Interview

Lisa Azuelos, réalisatrice sans langue de bois : "Le cinéma français s'en fout des femmes !"

Publié le 14 mars 2023 à 9h00, mis à jour le 14 mars 2023 à 10h26

Source : JT 13h WE

Lisa Azuelos signe l’adaptation de "La Chambre des merveilles", le roman à succès de Julien Sandrel.
À l’écran, Alexandra Lamy incarne une mère qui décide de réaliser les rêves de son fils, tombé dans le coma.
Énergique et sans tabous, la réalisatrice raconte à TF1info ce projet à part dans sa carrière.

C’est l’une des rares réalisatrices françaises qui s’est imposée dans la durée au sein d'une industrie encore tristement masculine. Depuis le méga-succès de LOL en 2008, Lisa Azuelos enchaine les films souvent très personnels, qu’elle rende hommage à son idole d’enfance dans le biopic Dalida, raconte une relation fusionnelle entre une mère et sa fille dans Mon Bébé ou s’offre une escapade californienne avec Sophie Marceau dans le récent I Love America, sur Prime Vidéo.

En salles ce mercredi 15 mars, La Chambre des merveilles marque une première dans sa carrière puisqu’elle n’avait jamais signé l’adaptation d’un roman. Best-seller de Julien Sandrel paru en 2018, ce drame solaire met en scène Thelma, jouée par Alexandra Lamy, une mère célibataire dont le fils tombe dans le coma après avoir été renversé par un camion. Lorsqu’elle découvre un cahier où l’ado a consigné tous ses rêves, elle décide de les réaliser les uns après les autres, du plus simple au plus fou…

Dans "La Chambre des Merveilles", Thelma, jouée par Alexandra Lamy, s'envole pour réaliser l'un des rêves de son fils, dans le coma.
Dans "La Chambre des Merveilles", Thelma, jouée par Alexandra Lamy, s'envole pour réaliser l'un des rêves de son fils, dans le coma. - SND

TF1info : Votre film prend quelques libertés avec le livre de Julien Sandrel. Que souhaitiez-vous garder absolument pour ne pas le trahir ?

Lisa Azuelos : Pour ne pas le trahir, je n’ai pas lu livre ! J’ai préféré prendre le scénario qui convenait déjà à la production. Et de là, j’ai mis mon cœur et mon esprit en ébullition. Je me suis réappropriée cette histoire qui en réalité résonnait chez moi de manière très personnelle. J’ai perdu récemment mes deux parents, mes enfants sont partis de la maison. C’est le film des compteurs à zéro dans le sens où cette femme tente de redonner un sens à sa vie lorsque son fils tombe dans le coma. Et c’est un peu ce que j’ai fait moi aussi.

D’une situation dramatique, vous parvenez à faire passer des ondes positives. C’était tout le défi ? 

Je n’aurais pas accepté le projet autrement. Il y a trop de trucs "dark" en France. Moi je ne suis pas là pour ça. Je n’ai jamais envie de rajouter du malheur au malheur. Il y en a assez sans moi ! Moi je suis là pour rappeler aux gens que ça vaut le coup d’être en vie. À quel point ça vaut le coup d’être aimé, à quel point ça vaut le coup d’être ensemble. Et ce film-là réunit tout ça. C’est un grand cadeau.

Avec Alexandra Lamy, il n’y a pas d’égo mal placé et ça tombe bien, je suis incapable de travailler avec les égotiques
Lisa Azuelos

C’est la première fois que vous tournez avec Alexandra Lamy, qui est aujourd’hui l’actrice préférée des Français. Quel regard portiez-vous sur son travail ? 

Je ne suis pas capable de tourner avec une actrice qui n’est pas un peu ma jumelle. Or je me retrouve extrêmement dans Alexandra. On est amies dans la vie, on a beaucoup voyagé ensemble. On a le même genre d’humour. Elle a mon côté garçon intrépide, très rigolarde. Et en même temps elle a la vulnérabilité des timides. C’est ça que je suis allée chercher pour ce film. Et ce n’est pas quelque chose qu’on a l’habitude de voir chez elle. 

