Des lycéens et étudiants ont-ils été fichés S après la mobilisation au lycée Arago ?

Anaïs Condomines
Publié le 22 mars 2019 à 17h13, mis à jour le 22 mars 2019 à 17h22
Des lycéens et étudiants ont-ils été fichés S après la mobilisation au lycée Arago ?
Source : Capture d'écran Twitter

A LA LOUPE - Une quinzaine d'avocats alertent ce vendredi 22 mars sur des soupçons de fichage "S" de plusieurs de leurs clients, lycéens et étudiants impliqués dans la mobilisation au lycée Arago, à Paris, pendant les manifestations contre ParcourSup, en mai 2018. Nous faisons le point.

"L'affaire Arago", à l'époque, avait fait grand bruit. Le 22 mai 2018, dans ce lycée du 12e arrondissement de Paris, une centaine de personnes, dont 27 mineurs, avaient été interpellés par les forces de l'ordre alors qu'elles tentaient d'occuper l'établissement en marge d'une manifestation de fonctionnaires et dans le cadre de la loi réformant l'accès à l'université. Les conditions des interpellations avaient choqué, puisque certains mineurs avaient dû patienter plusieurs heures dans un fourgon avant d'être placés en garde à vue. Leurs parents, sans nouvelles, les avaient cherchés toute la nuit. 

Un dossier qui connaît aujourd'hui de nouveaux rebondissements. Ce vendredi 22 mars, une quinzaine d'avocats impliqués dans la défense de ces jeunes font part de leurs soupçons : d'après eux, certains de ces lycéens et étudiants seraient sous le coup d'une fiche "S" pour "Sûreté de l'Etat" et donc inscrits au fichier des personnes recherchées (FPR).

Recherchée dans son hôtel

Pour l'heure, leurs craintes en restent au stade de suppositions. Mais, contactés par LCI, ces professionnels du droit font état d'un faisceau d'indices importants. Au départ, la rédaction de leur communiqué a été déclenchée par l'accumulation de trois cas, qui les intriguent. Les deux premiers cas sont ceux de deux jeunes femmes, condamnées dans l'affaire Arago à deux mois d'emprisonnement avec sursis, pour intrusion sans autorisation dans un établissement scolaire. Celles-ci sont majeures et, avant les faits, étaient inconnues des services de police. Maître Aïnoha Pascual, qui défend l'une des jeunes femmes, nous explique : "Elles sont parties séparément en vacances à l'étranger. Et toutes deux nous ont rapporté avoir été longuement bloquées par la police aux frontières. Elles ont enduré une longue attente et des questionnements précis, qui s'apparentent à un contrôle dans le cadre d'une fiche S."

Ce n'est pas tout. Jeudi 21 mars, une autre jeune femme, âgée d'à peine 20 ans, est entrée en contact avec son avocat. En voyage en Italie avec son école, celle-ci a été avertie de la venue de la police italienne dans son hôtel, cherchant à confirmer sa présence. Les forces de l'ordre se sont alors entretenues avec ses professeurs, puis sont reparties. Son conseil, Matteo Bonaglia, contacté par LCI, soupçonne lui aussi l'existence d'une fiche S : "Ces fiches figurent au fichier des personnes recherchées. Et dans le cadre de la coopération européenne, cela pourrait expliquer pourquoi les forces de l'ordre italiennes se sont intéressées à ma cliente." Pourtant, ajoute-t-il, "les poursuites judiciaires à son encontre avaient été abandonnées, en raison d'une nullité soulevée sur le procès verbal". Elle n'avait donc même pas été jugée. 

Un autre jeune homme interrogé à la frontière britannique

Enfin, selon nos informations, depuis la publication de ce communiqué, un autre jeune s'est manifesté auprès de son avocat. "Mon client, qui est devenu majeur l'hiver dernier, m'a rapporté qu'il partait en week-end en Angleterre en bus avec une amie en janvier dernier lorsqu'il a été longuement interrogé par la police aux frontières" nous détaille son conseil, Adrien Mamère. "Il me précise que les autres passagers du bus n'ont pas été interrogés. On lui a demandé son lieu de naissance, de résidence, la profession de ses parents et la raison de son voyage, avant de le laisser repartir." Ce garçon, à qui il est aussi reproché d'avoir pénétré sans autorisation dans l'établissement scolaire, n'a pas été jugé non plus. Le juge pour enfants est toujours saisi de son dossier. 

Des contrôles judiciaires annulés en juin

Mais ces interrogatoires prolongés signifient-t-ils nécessairement que ces jeunes sont sous le coup d'une fiche S ? En réalité, ces demandes de précision de la police auraient pu se dérouler également sous le régime d'un contrôle judiciaire, par exemple dans le cas où ces personnes auraient été interdites de quitter le territoire. Ils pourraient alors faire l'objet d'une fiche J, pour "judiciaire", elle aussi inscrite au fichier des personnes recherchées. Mais là, il y a un hic. Adrien Mamère nous affirme que son client, passé devant le juge des enfants en juillet 2018, n'a jamais été placé sous contrôle judiciaire. Idem concernant la cliente de Matteo Bonaglia, recherchée en Italie jusque dans son hôtel.

D'autres mis en cause dans ce dossier ont un temps fait l'objet d'un contrôle judiciaire avec, pour au moins l'une d'entre elles, interdiction d'aller dans le 12e arrondissement de Paris. Mais là encore, ça ne colle pas : en effet, d'après nos informations, tous les contrôles judiciaires, dans le dossier Arago, ont été annulés le 15 juin 2018, après que les avocats se sont battus pour soulever des conclusions en nullité. Reste donc l'hypothèse... d'un bug, qui aurait permis que soient conservés les noms des jeunes concernés sur la fiche J, plus de six mois après la levée de la mesure coercitive. Sur ce point, les avocats se montrent sceptiques : ils sont persuadés que leurs clients ont été fichés S.

Des recours à venir

D'où leur volonté de déposer très prochainement plusieurs recours, pour faire toute la lumière sur cette histoire. L'un des avocats impliqué dans ce dossier nous confirme qu'une procédure sera bientôt engagée auprès de la CNIL, qui a les moyens de dépêcher un magistrat afin de connaître la teneur de ces fiches de renseignement. En cas d'échec, une saisine du ministère de l'Intérieur est envisagée. Et si le ministère refuse de donner les informations attendues, alors les avocats de ces jeunes pourront engager un recours devant le Conseil d'Etat. En attendant, sollicité par nos soins ce vendredi, le ministère de l'Intérieur n'a pas encore répondu à nos sollicitations. 

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Anaïs Condomines

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