Saeed Roustaee, le réalisateur de "Leila et ses frères", nouvelle victime du tour de vis du pouvoir iranien

Publié le 16 août 2023 à 11h59, mis à jour le 16 août 2023 à 16h43

Source : JT 20h WE

Figure montante du cinéma iranien, Saeed Roustaee vient d’être condamné à six mois de prison ferme, tout comme son producteur Javad Noroubzbeigui.
La justice leur reprochait d’avoir présenté le film "Leila et ses frères", peinture de la crise économique, lors du Festival de Cannes en 2022.
Cette décision, qui s'accompagne d'une interdiction de travail, intervient alors que Téhéran multiplie les arrestations dans le monde culturel.

Téhéran poursuit sa mise au pas du monde culturel. Le réalisateur Saeed Roustaee et son producteur Javad Noroubzbeigui viennent d’être condamnés à six mois de prison ferme pour "propagande contre le régime", rapporte le quotidien réformateur Etemaad. Leur crime ? Avoir présenté l’an dernier au Festival de Cannes le film Leïla et ses frères sans l’autorisation du gouvernement. En compétition pour la Palme, ce drame familial sur fond de crise économique a été récompensé du prix FIPRESCI de la critique internationale.

Etemaad précise que Saeed Roustaee et Javad Noroubzbeigui ne purgeront qu’un vingtième de leur peine, soit environ neuf jours, le reste étant suspensif pendant cinq ans. "Durant cette période, les accusés devront se garder de toute activité liée à leur crime et ne pas communiquer avec les membres de l’industrie du cinéma", indique le média. Autant dire une interdiction de travail brutale pour le duo.

Saeed Roustaee lors de la présentation à Cannes de "Leïla et ses frères", en mai 2022.
Saeed Roustaee lors de la présentation à Cannes de "Leïla et ses frères", en mai 2022. - AFP

Saeed Roustaee, 34 ans, a percé sur la scène internationale en 2019 avec son deuxième film, La loi de Téhéran, un thriller haletant qui décrivait les ravages du trafic de stupéfiants dans son pays et les conditions d’incarcération précaires dans lesquels se retrouvent trafiquants et consommateurs. Son auteur avait dû patienter un an avant d’obtenir les autorisations de tournage, puis batailler avec la commission de censure pour le sortir. Il avait finalement attiré 3 millions de spectateurs. En France, le film a été primé au festival Reims Polar avant de séduire plus de 150.000 curieux.

Dans un registre plus léger - du moins en apparence - Leila et ses frères raconte les mésaventures d’une famille qui croule sous les dettes et dont les membres se déchirent au fil du récit, une peinture tragicomique de la situation économique de l’Iran depuis la reprise en main du pays par le pouvoir religieux au cours de la dernière décennie. "Nous vivons un effondrement extraordinaire qui abîme les corps, les âmes, qui affecte les relations humaines. Comment ne pas y penser ? Comment ne pas en faire des films ?", s’interrogeait le cinéaste l’an dernier dans le magazine Trois Couleurs.

Le sort aujourd'hui réservé à Saeed Roustaee fait écho à celui de son illustre aîné, Jafar Panahi, condamné à six ans de détention en 2010 pour "propagande contre le régime" lui aussi. À l’époque, il avait été assigné à résidence, avec l’interdiction de réaliser, écrire, voyager ou s’exprimer dans les médias. Ce qui ne l’avait pas empêché pas de tourner clandestinement, en numérique ou à l’iPhone, envoyant ses films dans les grands festivals via clé USB. À l’été 2022, il avait de nouveau été arrêté, les autorités le contraignant à purger sa peine dans un climat de tensions exacerbées. Après avoir entamé une grève de la faim, il a été libéré en février dernier.

Depuis la mort de la jeune Mahsa Amini le 16 septembre 2022, et les manifestations soutenues par le monde culturel, Téhéran multiplie les arrestations d'artistes. L’une des plus emblématiques ? Celle de l’actrice Taraneh Alidoosti... la vedette de Leila et ses frères, mais aussi de plusieurs films d’Asghar Farhadi comme Le Client, Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2017. Incarcérée le 17 décembre dernier, suite à la publication sur Instagram de plusieurs messages où elle dénonçait la mort d’un jeune manifestant, elle a été libérée trois semaines plus tard après une forte mobilisation internationale.


Jérôme VERMELIN

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