Peut-on vivre jusqu'à 120 ans "avec un bon ADN et un peu de chance" ?

Publié le 21 septembre 2019 à 18h33
Peut-on vivre jusqu'à 120 ans "avec un bon ADN et un peu de chance" ?
Source : Photo d'illustration CC BY Laura Thonne

À LA LOUPE – Le patron d'Apple l'a assuré dans une interview : il ne croit pas à l'immortalité. Tim Cook estime néanmoins que "d'après les scientifiques", l'Homme peut vivre jusqu'à 120 ans. Pourrions vraiment tous prétendre à vivre aussi vieux que Jeanne Calment ? Pas si sûr.

"Je pense que chaque personne devrait profiter de chaque minute de sa vie comme si c'était la dernière." Ces mots ne sont pas tirés d'un ouvrage sur le développement personnel, mais d'une interview de Tim Cook dans les colonnes de l'hebdomadaire Le Point. Dans cet entretien, le patron d'Apple et successeur de Steve Jobs évoque entre autres le projet de monnaie développé par Facebook, mais ne parle pas uniquement d'innovation et de technologie.

Il s'aventure en effet sur le terrain de la santé, avec des déclarations assez surprenantes. "Je ne suis ni un scientifique ni un médecin", tient-il à préciser, "mais je crois savoir que, d'après les scientifiques, il a été établi de manière très claire que, avec un bon ADN et un peu de chance, on pouvait vivre jusqu'à 120 ans." 

120 ans, une barrière symbolique ?

Quelques minutes sur les moteurs de recherche suffisent pour observer que lorsque sont évoquées les frontières de l'espérance de vie, la barre des 120 ans revient de façon systématique. Faut-il y voir un effet "record", la doyenne de l'humanité Jeanne Calment s'étant éteinte à 122 ans ? Est-ce une barrière physiologique propre à l'être humain ?

120 ans, c'est également la limite retenue par le cardiologue et nutritionniste Frédéric Saldmann. Invité d'une prestigieuse conférence TEDx à Marseille, il estimait en 2016 que "toute mort" avant un tel âge "est une mort prématurée". Il préconisait alors 30 minutes d'exercice quotidien, une réduction de 30% des calories ingérées chaque jour, ou bien encore un minimum de 12 rapports sexuels par mois afin d'augmenter de manière significative notre espérance de vie.

Ce discours, Ségolène Aymé le réfute. Médecin généticienne, épidémiologiste de formation et directrice de recherche émérite à l’Inserm, elle estime qu'il s'agit avant tout "d'arguments marketing". Outre des conférences, Frédéric Saldmann est en effet l'auteur de nombreux ouvrages dans lesquels il livre ses recommandations pour adopter un mode de vie sain et "prendre sa santé en main".

La chance ne suffit pas

Pour la chercheuse de l'Inserm, les déclarations de Tim Cook se révèlent inexactes. "Sans aucun doute, c'est important de n'avoir dans son génome aucune prédisposition pour des maladies rares. Cela concerne malheureusement 1 à 2% des gens, dont on peut certifier qu'ils n'auront aucune chance de devenir nonagénaires." 

Un "bon ADN" ne serait donc pas condition unique à l'éternelle jouvence : "L'essentiel des déterminants qui influent sur la durée de la vie, les assureurs les connaissent très bien", tranche Ségolène Aymé. Ce n'est pas la chance, mais "notre mode de vie". Elle rejoint en ce sens les arguments du docteur Saldmann, mais juge "délétère" la tendance qui vise à "responsabiliser les gens en leur disant que tout est possible lorsqu'on le souhaite". Et pour cause : "nous vivons dans un environnement collectif qui est le grand déterminant de notre espérance de vie".

La présence de polluants dans l'air, l'eau ou les sols sont indépendants de notre volonté, et il s'avère presque impossible de s'en prémunir. "Vous verrez que si vous faites du yoga tous les jours, vivez sainement et mangez bio, cela ne vous empêchera pas en cas de contrôle sanguin de retrouver dans votre corps 200 produits qui n'ont rien à y faire…" L'espérance de vie peut également changer de manière directe en fonction des événements extérieurs : "Quand le bloc soviétique est tombé, elle a baissé de manière très nette pour les Russes."

L'espérance de vie face à ses limites ?

Derrière les rêves (et fantasmes) de transhumanisme et d'humain "augmenté", l'espérance de vie suscite des débats qui agitent la communauté scientifique. Il est en effet très difficile d'affirmer que les hausses croissantes de l'espérance de vie, observées dans les pays développés, vont cesser ou se poursuivre. 

Pour Ségolène Aymé, il ne faut pas négliger l'impact des polluants, qui "contribuent à la faire diminuer". L'industrie chimique se manifeste ainsi "dans notre environnement de façon permanente, avec notamment les plastiques". La chercheuse cite également les particules fines, qui ont été propulsées depuis quelques années dans le débat public. Selon la généticienne de l'Inserm, l'espérance de vie devrait baisser, comme on peut l'observer aux États-Unis. En France, après des décennies de hausse continue, elle a diminué en 2012 chez les femmes, puis pour les deux sexes en 2015. Depuis, elle stagne. 

Si pour une partie des chercheurs, il ne faut plus espérer voir la vie des êtres humains s'allonger, d'autres se montrent nettement plus optimistes. Une étude anglaise diffusée en 2017 estimait que les enfants nés en 2030 pourront espérer vivre en moyenne 90 ans. Une prédiction qui ne concerne que les femmes, sud-Coréennes de surcroît. Accès aux soins, alimentation et ressources naturelles conditionnent en effet énormément l'espérance de vie. Si les bébés japonais nés en 2016 peuvent espérer vivre 84 ans en moyenne, ceux nés en Sierra Leone la même année vivront en moyenne 32 ans de moins (avec une espérance de vie de 52 ans).


Thomas DESZPOT

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