Peut-on "réserver" les logements sociaux aux Français, comme le souhaite Marine Le Pen ?

par Benjamin DARD
Publié le 16 février 2022 à 20h13, mis à jour le 16 février 2022 à 20h29
La candidate RN à la présidentielle Marine Le Pen à Paris, le 18 févier 2022.
La candidate RN à la présidentielle Marine Le Pen à Paris, le 18 févier 2022. - Source : STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Marine Le Pen a proposé de "réserver" les logements sociaux "aux Français en difficulté".
Le droit actuel ne permet pas une telle mesure, en vertu du principe d'égalité.
Cela n'interdit pas toutefois certaines différences de traitement, dans des conditions particulières.

Peut-on réserver les logements sociaux aux seuls Français ? Lors d’un déplacement à Hayange en Moselle le 23 septembre dernier, Marine Le Pen a ainsi justifié sa proposition : "le logement social étant financé par les Français, il est logique qu’il soit réservé d’abord aux Français en difficulté".  

Est-ce possible ? Aujourd’hui, cette proposition ne respecte pas le cadre actuel de notre droit. Pourquoi ? Parce qu’elle heurte la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel rappelée en 2016 qui fait référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et son premier article : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune."

"Les étrangers jouissent des droits à la protection sociale"

Ce principe d’égalité protège aussi les étrangers dans l’accès au logement social, dixit le Conseil Constitutionnel. Dans une décision de 1993, ce dernier a jugé que "les étrangers jouissent des droits à la protection sociale, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français"

Pourquoi ? Parce qu’aux yeux du Conseil constitutionnel, les étrangers paient leurs impôts et cotisent comme les Français, or le logement social est financé aussi grâce à leurs cotisations, contrairement à ce qu'affirme Marine Le Pen.  Ainsi, les étrangers y ont droit. "Si l'on interdit aux étrangers l’accès au logement social, est-ce que Marine Le Pen compte alléger la fiscalité des étrangers ?", questionne ainsi Vincent Couronne, des Surligneurs. 

Les différences de traitement sont possibles

Pour autant cela n’interdit pas les différences de traitement, mais celles-ci doivent répondre à trois conditions, selon le Conseil constitutionnel. Première condition, il faut prouver que les étrangers ont une vie différente de celle des Français, par rapport au service public du logement social. "Dès lors que ce service public sert à fournir un logement décent à ceux dont les moyens sont insuffisants, on voit mal ce qui fait la différence entre un étranger en situation régulière aux faibles revenus et un Français aux faibles revenus", explique Vincent Couronne.

Deuxième condition, la différence de traitement doit être en rapport direct avec l’objectif de la loi. Or l’objectif du service public du logement social, c'est de loger des personnes aux bas revenus, "pas de réguler les flux migratoires, même si on peut rappeler que les logements sociaux ont servi dès les années 1960 à héberger les nombreux étrangers que la France avait fait venir pour travailler dans les usines", note le juriste. 

Troisième condition : on peut traiter différemment Français et étrangers, mais seulement s’il y a un intérêt général qui le justifie. Dans le cas présent, quel l’intérêt général permettrait que le traitement soit différent. La "préférence nationale", ou la "réduction de l’immigration" ? 

Une modification de la Constitution s'imposerait

À quelles conditions la proposition de Marine Le Pen pourrait-elle être mise en œuvre ? Seule solution pour la candidate du RN : changer la Constitution et y faire figurer une disposition prévoyant par exemple, selon Vincent Couronne, que "la maitrise de l’immigration fait partie des objectifs d’intérêt général", une disposition dont l'objectif serait de limiter la portée de l’article 1 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. 

Pour y parvenir, deux voies s’offrent à Marine Le Pen. La première est la voie parlementaire, qui contraindrait la candidate du RN, si elle était élue, à réunir l’Assemblée nationale et le Sénat en Congrès pour les faire voter aux trois cinquièmes une telle réforme constitutionnelle. Cela suppose un soutien massif des parlementaires à cette initiative, ce qui est difficilement envisageable dans le contexte politique actuel. 

Autre solution, la voie du référendum. "Marine Le Pen pourrait recourir à l’article 11, comme le général De Gaulle l’a fait, afin de modifier la constitution." Un tel référendum pourrait s’organiser en l’espace de deux ou trois mois. 


Benjamin DARD

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