INFO TF1 - Faux papiers : la police parisienne démantèle un vaste réseau impliquant des agents corrompus

par Georges BRENIER
Publié le 12 juin 2023 à 15h37, mis à jour le 12 juin 2023 à 16h10

Source : Sujet TF1 Info

Selon nos informations, huit personnes ont été récemment mises en examen, soupçonnées d'avoir fourni à des centaines d'immigrés clandestins en France de faux papiers.
Le réseau s'appuyait notamment sur des agents corrompus en poste en préfectures.

Ils pensaient être passés entre les mailles du filet. Depuis le début de leurs combines, il y a environ deux ans, personne n'avait jusqu'alors mis le nez dedans... Les enquêteurs de la Sous-direction chargée de la lutte contre l'immigration irrégulière (SDLII) au sein de la préfecture de police de la capitale ont brutalement mis fin, le lundi 5 juin 2023, aux activités de l'une des plus prolifiques équipes de faussaires présumés jamais connues en France. 

Depuis un an maintenant, une petite équipe de policiers spécialisés traquait les moindres faits et gestes de ce "commando", aussi rodé que discret. D'après nos informations, un juge d'instruction parisien leur a donné le top départ des interpellations la semaine dernière : sept hommes et une femme, âgés de 21 ans pour le plus jeune à 55 ans pour le plus vieux, ont été arrêtés à travers la région parisienne. "Usage de faux en écriture", "faux et usage de faux dans un document administratif", "aide à l'entrée et au séjour irréguliers d'étrangers en France"... Les faits reprochés par la justice à ce petit groupe de "pros" présumés du faux papier ne manquent pas. 

"Un degré de sophistication rarement vu en France"

En déboursant en moyenne la somme de 15.000 euros (payable en espèces uniquement), les clients du réseau, tous présents dans l'Hexagone en situation irrégulière, obtenaient le "kit" parfait pour accéder au droit de séjourner en France, en toute illégalité. Passeports, cartes d'identités, permis de conduire, fiches de paie, avis d'imposition, ordonnances médicales, contrats de travail... "Tout y passait", commente un connaisseur du dossier. "Les faux documents étaient parfois plus vrais que nature, un degré de sophistication rarement vu jusqu'alors en France."

Nombre de ces documents étaient falsifiés par des complices dans une officine basée en Turquie. Une fois terminés, ils étaient renvoyés en région parisienne par simples colis postaux, souvent déposés en "points relais", ou ramenés en avion avec la discrète complicité de "mules".

Mais les suspects - qui se donnaient entre eux les noms de code "le directeur", "la dame" ou encore "Kevin" pour brouiller les pistes - ne se sont pas arrêtés là. Ils avaient mis au point "une combine particulièrement ingénieuse", comme le raconte un responsable de la préfecture de police de Paris, encore interloqué par le mode opératoire inventé par l'équipe. Les faux titres d'identité étaient ainsi faits sous des identités de nombreuses nations européennes : Tchéquie, Slovénie, Lituanie, Croatie, Italie, Pologne... Autant de pays dont les documents officiels sont plus faciles à reproduire, car moins sécurisés que ceux fabriqués par exemple par les autorités françaises. "Ces pays d'Europe de l'Est attirent également moins l'attention de l'État", décrypte un magistrat. "Face à l'afflux de migrants, les préfectures peuvent mettre en place des processus plus contraignants avec les ressortissants africains ou du Moyen-Orient."

Plusieurs centaines de "clients" potentiels

Pierres angulaires du système, des agents présumés corrompus entraient alors en scène. Deux hommes affectés à la préfecture d'Argenteuil (Val-d'Oise) puis à Bobigny (Seine-Saint-Denis) ainsi qu'à Nanterre (Hauts-de-Seine) jouaient un rôle clef pour faire valider informatiquement ces faux documents, en toute connaissance de cause d'après l'enquête. Considérés comme un maillon central du système, ces deux suspects n'avaient jusqu'alors jamais attiré l'attention de leurs supérieurs hiérarchiques.

Ce trafic, dont le "service de recrutement" se situait dans des bars à chicha franciliens, permettait ainsi à de très nombreux clandestins de se faire passer pour des ressortissants de l'Union européenne. En prouvant frauduleusement qu'ils avaient travaillé ces dernières années sur le sol français, ils pouvaient alors obtenir de la part de l'État un précieux sésame, bien authentique celui-là : une carte de séjour de citoyen européen ou suisse. Le document si convoité fait office de titre de séjour pendant cinq ans, et offre les mêmes droits qu'une pure et simple naturalisation. Il est renouvelable automatiquement, pour cinq années supplémentaires. 

Une quarantaine de clients ont été identifiés au fil des investigations. Mais le nombre final se chiffre sans doute en centaines, le trafic ayant opéré depuis environ deux ans au moins et sans répit.

Huit individus mis en examen

Donneurs d'ordres, faussaires, petites mains du réseau, intermédiaires... Tous ont minimisé leur rôle pendant trois jours de garde à vue face aux enquêteurs du département Criminalité organisée au sein de la SDLII, faisant de rares aveux sur le bout des lèvres. Certains suspects sont allés jusqu'à nier purement et simplement toute activité délictuelle, peu importe les nombreuses preuves avancées à leur encontre (vidéosurveillance, écoutes téléphoniques, filatures...). 

Présentés à un juge d'instruction, les huit protagonistes ont tous été mis en examen. Cinq d'entre eux dorment désormais en prison, les autres ont été placés sous contrôle judiciaire. Les deux agents en préfecture ont l'interdiction formelle d'occuper des emplois liés à la délivrance de titres officiels aux ressortissants étrangers au sein de l'administration publique.

Jugées particulièrement fructueuses, les nombreuses perquisitions effectuées ont permis aux policiers de mettre la main sur un trésor de guerre : imprimantes laser dernier cri, ordinateurs, tampons encreurs, cartes plastiques vierges, innombrables documents d'identité vrais comme bidons... En plus de deux officines identifiées, plus de 110.000 euros en liquide ont été retrouvés aux différents domiciles visités par les enquêteurs. 

Le réseau n'avait visiblement aucune envie de prendre une retraite anticipée et de dire adieu à son juteux business. L'un des membres présumés du groupe est soupçonné d'avoir lancé il y a quelques mois sa propre filière - dissidente - de régularisation illégale, en reposant sur son savoir-faire acquis dans ce domaine. Là encore, en s'appuyant aussi sur un agent en poste en préfecture, en échange de quelques pots-de-vin.


Georges BRENIER

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