leurs enfants, le retour d'expérience positif d'autres adolescents – qui, eux, avaient été autorisés à témoigner en première instance, car âgés de plus de 13 ans – a été déterminant. "[Ils expliquent] que c'était comme s'ils avaient posé un gros sac, qu'ils se sentent aujourd'hui plus légers, que ç'avait été une étape importante pour eux dans leur reconstruction, qu'il avait été important de parler au juge avec leurs propres mots, souligne Hager Ben Aouissi. "Je ne peux pas dire non à ma fille qui souhaite témoigner alors qu'elle y voit du sens et que les autres enfants qui l'ont fait disent que ça leur a fait du bien."

La fin du procès des deux accusés pour "association de malfaiteurs terroriste", Chokri Chafroud et Mohamed Ghraieb, est prévue pour le 12 juin. En première instance, ils avaient été respectivement condamnés à 18 ans de réclusion criminelle.


Theodore AZOUZE

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