C’était facile ? 

Oui dans le sens où c’est mon amie. On a confiance l’une envers l’autre. Si elle me dit qu’elle ne sent pas une réplique, je lui dis "ok, on change". À l’inverse si je lui dis qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans son jeu, elle s’arrête pour qu’on réfléchisse ensemble. Parce qu’on sait qu’on est dans la bienveillance. Avec elle, il n’y a pas d’égo mal placé et ça tombe bien, je suis incapable de travailler avec les égotiques.

Comme votre héroïne, avez-vous une liste de rêves que vous n’avez pas encore réalisés ?

J’ai réalisé tous mes rêves jusqu’à présent. Enfin si, j’aimerais faire du kitesurf. Sauf je ne suis pas assez sportive, ni assez jeune pour démarrer. Et puis ça me fait hyper peur. Mais si je pouvais vivre cinq minutes de kitesurf comme une pro, je serais hyper heureuse.

Et si vous pouviez obtenir la dédicace d’une idole inaccessible ? 

Ben ce serait Brad Pitt… mais j’essaierais qu’il devienne très vite accessible. Je suis partie à Los Angeles pour le croiser mais il est tout le temps en France !

Alexandra Lamy et Muriel Robin, mère et fille dans "La Chambre des Merveilles" de Lisa Azuelos.
Alexandra Lamy et Muriel Robin, mère et fille dans "La Chambre des Merveilles" de Lisa Azuelos. - SND

Malgré une carrière déjà bien remplie, vous n’avez jamais été nommée aux César. Comment l’expliquez-vous ? 

J’ai l’impression que lorsque qu’on a raté le coche une fois, c’est pour la vie. Comme s’il existait un réseau parallèle de films qui n’existent pas pour les César. Moi, tous les films que j’ai aimés l’an dernier n’ont pas été nommés. Les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski, Les Miens de Roschdy Zem, Reste un peu de Gad Elmaleh, La Maison d’Anissa Bonnefont. Souvent des films sur l’intime, beaucoup de films de femmes. Et puis non, ce n’est pas ça qui marche. En fait vous savez quoi ? Depuis Dalida, je m’en tape des César ! On a tourné un biopic incroyable, l’une des plus grosses productions jamais confiées à une femme. Et au final zéro nomination. Donc aujourd’hui j’ai décidé que ça ne faisait plus partie de ma vie.

Aujourd’hui il est facile pour une réalisatrice de tourner un premier film. Beaucoup moins de passer au deuxième, et encore moins au troisième. Comment avez-vous réussi à durer dans ce métier ? 

J’ai dû coucher avec beaucoup plus de gens, je ne sais pas ? (Rires) Je crois que j’ai démarré à une époque où on avait le temps de s’installer, d’assoir sa marque. Et puis j’ai fait un film culte, LOL. Peu de femmes y sont parvenues. Coline Serreau avec Trois hommes et un couffin par exemple. En fait, je crois que ce n’est pas un problème femme-hommes. Mais plutôt féminin-masculin.

Que voulez-vous dire ? 

Les films au féminin vont chercher le quotidien, la famille, les rapports au sein du couple, la sexualité. Les films de Roschdy Zem et de Gad Elmaleh ont cette approche-là. Ils pourraient avoir été réalisés par des femmes. Or ça n’intéresse pas Les Cahiers du Cinéma et les messieurs en costume qui pensent qu’ils décident encore ce qui est de l’art ou pas. Le problème, ce n’est pas d’avoir une femme derrière la caméra. C’est que les sujets intéressants pour les femmes restent peu intéressants pour l’économie du cinéma. Elle s’en fout des femmes !

>> La Chambre des merveilles de Lisa Azuelos. Avec Alexandra Lamy, Muriel Robin, Hugo Questel. 1h38. En salles mercredi.


Jérôme VERMELIN

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