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Délinquance, insécurité... La France, un "pays encore moins sûr que le Mexique" ?

Publié le 27 septembre 2022 à 17h20

Source : JT 20h Semaine

Des classements relatifs à la délinquance sont très largement commentés ces derniers jours.
La France est décrite comme moins sûre que des pays comme le Mexique, tandis qu'une ville comme Nantes serait plus dangereuse que Bogotá.
Ce constat se base sur les données d'un site nommé "Numbeo", à la méthodologie particulièrement discutable et peu fiable.

Un pays de moins en moins sûr, des villes devenues particulièrement dangereuses... C'est un tableau très négatif de la France et de ses métropoles qui est dépeint depuis plusieurs jours en ligne et dans les médias. L'avocat Gilles-William Goldnadel s'est par exemple ému sur Europe 1 que notre pays soit "encore moins sécure [sic] que le Mexique", tandis que des articles évoquent la situation critique observée dans les métropoles de l'Hexagone : celles-ci, apprend-on, "dévissent dans le classement mondial des villes les plus sûres". Problème : il s'agit de constats basés sur les données d'un site controversé, dont la fiabilité est régulièrement remise en question.

Des résultats faciles à manipuler

Les sites qui évoquent ces problèmes majeurs de sécurité à travers le territoire s'appuient sur un article du Figaro, publié le 23 septembre. Ce dernier indique se baser sur le "dernier classement mondial réalisé par Numbeo basé sur le sentiment de sécurité des visiteurs". Contrairement à ce qu'affirme CNEWS, cette plateforme n'est pas une "référence en matière de données sur les villes et les pays du monde", et ce malgré les très nombreuses citations dont elle bénéficie dans la presse. 

Pourquoi douter des résultats ici présentés, qui laissent par exemple à penser que seuls le Brésil et l'Afrique du Sud seraient des pays moins sûrs que la France ? Le cœur du problème vient de la méthodologie employée par Numbeo, site créé en Serbie et qui s'est spécialisé depuis plusieurs années sur la réalisation de classements basés sur des données "crowdsourcées". Derrière ce terme, un concept simple : permettre à tout un chacun de contribuer en ligne en renseignant des informations. En pratique, n'importe qui peut partager son ressenti et venir sur la plateforme donner son avis, en quelques clics. Contrairement à des enquêtes officielles, telles que celles de l'Insee ou réalisées par des ministères, le contrôle des remontées d'internautes est ici réduit au strict minimum, ce qui entache de fait sa fiabilité. Rien ne peut par exemple prouver que les personnes votant sur le site se sont bien rendues dans les villes qui sont évaluées. De la même manière, il est tout à fait envisageable que des programmes informatiques (des "bots") soient conçus pour voter à de multiples reprises, faussant ainsi les résultats.

Pour se convaincre du manque de fiabilité des classements fournis par Numbeo, il est possible de s'intéresser à certains indicateurs. La comparaison entre la France et le Mexique a par exemple de quoi laisser pantois : en 2021, on a déploré dans l'Hexagone 930 homicides, tandis que l'on en comptait 33.308 au Mexique, soit 91 par jour en moyenne. Si la population mexicaine est deux fois supérieure à la nôtre, il s'agit ici d'un chiffre plus de 30 fois supérieur ! 

Il y a quelques mois, TF1info avait déjà montré la grande fragilité des classements proposés par Numbeo. La municipalité de Nice avait en effet lancé une campagne de communication s'appuyant sur des données issues du site serbe : à les croire, la métropole azuréenne était tout simplement la plus sûre de France. Un classement bouleversé en quelques jours par une foule d'internautes : leurs participations ont très largement fait évoluer le score global de Nice, qui s'est vue reléguée à la 404e place du classement mondial. Juste derrière... Damas, en Syrie. 

Interrogés par l'AFP, des chercheurs ont confirmé qu'ils n'accordaient aucun crédit aux données récoltées par Numbeo. "Pour des études en sciences sociales, cette approche ne vaut rien", a ainsi lancé David Weinberger, directeur de l'Observatoire des criminalités internationales de l'IRIS. Notons enfin que les comparaisons entre pays se révèlent toujours très délicates lorsqu'il s'agit de traiter de la délinquance. En raison, notamment, du choix des indicateurs retenus. Un nombre élevé d'interpellations peut en effet être analysé de plusieurs manières : si certains y verront la preuve de délits très nombreux, d'autres noteront plutôt que les forces de l'ordre font du très bon travail, et parviennent à prendre la main dans le sac les délinquants. Cela vaut également pour le nombre de personnes détenues en prison, difficile à analyser puisque très variable en fonction des politiques publiques carcérales. Compter peu de prisonniers incarcérés pourra tout autant être synonyme de criminalité réduite que d'aménagements de peines généralisés. 

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Thomas DESZPOT

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