Attaque terroriste à Paris : qu'est-ce que le programme de "déradicalisation" Pairs ?

Publié le 6 décembre 2023 à 16h05

Source : TF1 Info

L'auteur de l'attaque terroriste survenue à Paris ce 2 décembre avait déjà été condamné pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste.
Après avoir effectué sa peine, il avait pourtant bénéficié d'un programme inédit de "déradicalisation", appelé Pairs.
Retour sur le fonctionnement de ce dispositif, dont Armand R. est, à ce jour, le premier cas de récidive.

Un accompagnement "cousu main" pour permettre un "retour en société". Depuis son lancement en 2018, un programme, baptisé Pairs, accompagne des détenus afin de les aider à se désengager de l'idéologie djihadiste. Ce dispositif inédit de "déradicalisation" avait été suivi par Armand R., auteur de l'attaque au couteau survenue ce samedi 2 décembre à Paris. 

Il l'avait intégré après avoir purgé une peine de prison de quatre ans pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste à la Défense, en 2016. Retour sur les objectifs et le fonctionnement de ce dispositif, unique en Europe, qui  vient d'enregistrer son premier cas de récidive. 

Éviter la récidive

Le dispositif Pairs, initiales de "Programme d'accompagnement individualisé et de réaffiliation sociale", est un programme qui vise à suivre, hors de prison, des personnes, poursuivies ou condamnées pour des faits de terrorisme. Peuvent aussi être concernés les détenus de droit commun susceptibles de radicalisation (DSCR).

L'objectif de ce programme, décidé par le juge, est "d'éviter la récidive ou le basculement vers la radicalisation violente", indique le Groupe SOS, l'un des grands acteurs de l'entrepreneuriat social et qui est mandaté par l'administration pénitentiaire pour mener ce programme. La mission est également de favoriser "la réinsertion sociale et l'acquisition des valeurs de la citoyenneté".

Une approche pluridisciplinaire

Pour ce faire, chaque personne va bénéficier d'un accompagnement individualisé. Suite à une phase d'évaluation, un programme est dressé, avec une approche pluridisciplinaire. "Nous avons des travailleurs sociaux, des éducateurs spécialisés, assistantes de service social, conseillers en insertion professionnelle, psychologues, des médiateurs interculturels et du fait religieux", énumère auprès de TF1info, le directeur du pôle justice du Groupe SOS, Nicolas Valet. "On va vraiment avoir une vision à 360° sur différents facteurs de risques". Les professionnels vont notamment permettre d'"identifier l'origine de la radicalisation" et d'adapter en fonction la prise en charge.

"L'idée, c'est de pouvoir développer un contre-discours, de pouvoir susciter le doute, et de pouvoir amener les personnes à un désengagement de la violence. Ce qui est indiqué, ce n'est pas la religion n'est pas possible, c'est l'expression violente de la religion sur lequel nous travaillons", souligne le responsable. "On ne touche pas à la pratique cultuelle, mais on apporte une approche sociologique, historique, anthropologique", détaillait également l'administration pénitentiaire française à propos du dispositif auprès de l'AFP. 

Le programme, qui peut s'étaler jusqu'à 20 heures par semaine, multiplie donc les activités, passant par des entretiens, des rencontres avec des auteurs ou des reporters de guerre, ou encore des visites au département d'art islamique du musée parisien du Louvre. Un suivi psychiatrique, une insertion professionnelle ou la fourniture d'un logement peuvent aussi être proposées.

Un programme en cours d'extension

La prise en charge, répartie sur quatre centres, à Paris, Marseille, Lyon et Lille, peut être individuelle ou collective. Une attention très fine est néanmoins menée sur l'organisation de ces sessions à plusieurs, afin d'éviter de "reconstituer des groupes terroristes", selon les termes de Nicolas Valet. Comme son organisation, la durée du programme, déterminée, elle aussi, par l'autorité judiciaire, varie en fonction des individus. "On peut avoir des prises en charge de six mois comme on peut avoir des personnes qui peuvent aller jusqu'à quatre ans de prise en charge", explique le responsable du programme. Actuellement, 97 personnes sont suivies par Pairs, d'après une source judiciaire à TF1info.

Par ailleurs, ce sont 400 personnes qui sont passées par ce dispositif depuis sa mise en place, en octobre 2018. L'auteur de l'attaque au couteau à Paris ce week-end est le premier à avoir suivi le programme et à être ensuite passé à l'acte. Pour le responsable justice du Groupe SOS, cela ne doit néanmoins pas remettre en question le bon fonctionnement de dispositif. "Garantir l'absence totale de récidive, ou de prédire les choses, ça n'existe pas", souligne Nicolas Valet.

"Même avec l'intervention d'un psychiatre, avec notre intervention intensive et très large, l'être humain peut passer à l'acte. Notre travail, c'est de réduire au maximum ces possibilités de récidive ou de réitération", met-il encore en avant. Dans une étude du Centre des études de sécurité de l'Ifri sur ce programme menée entre août 2019 et octobre 2020 et publiée en février 2021, l'auteur, Marc Hecker, fait également état de résultats positifs, tout en notant quelques "échecs", avec notamment des retours en détention pour certains individus.

Dans cette étude, le chercheur spécialisé dans l'étude du terrorisme et de la radicalisation recommande de poursuivre de telles tentatives de "déradicalisation". "Renoncer brusquement à tout dispositif de désengagement serait contre-productif et reviendrait à hypothéquer l’avenir", observait le chercheur. Cette politique d'extension était encore à l'œuvre jusqu'à la veille de l'attentat. Une source judiciaire rapporte effectivement qu'un marché public est en cours pour doubler les capacités d'accueil des centres du dispositif Pairs.


Aurélie LOEK

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