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Un décret va-t-il "interdire l'usage domestique de l'eau de pluie", y compris pour les potagers ?

Publié le 3 octobre 2023 à 19h30

Source : JT 13h Semaine

Une pétition en ligne affirme que "tous les usages domestiques de l'eau de pluie sont désormais interdits en France".
Cette rumeur s'appuie sur un décret publié le 29 août.
Les internautes en font une lecture erronée.

Avec les épisodes de sécheresse toujours plus fréquents en France, l'eau de pluie est plus que jamais une ressource précieuse. Si bien que le gouvernement souhaite en interdire l'usage domestique ? C'est ce que prétend une rumeur largement partagée sur les réseaux sociaux. Dans une publication mise en ligne le 25 septembre, un internaute s'alarme d'un récent décret, signé selon lui "pour interdire l'usage domestique de l'eau de pluie, y compris pour les potagers". 

"C'est quoi ce délire", s'inquiète un commentaire, quand un autre ironise sur "l'oxygène qui devra être respiré dans des bouteilles vendues par le gouvernement". Mais qu'en est-il réellement ? 

Cet internaute se demande si l'eau de pluie sera bientôt interdite dans les habitations et au potager, le 25 septembre 2023
Cet internaute se demande si l'eau de pluie sera bientôt interdite dans les habitations et au potager, le 25 septembre 2023 - Capture d'écran

Le message fait référence à une vidéo vue plus de 320.000 fois depuis le 24 septembre. Dans cette longue présentation de plus d'une heure, plusieurs intervenants engagés sur la question de l'utilisation de cette ressource redoutent qu'un décret "donne suite à de futures interdictions sur son utilisation". Un ton un peu plus nuancé, mais qui reste soucieux. Si bien qu'une pétition a été lancée. Intitulée "Touchez pas à notre eau de pluie", elle a recueilli plus de 12.000 signatures en l'espace de deux semaines. 

L'usage de l'eau de pluie, un droit inscrit dans le Code civil

Les auteurs de la vidéo s'appuient sur le décret du 29 août dernier "relatif aux usages et aux conditions d'utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées". Un texte réglementant les usages "non-domestiques", comme le souligne un intervenant du film, et qui exclut donc les particuliers. Alors pourquoi une telle inquiétude ? À cause d'une petite phrase qui s'est glissée dans une sous-section de l'article 8, dans laquelle il est mentionné que l'utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées "n'est pas possible à l'intérieur (…) des locaux à usage d'habitation". 

Une précision qui fait sursauter l'auteur de la vidéo. Il évoque l'hypothèse d'une information "cachée discrètement". Par la suite, il est aussi mentionné que ces eaux récoltées ne peuvent être utilisées "pour l'arrosage des espaces verts des bâtiments". "Ça concerne tous les bâtiments et tous les espaces verts, donc le jardin aussi", assure un participant à la vidéo. Et de conclure : "Donc, tous les particuliers, dans leur usage domestique, ne peuvent plus utiliser de l'eau de pluie, même pas pour arroser leur potager ou leur plante verte."

Professeur de droit public et membre des Surligneurs, un collectif spécialisé en "legal-checking", Jean-Paul Markus l'assure pourtant auprès de TF1info : "Rien, dans ce décret, n'interdit l'usage de l'eau de pluie." Selon lui, l'acte n'amène d'ailleurs "rien de nouveau". Alors, à quoi fait référence le passage relevé précédemment ? Si les "habitations" sont bien citées, il ne concerne que le Code de l'environnement. Certains usages, encadrés par d'autres textes, en sont donc exclus. 

"L'utilisation des eaux de pluie à l'intérieur des locaux à usage d'habitation et pour les usages domestiques ne relève pas du Code de l'environnement" puisque celle-ci est "régie par le Code de la santé publique", nous rappelle le ministère de la Transition écologique. Il faut se tourner vers l'arrêté du 21 août 2008 "relatif à la récupération des eaux de pluie et à leur usage à l'intérieur et à l'extérieur des bâtiments", qui prévoyait déjà un certain nombre de restrictions. Il dispose que l'eau de pluie collectée à l'aval de toitures inaccessibles "peut être utilisée uniquement pour l'évacuation des excrétas et le lavage des sols", et "à titre expérimental, pour le lavage du linge". Ce texte est toutefois "amené à évoluer dans les mois qui viennent", précise le ministère. 

Dès lors, comment être sûr que le décret ne vienne pas "créer une faille" ouvrant la voie à plus de restrictions, comme s'en inquiètent les auteurs de la vidéo ? "Ce décret ne remet pas en cause les lois relatives aux eaux de pluie", dont l'utilisation est protégée par le Code civil, selon lequel "tout propriétaire a le droit d'user et de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds", rassure Jean-Paul Markus.

Rarement l'interprétation d'un texte aura été si contraire au texte lui-même
Jean-Paul Markus, professeur de droit public et membre des Surligneurs

Tout en reconnaissant que le sujet est "un peu complexe" à cause d'un nombre important de sources différentes, l'universitaire estime que le décret vient en réalité "simplifier les procédures". Le texte s'inscrit même d'après lui dans une volonté plus large du législateur d'"encourager" l'usage de l'eau de pluie. À titre d'exemple, le directeur de la rédaction des Surligneurs cite la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, qui pose le principe d'une "utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau, notamment par (…) l'utilisation des eaux de pluie en remplacement de l'eau potable". 

En résumé, l'analyse des internautes relève d'une mauvaise compréhension du décret. L'utilisation de l'eau de pluie n'est pas interdite, elle est au contraire promue. Seules quelques restrictions, inscrites dans le Code de santé publique, la limitent pour éviter les risques sanitaires.

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Felicia SIDERIS

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