Une immense majorité des Français disent se fier aux commentaires avant d'acheter sur Internet.
Mais des vendeurs sur Amazon n’hésitent pas à offrir un remboursement en échange d'avis élogieux.
"Sept à Huit" lève le voile sur une pratique commerciale trompeuse qui prospère en toute impunité.

Elle a un avis sur tout, ou presque. Comme un Français sur trois, la mère de famille rencontrée par "Sept à Huit" dans le reportage à regarder ci-dessus commande régulièrement des produits sur Amazon. Et depuis plus d’un an, elle a trouvé, via des groupes Facebook, une combine pour se les faire rembourser : à peine l’objet déballé, ici une clé USB, elle s’empresse de rédiger un avis positif sur la plateforme. "J’ai mis mes cinq étoiles et un commentaire qui doit faire 40 mots minimum, une fois que l’avis est validé par Amazon, je suis intégralement remboursée, en gros au bout de cinq jours", explique-t-elle. N’a-t-elle pas l’impression de tromper ainsi les autres consommateurs ? A-t-elle-même essayé cette clé USB avant de la recommander ? "Pas encore... Je ne sais pas si c’est illégal, je n’ai pas d’avis là-dessus", répond-elle, sans mesurer la portée ironique de l’usage du mot.

Poster un faux commentaire en contrepartie d’un cadeau quelconque est bien illégal. Il engage la responsabilité de son auteur pour pratique commerciale trompeuse. Mais cela n’empêche pas plusieurs milliers de nos compatriotes d’adopter ce système afin d’acquérir des produits gratuits. Pour les vendeurs, c’est une manière d’obtenir le précieux label "achat vérifié" délivré par Amazon. Notre journaliste a fait le test : quelques minutes après son inscription à quelques-uns de ces groupes qui pullulent sur Facebook, les propositions pleuvent. "Salut l’ami, j’ai besoin de cinq étoiles, tu te feras rembourser en 72 heures", nous promet-on, en nous envoyant un catalogue d’une centaine de petits objets high tech, très majoritairement fabriqués en Chine.

Derrière les messages, les administrateurs de ces groupes, aux profils mystérieux. L’un d’entre eux, particulièrement actif, attire l'attention de l'équipe de "Sept à Huit". Il porte un nom allemand et exhibe de beaux yeux bleus sur ses nombreuses photos. Après plusieurs semaines d’échanges, il finit par révéler à TF1 sa véritable identité : il s’appelle Arif, a les cheveux bruns, des yeux noirs et habite un petit village du Bangladesh. Des vendeurs chinois l'ont recruté sur Internet. "Les règles de mes patrons sont les suivantes : il faut parler non-stop avec les clients jusqu’à ce qu’ils commandent des articles sur Amazon et mettent les cinq étoiles, indique le jeune homme. Pas de cinq étoiles, pas de commission. Je suis payé aux cinq étoiles."

"Grâce à ce revenu, je peux faire vivre toute ma famille"

Pourquoi utilise-t-il une fausse identité pour contacter les clients ? "Parce qu’ils n’achètent pas d’articles auprès des Bangladais. Ce sont les vendeurs chinois qui nous l’ont dit. Ils disent qu’il faut qu’on ressemble à des Européens, détaille-t-il. J’arrive à vendre entre cinq et dix articles par jour. Aujourd’hui, j’en suis à trois, mais je vais en vendre toute la nuit encore. Si je dors six heures, c’est déjà assez. J’ai un bon revenu. Je gagne entre 20.000 et 25.000 takas par mois (environ 150 euros)." Ce n’est que la moitié du salaire moyen au Bangladesh, mais dans ce village, ils seraient une vingtaine à avoir accepté ce même travail, dans l’espoir de sortir de la pauvreté. "Grâce à ce revenu, je peux faire vivre toute ma famille", assure un voisin et collègue d’Arif.

Impossible de savoir combien de vendeurs profitent de ces petites mains pour stimuler leurs ventes. Nous avons identifié l’un d’entre eux grâce à son numéro de TVA, qui nous a permis de découvrir qu'il dispose d’une adresse à Paris, à laquelle TF1 s’est rendu en caméra cachée. "Nous, on ne vend rien sur Amazon, c’est peut-être une société qu’on représente au niveau de l’administration fiscale", esquive l’un des employés sur place qui, interrogé au sujet des faux avis, affirme qu’ils "ne gèrent pas cette partie-là" et refuse de transmettre les coordonnées du client en question. Ces vendeurs tricheurs risquent deux ans de prison et 300.000 euros d’amende pour pratique commerciale trompeuse. En théorie.

En pratique, le siège français d’Amazon, sollicité par "Sept à Huit", a refusé toute demande d’interview, se contentant de répondre par mail que la plateforme "a pu bloquer proactivement plus de 200 millions de faux avis présumés" en 2022 et "a intenté en 2023 plus de 160 actions en justice"… contre les administrateurs des groupes Facebook. Mais rien contre les vendeurs tiers eux-mêmes. Sur le site, le consommateur est simplement incité à dénoncer les avis rémunérés. 

Chose faite par nos soins, via le formulaire en ligne proposé par Amazon, après nous être fait rembourser notre achat au moyen d’un faux avis cinq étoiles. Au bout de 48 heures, la plateforme nous répond par mail qu’elle va lancer une enquête. Et dix jours plus tard, la boutique en ligne du vendeur demeure active… "Ce n’est pas nous qui vendons ce produit. Donc je n’ai pas la possibilité d’avoir une assistance auprès de notre département. C'est pour ça que je vous invite à contacter le vendeur", répond, pour sa part, le service client, joint par téléphone. Tandis que le serpent se mord la queue, 91% des Français continuent de se fier aux commentaires afin d'effectuer un achat sur Internet.


Hamza HIZZIR | Reportage "Sept à Huit" Sonia Hedidi, Manon Descoubès, Thomas Denis

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