Verif'

Viols : est-il vrai qu'une femme doit débourser plus de 10.000 euros pour obtenir justice ?

Publié le 6 janvier 2023 à 19h05, mis à jour le 1 mars 2023 à 11h02

Source : Sujet TF1 Info

La procédure judiciaire dans le cas d'une plainte pour viol coûterait 10.657 euros à la victime.
Sur les réseaux sociaux, de nombreux avocats pointent un chiffre fallacieux.
Les choses sont en effet plus nuancées.

L'accès à la justice pour les victimes de viol est décidément pavé d'obstacles. Plusieurs publications affirment que le coût d'une procédure judiciaire dans ces dossiers s'élèverait à plus de 10.000 euros. "Violée et mises sur la paille par la procédure", s'étonnait ainsi une internaute ce jeudi 5 janvier. Ce à quoi certains avocats ont répondu en ligne que ce chiffre était trompeur, citant notamment l'aide juridictionnelle. Alors, "double peine" pour les victimes ou chiffre gonflé ? 

Un cas très particulier

La source qu'on retrouve derrière ce chiffre est le rapport sur "le coût de la justice pour les victimes de violences sexuelles", dont nous vous parlions dans cet article. Publié par la très sérieuse Fondation des femmes le 24 novembre 2022, il a pour objectif de montrer qu'à "l'ensemble des obstacles sur leur route, de l'accueil au commissariat à l'audience", les victimes de viols ou de violences sexuelles rencontrent dans leur parcours semé d'embûches un "barrage supplémentaire". Le "coût de celui-ci". Pour signifier l'ampleur du problème, le rapport cite le cas de "Julie". Dans cet exemple, la victime du viol habite à Paris, gagne 1450 euros net par mois, et souhaite voir son violeur condamné. Mais entre les actes médicaux ou chez l'huissier, les expertises, le suivi psychologique et les frais d'avocat, le coût total de son combat long de sept ans est évalué à 10.657 euros. 

Ce chiffre, cité par les internautes, a donc été sorti de son contexte. Il ne s'agit ni d'une moyenne, ni d'un coût systématique. D'autant que l'exemple de "Julie" prend en compte des dépenses qui dépassent les seuls frais directement liés à la justice. Et ignore certaines aides. Sont ainsi comptabilisées les séances chez un psychologue "à raison de deux séances par mois pendant un an et demi", et les frais d'un avocat choisi "hors aide juridictionnelle pour s'assurer une bonne défense". Deux critères qui font exploser la facture. Ils représentent à eux seuls 8.160 euros, soit 76% du coût.

Or, dans le cas d'un viol, l'aide juridictionnelle représente une aide financière totale pour les victimes, comme le rappelle Marion Ménage. Auprès de TF1info, l'avocate pénaliste au barreau de Pontoise souligne, comme ses confrères, que "cette aide financière est de droit sans condition de ressources". Les femmes qui portent plainte doivent en être informées "par les assistantes sociales dans les commissariats, par les associations d'aides aux victimes, par les avocats". S'il n'y a plus aucun frais à charge de la victime dans ce type de dossier, ce n'est en revanche pas le cas lors des plaintes pour agressions sexuelles, qui font partie du droit commun. L'aide juridictionnelle ne peut alors être obtenue que sous condition de ressources. 

Un élément que souligne également Anne-Sophie Laguens. Avocate au barreau de Paris, elle nuance toutefois en notant qu'il existe bien un obstacle financier propre à la démarche juridique "avant le début de l'instruction". "L’aide n'est attribuée qu'au début de l'instruction". Entre le dépôt de plainte et le début de l'instruction, de longs mois peuvent s'écouler, "durant lesquels l'aide juridictionnelle n'est pas possible." Les frais engendrés par le recours à un avocat pour contester un classement sans suite, pour participer à une confrontation ou lors d'une consignation en tant que partie civile, sont alors entièrement à charge de la victime

Le suivi psychologique, responsable de surcoûts

Reste que cette aide peut être boudée par les victimes, qui préfèrent trouver un avocat payé par leurs soins. Comme le souligne la Fondation des femmes dans son rapport, "le faible montant de l'aide juridictionnelle rend, dans une perspective comptable, ce type de dossiers très peu attractif pour les avocates et avocats et se traduit parfois par un certain désinvestissement de leur part dans la défense de l'affaire". Mais Me Ménage se veut optimiste. Elle pense qu'il existe aujourd'hui un réservoir assez important de consœurs (dans la majorité des cas, ce sont des femmes qui s'emparent de ces dossiers, selon le rapport) prêtes à se mobiliser sur cette question. Me Anaïs Defosse, avocate à Paris et citée dans le rapport, expliquait par exemple calculer avec sa comptable "combien d'heures elle pouvait consacrer chaque mois à des dossiers ayant l'aide juridictionnelle". 

Comment améliorer la prise en charge des plaintes pour violences sexuelles ?Source : JT 20h Semaine

Par contre, ce qui reste particulièrement onéreux pour les victimes, ce sont sans aucun doute les frais liés à l'accompagnement psychologique. Comme le souligne le rapport, les victimes font souvent appel à un psychiatre ou à un psychologue de leur choix, ce qui représente "en moyenne 60 euros la séance : soit environ 1500 euros par an". "C'est vrai que le suivi psychologique est à la charge de la victime", regrette l'avocate du barreau de Pontoise. "La reconstruction d'une victime peut générer des coûts, notamment pour le suivi psychologique, mais aussi dans le cadre d'un arrêt de l'activité professionnelle", corrobore Anne-Sophie Laguens. Et de conclure : "Les conséquences d'une plainte peuvent générer des coûts qui atteignent ces montants, mais pas la seule procédure juridique."

En résumé, une femme victime de viol peut débourser jusqu'à 10.000 euros pour obtenir justice dans le cas où elle refuse l'aide juridictionnelle et où elle fait appel à un long suivi psychologique. Ce montant n'est pas une moyenne et ne représente qu'un cas à part. Pour Marion Ménage, si "la route reste longue" pour ces victimes, "ce n'est pas l'obstacle financier qui est un frein". 

Vous souhaitez nous poser des questions ou nous soumettre une information qui ne vous paraît pas fiable ? N'hésitez pas à nous écrire à l'adresse lesverificateurs@tf1.fr. Retrouvez-nous également sur Twitter : notre équipe y est présente derrière le compte @verif_TF1LCI.


Felicia SIDERIS

Tout
TF1 Info