POLEMIQUE – Salué par les médias pour son roman "Minute", co-écrit avec son camarade, Badroudine Saïda Abdallah, le jeune Mehdi Meklat doit depuis quelques heures répondre d’une série de tweets scandaleux, publiés jusqu’en 2015 sous pseudo. Explications.
C’est la sensation littéraire du moment. Dans Minute, publié aux éditions Seuil, Mehdi Meklat et son complice Badroudine Saïda Abdallah donnent voix à une galerie de Français issus d’horizons divers, 60 secondes avant l’élection d’une candidate d’extrême-droite. Révélé sur France Inter, passé par Arte et le Bondy Blog, ce très jeune duo - ils ont 24 ans tous les deux - a fait ces derniers jours la tournée des médias pour assurer la promo de l’ouvrage.
Après avoir fait la une des Inrocks, aux côtés de Christiane Taubira, on a notamment pu les voir le 10 février sur le plateau de Catherine Ceylac dans "Thé ou Café" sur France 2 ou encore le 16 février de François Busnel dans "La Grande Librairie" sur France 5. Une belle reconnaissance pour ces garçons issus de la banlieue parisienne - Mehdi a grandi à Saint-Ouen, Badrou à la Courneuve. A chaque fois, les deux garçons impressionnent par leur ton posé, leur aisance face à une machine médiatique qu’ils connaissent bien… ou presque.
Je questionnais la notion d'excès et de provocation
Mehdi Meklat, samedi sur Twitter
Au moment de leur passage sur France 5, de nombreux twittos exhument des messages postés par Mehdi Meklat sous le pseudonyme de Marcelin Deschamps. Mais qui étaient associés à son propre compte il y a encore quelques jours. Des insultes tour à tour racistes, antisémites, homophobes et misogynes...
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Très vite, les réactions se multiplient. Parmi elles, celle de la ministre de la Famille Laurence Rossignol, qui retweete plusieurs messages de colère contre le jeune auteur. Mais aussi la députée FN du Vaucluse Marion Maréchal Le Pen qui se demandent pourquoi "certains médias" le protègent.
Docteur Mehdi et Mister Marcelin ? L'intéressé va en tout cas supprimer tous ces messages en l'espace de quelques heures. Dans une série de tweets postés samedi, le jeune homme donne sa version des faits. Et explique que Marcelin Deschamps était "un personnage" qu’il a incarné jusqu’en 2015. Manière, dit-il, d’interroger "la notion d’excès et de provocation" :
1. Jusqu'en 2015, sous le pseudo "Marcelin Deschamps", j'incarnais un personnage honteux raciste antisémite misogyne homophobe sur Twitter. — Mehdi (@mehdi_meklat) 18 février 2017
2. À travers Marcelin Deschamps, je questionnais la notion d'excès et de provocation. Mais aujourd'hui je tweete sous ma véritable identité. — Mehdi (@mehdi_meklat) 18 février 2017
3. Les propos de ce personnage fictif (Marcelin Deschamps) ne représentent evidemment pas ma pensée et en sont tout l'inverse. — Mehdi (@mehdi_meklat) 18 février 2017
4. Je m'excuse si ces tweets ont pu choquer certains d'entre vous : ils sont obsolètes. — Mehdi (@mehdi_meklat) 18 février 2017
L’explication de texte n’a visiblement pas convaincu tout le monde. Sur son site officiel, les Editions du Seuil jugent ces tweets "absolument condamnables", précisant que les deux romans du jeune homme qu’a elle a publié "ne portent aucune trace de ces débordements."
Idem du côté de "La Grande Librairie", dont le présentateur semble être tombé de sa chaise. Dans un communiqué, François Busnel condamne des "propos odieux et inacceptables" qui "discréditent leur auteur". Et qui auraient valu, s'ils avaient été connus de l'émission auparavant, à leur auteur de ne pas y être invité.
Message de François Busnel pic.twitter.com/vNecf5nFZ4 — La Grande Librairie (@GrandeLibrairie) 19 février 2017
Du côté du Bondy Blog, auquel Mehdi et Badrou ont longtemps collaboré, chroniquant le quotidien de la jeunesse des banlieues, même condamnation :
Notre réponse aux accusations contre Mehdi Meklat et visant le Bondy Blog : pic.twitter.com/cEdp00y3js — Le Bondy Blog (@LeBondyBlog) 18 février 2017
Si une partie des médias semble découvrir l’existence de ce double maléfique, ce n’est pas la première fois qu’il fait scandale. En 2012, déjà, Libération consacrait à son créateur un portrait lorsqu’il tenait la chronique des "Kids" sur France Inter, sous l’impulsion de Pascale Clark. "Sur Twitter, je joue un personnage. Je ne suis attaché à rien, je n’ai de compte à rendre à personne, j’ai la liberté de dire ce que je veux", expliquait-il. "C’est un terrain de jeu, j’y abuse de tout, je ne me mets pas de limite."
Par la suite, la station publique va être interpellée par ses auditeurs à plusieurs reprises, sans réagir. Interrogé en 2014 par le magazine Yagg, Mehdi se justifiait de nouveau : "J'ai créé un personnage violent, provocant, méchant. Pourquoi ? Je ne me l'explique pas à moi-même, alors je ne peux pas l'expliquer aux autres. Mais je ne suis pas du tout homophobe." Une simple erreur de jeunesse ?
Il ne peut résider dans un même esprit la beauté et la profondeur d’une telle littérature et la hideur de telles pensées
Christiane Taubira
Dans un long message publié ce lundi sur sa page Facebook, Christiane Taubira a du mal à cacher sa perplexité à l'égard du jeune homme : "J’ai rencontré Mehdi Meklat pour cet entretien [...] Il ne peut résider dans un même esprit la beauté et la profondeur d’une telle littérature et la hideur de telles pensées. Il faut purger, curer, cureter. Cela se fait plus aisément lorsqu’on n’est qu’au début d’une vie où il y a tant à faire", juge l'ancienne Garde des sceaux.
Quant aux Inrocks, le directeur de la rédaction du magazine s'est fendu d'un édito à l'attention de "@mehdi_meklat", où il a, lui aussi, condamné la teneur des tweets - "abjects" ; "antisémites" ; "homophobes" - et défendu le journal, soupçonné en ligne d'avoir invité le jeune homme en connaissance de cause ("Aucun journaliste ne peut éplucher de A à Z les tweets de celui ou ceux sur qui il produit un sujet". Ajoutant que les "textes" publiés par Mehdi Meklat sont "l'inverse de ce qui a été retrouvé sur son Twitter", l'édito se conclut sur une exigence : des excuses.