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Quelles sont les instances de contrôle des partis politiques dans les affaires de violences sexuelles ?

Publié le 24 mai 2022 à 20h43, mis à jour le 25 mai 2022 à 10h51
Quelles sont les instances de contrôle des partis politiques dans les affaires de violences sexuelles ?
Source : bertrand GUAY / AFP

L’affaire Damien Abad pose la question du suivi des accusations de violences sexistes et sexuelles qui pèsent sur des élus et militants politiques.
Si la gauche est pionnière sur ces questions, les partis de droite n’ont créé aucun comité pour accompagner les victimes présumées.

Mise à jour du 25/05 : l'exemple d'Aurane Reihanian a été complété avec le non-lieu dont il a bénéficié en septembre 2021. 

Avant d’être nommé ministre des Solidarités et d'être accusé publiquement de viol par deux femmes, Damien Abad a été des années membre des Républicains, dont trois ans président du groupe à l’Assemblée. Hormis la question de son maintien au gouvernement, les révélations de Mediapart posent celle du suivi en interne, par les partis politiques, des affaires de violences sexistes et sexuelles. Quels dispositifs sont mis en place ? Comment les accusations à l’encontre de cadres des partis, d’élus ou de militants sont-elles gérées ? 

Un examen jusqu'à quatre mois chez EELV

Sur les grands partis politiques que nous avons interrogés, de manière non exhaustive, seul le Rassemblement national n’a pas répondu au sujet de l’existence d’un organe ou de référents dédiés à ces questions dans ses instances. Il apparait que la gauche est la plus procédurale sur le suivi des affaires sexistes et sexuelles. La France Insoumise (LFI) et Europe Écologie Les Verts (EELV) disposent chacun d’une cellule spécialisée, depuis fin 2018 pour le premier et 2019 pour le second. Ainsi, chaque victime présumée, élue ou militante, peut déposer anonymement son témoignage sur une boite mail. 

Chez LFI, les dossiers ouverts à la suite d'un signalement prennent deux à quatre semaines pour être traités. Depuis décembre 2020, la cellule a reçu 15 signalements qui ont donné lieu à des enquêtes internes. Parmi eux, huit ont été suivis d’une sanction (une suspension par exemple), quatre sont en cours de procédure et deux ont été clos en l’absence de faits établis de violences sexuelles.

Sur le site de LFI, une adresse mail est disponible pour livrer anonymement son témoignage visant un élu ou militant
Sur le site de LFI, une adresse mail est disponible pour livrer anonymement son témoignage visant un élu ou militant - DR

Hormis ces cas, le parti se plie à un principe de précaution, spécialement en période d’investitures pour des élections, qui les pousse à agir avant que le dossier ne soit clos. C’est ce qui est arrivé à l’ancien candidat Taha Bouhafs, qui a dû retirer sa candidature, mais dont le dossier est toujours examiné. "Il y a des cas où l’on peut donner l'alerte car on estime qu'il y a un caractère d'urgence", indique Sarah Legrain, membre du comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles. 

À EELV, l’examen de chaque dossier prend plus de temps, "entre deux et quatre mois", précise Jérémie Crépel, du bureau exécutif du parti et responsable du suivi de la cellule. "S’il y a une suspension qui est décidée, c’est quatre mois maximum. Il y a parfois des dossiers qui n’aboutissent pas et qui sont rouverts avec un témoignage supplémentaire apporté plus tard." Cette cellule est chargée de "moins d’une dizaine de cas" par an et, depuis 2022, peut suspendre elle-même le militant visé par un signalement. Les mesures prises peuvent comprendre la suspension de plusieurs mois, une alerte au procureur ou un accompagnement de la victime présumée dans sa plainte.

Un principe de précaution appliqué

À EELV comme au Parti socialiste (PS), le principe de précaution s’applique donc en période électorale. La numéro deux du PS, Corinne Narassiguin, cite l’exemple du candidat aux municipales à Strasbourg, Matthieu Cahn. Pourtant, celui-ci avait été seulement rétrogradé en deuxième position sur la liste des municipales, après des révélations des photos érotiques de jeunes femmes qu’il aurait postées sur un blog. Il avait fini par se retirer de la campagne de lui-même.

Jusqu’ici, le PS a géré ces affaires avec des commissions créées ad hoc, choisies par le bureau national. Aujourd’hui, le parti veut mettre en place une Haute autorité indépendante grâce à la réforme de ses statuts au congrès de septembre 2021. "Cette commission n’est pas encore mise en place, nous n’avons pas eu besoin de la créer de manière précipitée car nous n’avons pas eu d’affaires à traiter récemment", avance Corinne Narassiguin, qui vise une création après les législatives. Le parti réfléchit aussi à l’ouverture d’une boite mail, garantissant l’anonymat des témoignages. "La question, c’est qui réceptionne. Mais c’est un travail en cours. Le PS s’est inspiré des autres organes mis en place à gauche, des Écologistes aux Communistes." 

À La République En Marche, renommée Renaissance, une plateforme dite "cellule alerte" est accessible sur le site du parti. Elle permet si besoin l’anonymat mais ne fonctionne que pour les salariés et les adhérents, et donc pas pour l'ensemble des militants. Dans le parti, le principe de précaution ne prime pas : en effet, des personnalités accusées de violences sexuelles mais pas condamnées ont pu être investies pour les législatives. "La cellule est active et a d’ores et déjà été amenée à prendre des sanctions", nous indique le parti, qui rapporte 77 alertes émises depuis janvier 2020. Parmi elles, deux ont concerné "des cas de harcèlement et ont mené à des exclusions" et "un comportement non approprié a donné lieu à une sanction interne". Ces sanctions peuvent aller du simple rappel à l’ordre à l’exclusion "en fonction de la nature de l’acte mis en cause". Sur le cas de Damien Abad, Renaissance tient à rappeler que ce dernier n’était pas encarté chez eux mais chez LR ces dernières années.

La plateforme "cellule alerte" de LaREM est accessible sur le site du parti, permettant de réceptionner des alertes pouvant être anonymes
La plateforme "cellule alerte" de LaREM est accessible sur le site du parti, permettant de réceptionner des alertes pouvant être anonymes - DR

Interrogé sur les moyens existants sur les violences sexistes et sexuelles, LR nous indique simplement que si un cas se présente, il appartient à la direction générale et aux ressources humaines d’être saisies. Les signalements, eux, doivent être transmis au secrétaire général, Aurélien Pradié. Contacté, ce dernier nous explique avoir eu affaire à trois situations, qui ont toutes donné lieu à des procédures internes et des suspensions. Parmi celles-ci, le cas médiatisé en 2020 d’Aurane Reihanian, président des Jeunes Républicains, accusé d’agression sexuelle par deux femmes. Ce dernier avait été suspendu un temps avant d'être investi pour les municipales, puis avait bénéficié d'un non-lieu par la justice en septembre 2021 suite à la plainte de l'une d'entre elles. Aujourd'hui, il est candidat aux législatives, dans la 4e circonscription de l’Ain.

"Quand on me saisit, on me saisit vraiment. J’ai un mail dédié", se scandalise par ailleurs Aurélien Pradié, faisant référence au signalement qu’a émis l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politiques au sujet de Damien Abad. Le député LR affirme ne jamais avoir été saisi "en dehors de ces trois affaires". Et dit ne pas croire à un "organe procédural" pour traiter de ces questions en interne. "Dans un parti politique, la parole est extrêmement difficile à libérer."

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Caroline QUEVRAIN

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