Verif'

Paiement en carte bancaire : un commerçant perd-il 1,5% de la somme à chaque transaction ?

Publié le 15 janvier 2024 à 19h00

Source : JT 20h WE

Visionnée sur X plus d'un million de fois en 24 heures, une vidéo défend l'usage de l'argent liquide au détriment des cartes bancaires.
Chaque paiement en CB entraînerait une perte d'environ 1,5% de la somme pour le commerçant, nous dit-on, et enrichirait les banques.
Ce chiffre est proche de la réalité, mais le raisonnement de l'auteur sur la circulation monétaire se révèle trompeur.

Prédite depuis de longues années, la disparition de l'argent liquide n'est pour l'heure pas d'actualité en France, pièce et billets restant encore ancrés dans notre quotidien. Une monnaie fiduciaire que certains défendent en tout cas bec et ongles. Sur le réseau social X, une vidéo postée le 14 janvier a été visionnée plus d'1,3 million de fois, à peine 24 heures après sa mise en ligne. Face caméra, un homme explique la manière dont les paiements successifs en carte bancaire nuiraient à l'économie, contribuant surtout à enrichir les banques. Attention toutefois, son raisonnement se révèle largement trompeur.

L'exemple d'un billet de 50 euros chez le coiffeur

Pour illustrer l'intérêt des paiements en liquide, un cas pratique nous est présenté. Celui d'un paiement chez le coiffeur avec un billet de 50 euros. L'artisan qui encaisse cette somme, nous dit-on, pourra ensuite réutiliser le billet et acheter un "bracelet à sa femme". Le bijoutier, ainsi rémunéré, va à son tour pouvoir payer chez un commerçant avec cette monnaie. Etc. Le billet, en résumé, "appartient chaque fois à quelqu'un d'autre, et ainsi de suite", faisant tourner l'économie. En revanche, le paiement par CB est décrié : sur chaque transaction, la banque perçoit environ 1,5% de la somme, nous indique-t-on. Si bien qu'après "une vingtaine de transactions" réalisées par carte, "les 50 euros" de départ "auront disparu, et c'est la banque qui les détiendra".

Qu'en est-il des frais bancaires évoqués dans cette vidéo ? Fin 2022, l'AFP détaillait les sommes perçues par les banques lors de transactions effectuées par carte. Plusieurs éléments s'ajoutent : une commission interbancaire de paiement tout d'abord, des frais réglementés par un texte européen. Un taux fixe est appliqué, de 0,3% du montant de la transaction (pour un paiement avec une carte de crédit) ou 0,2% (avec une carte de débit). À cela s'ajoutent les frais bancaires de réseau, versés à des opérateurs tels que Mastercard ou Visa. Une somme qui rémunère la prestation technique liée au paiement et ne dépasserait pas 0,2% du montant de l'achat. Enfin, restent les commissions perçues par les banques, qui constituent leur rémunération. Leur part varie et se révèle le fruit d'une négociation commerciale entre commerçants et établissements bancaires. Les spécialistes cités par l'AFP évaluent ces commissions entre 0,25 et 1,75%, si bien que le total des frais engendrés pour un commerçant sur un achat de 50 euros atteindra "dans le pire des cas un euro", en cumulé.

Si le 1,5% de frais évoqué dans la vidéo peut donc apparaître crédible, il faut se méfier de plusieurs éléments dans l'argumentaire qui nous est présenté. À commencer par le fait qu'à l'issue d'une série de transactions, l'ensemble de la somme de départ se retrouverait dans les mains des banques. Puisque les frais et autres commissions sont basés sur des taux et pas des sommes forfaitaires, leur total varie en fonction du montant des achats. Dès lors, au fil des transactions, les sommes prélevées par les banques se réduiront. Par ailleurs, le raisonnement qui structure toute la séquence est biaisé, puisqu'il ne tient pas compte notamment de l'application de la TVA. 

Une part revient à l'État... Même avec du liquide

Sollicitée par TF1info, la Fédération bancaire française (FBF) juge la vidéo trompeuse. Si l'on reprend l'exemple donné dans cette séquence, "le billet de 50 euros ne va pas directement dans le portefeuille du commerçant, de l’artisan", nous précise-t-on, "sauf à ce que les personnes qui tiennent ce raisonnement partent du principe qu’ils ne respectent pas leurs obligations fiscales", et que "les salaires, fournisseurs, taxes et impôts ne seront pas à régler". Un commerçant applique en effet sur ses produits un taux de TVA, variable en fonction des biens et services qu'il propose, et doit aussi assumer une série de charges et cotisations. Cela vaut d'ailleurs tout autant pour un achat en liquide que pour ceux par carte bancaire.

Dans le même temps, la FBF rappelle que du côté des commerçants, l'usage d'un terminal de carte bancaire ne présente pas que des contrariétés. Certes, il leur faut s'acquitter de certains frais liés au recours aux CB, mais le paiement par carte apporte aussi des gains. Que ce soit une "rapidité d’utilisation lors des paiements et passages en caisse", un point important dans la grande distribution, ou un renforcement de la sécurité. Pas de faux billets ou de chèques en blanc, moins d'espèces conservées en caisse... Pour les touristes hors zone euro, payer par carte peut par ailleurs être perçu comme plus confortable ou pratique, puisque cela ne nécessite pas de passer d'une devise à une autre. 

Le spectre d'une disparition du liquide

La disparition soi-disant programmée de l'argent liquide suscite de multiples craintes et engendre la diffusion de fake news depuis plusieurs années. En 2020 déjà, Les Vérificateurs se penchaient sur une rumeur largement reprise dans les réseaux des Gilets jaune. Sur la base d'un rapport, des internautes affirmaient que les pièces et billets allaient disparaître "dès 2022"

TF1info expliquait à l'époque que la dématérialisation des transactions apparaissait bien comme une tendance de fond, avec ses avantages ainsi qu'une série d'inconvénients pour les consommateurs. Jusqu'à présent toutefois, l'argent liquide conserve une place prépondérante dans le quotidien des Français. Le graphique qui suit l'illustre : dévoilé en 2022 par la Banque de France, il montrait qu'environ une transaction sur deux dans notre pays restait effectuée avec des pièces et/ou des billets.

L'argent liquide recule, mais conserve une place centrale dans nos modes de consommation.
L'argent liquide recule, mais conserve une place centrale dans nos modes de consommation. - Banque de France

Vous souhaitez nous poser des questions ou nous soumettre une information qui ne vous paraît pas fiable ? N'hésitez pas à nous écrire à l'adresse lesverificateurs@tf1.fr. Retrouvez-nous également sur X : notre équipe y est présente derrière le compte @verif_TF1LCI.


Thomas DESZPOT

Tout
TF1 Info