Paris 2024 : les JO sont-ils financés "en quasi-intégralité" par des financements privés ?

Publié le 13 août 2021 à 15h26, mis à jour le 13 août 2021 à 16h00
Paris 2024 : les JO sont-ils financés "en quasi-intégralité" par des financements privés ?

ÉCONOMIE - Les promoteurs des Jeux olympiques d'été de 2024, qui se tiendront à Paris, assurent que 97% de l'événement est financé "par des recettes privées". Un chiffre qui ne concerne qu'un budget sur deux.

"Les Jeux financent les jeux". Il faut le reconnaître la formule est bien trouvée. C'est celle qu'on découvre, trônant en lettres majuscules, sur le site officiel des Jeux olympiques de Paris. Graphique en camembert à l'appui, les organisateurs assurent que le budget d'organisation de l'événement est financé "en quasi-intégralité", soit à 97%, "par des recettes privées". 

Un argument assené par les défenseurs de cet événement sportif qui aura lieu pendant l'été 2024. "L'argent public ne représente que 3% du budget total", se félicitait même le chef de l'État le 25 juillet dans les pages de L'Équipe. Alors qu'en est-il réellement ? Nous avons passé cette affirmation au crible.

Deux budgets difficiles à séparer

"La question qu'il faut se poser c'est : quelles dépenses veut-on prendre en compte ?", lance, en guise d'introduction, Jean-Pascal Gayant. Professeur en économie du sport à l'Université du Mans, il rappelle qu'il existe en effet "deux budgets distincts". Celui du Comité d'organisation des Jeux olympiques (Cojo) et celui de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo).

Le premier, c'est le cœur battant des Jeux Olympiques. Comme son nom l'indique, il comprend l'organisation à proprement parler de ce rendez-vous sportif : les aménagements pour les compétitions, l'organisation des cérémonies d'ouverture et de clôture ainsi que les déplacements des participants. Pour les JO de Paris, ce budget est estimé à 3,9 milliards d'euros. Une enveloppe qui, d'après les calculs des organisateurs, est effectivement financée à 97% par des recettes privées. Le site officiel précise qu'il s'agit de contributions du Comité international olympique (CIO), des recettes de billetterie ainsi que des participations des partenaires. Une estimation jugée "fiable" par Jean-Pascal Gayant, qui salue la transparence des finances dans le cadre des JO dans la capitale. 

Le second, c'est la colonne vertébrale de l'événement. Estimé à 3,4 milliards d'euros, il concerne quant à lui une soixantaine d'infrastructures dont le village olympique et le village des médias. Et est – pour le moment - financé à hauteur de 1,1 milliard par des recettes publiques. Soit 32% de cette seconde enveloppe. 

En unifiant les deux budgets, sur un total de 7,3 milliards d'euros, les finances publiques représentent donc 16% de la somme totale.  C'est d'ailleurs aussi le calcul réalisé par le "monsieur Jeux olympiques" du gouvernement. Auditionné devant le Sénat le 9 décembre dernier, Michel Cadot expliquait qu'en "unifiant" les deux budgets, nous étions "à moins de 25% de financements publics". Des sommes certes minoritaires, mais pas négligeables. 

JO 2024 - À quoi ressemble le logo ? Et comment a-t-il été créé ?Source : TF1 Info

Dans leur argumentaire, les promoteurs de l'événement préfèrent donc uniquement raisonner sur la première somme. "Eux expliquent que ce seul budget doit être pris en compte" relève ainsi notre interlocuteur. "Une interprétation un peu fallacieuse". Ou, en en tout cas, qui pose question. Comment l'expliquer ? Jean-Pascal Gayant résume parfaitement leur argument principal "qui consiste à dire que ce ne sont pas des sommes directement imputables aux JO puisqu'on construit des infrastructures pour l'avenir ". Soit, pour reprendre le mot choisi avec brio par Tony Estanguet, président du Cojo, "l'héritage" laissé par l'événement sportif. Par exemple, le village olympique doit ensuite être revendu à des acteurs privés, pour le transformer en logements, commerces et bureaux. Quant aux parties uniquement financées par les collectivités, il s'agit d'opérations de rénovation urbaines, d'infrastructures modernisées pour l'avenir. Un argument "à la fois vrai et inexact", résume l'économiste du sport. "Ces travaux n'auraient peut-être pas été menés en l'absence des JO."

Le dépassement "mécanique" du budget

Autre nuance à amener selon ce spécialiste, la question du dépassement budgétaire. Jean-Pascal Gayant nous apprend ainsi que, sur chaque édition, "cette réalité n'est jamais démentie". Si l'ampleur du phénomène dépend des villes, une étude publiée en novembre 2020 a estimé que, en moyenne depuis soixante ans, le budget était à chaque fois quasi-triplé (2,72 fois).

Deux raisons pour expliquer cette "mécanique du dépassement budgétaire", pour reprendre les termes de l'économiste. D'une part, les nouveaux coûts mal anticipés et que personne ne veut prendre en charge. "C'est par exemple ce qu'on a vu à Londres : les dépenses de sécurité n'avaient pas été anticipées et ont fait exploser les coûts." D'autre part, le souci du calendrier. "Étant donné que cette rencontre doit se tenir à une date précise, et que les travaux prennent toujours un peu de retard, on entre dans une logique de travail 24 h sur 24, entrainant là-aussi des surcoûts." 

Ceci dit, les budgets qui explosent sont généralement ceux des infrastructures en cours de construction. Or, en ce qui concerne l'édition organisée en France, 95% des sites sportifs utilisés pour la compétition sont déjà construits ou provisoires. Mais encore une fois, il faut contextualiser cet argument. "On ne peut pas simplement se dire, ce site existe, on y organise la rencontre. Y accueillir une épreuve demande des rénovations, des lieux d'accueil, des modernisations." Idem pour les infrastructures temporaires. "Les coûts de montage et démontage se chiffrent en millions d'euros ! Ce n'est pas parce que l'équipement existe ou qu'il est provisoire, que le prix est nul."

Il est donc trop tôt pour évaluer avec exactitude la part des financements publiques dans l'organisation des Jeux Olympiques. Ceci dit, que cette part représente 3% ou 16% "il y a nécessairement beaucoup d'argent du contribuable", contrairement à l'idée véhiculée par les promoteurs. Dès lors, "il appartient aux autorités d'être les garantes de la bonne utilisation de cet argent public, qu'importe la somme", abonde l'économiste du sport. Le cœur du sujet se situe là : le poids des organisateurs dans les négociations, avec un CIO qui "impose ses choix au contribuable". Une balance qui est doucement en train d'être revue, se félicite tout de même le Professeur de sciences économiques, avec des pouvoirs publics qui ont "de plus en plus le pouvoir d'exiger certaines concessions au CIO".

Quoi qu'il en soit, cette question ne peut pas simplement être résumée en simples chiffres assénés à coups de communication. Le sujet "nécessite beaucoup plus de nuances", comme le souligne le spécialiste. Et de résumer : "Il y a un peu de mauvaise foi de la part des organisateurs, et un peu de mauvaise foi de la part des détracteurs." Comme souvent, la vérité se trouve finalement quelque-part entre les deux.

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Felicia SIDERIS

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