Superéthanol E85 : pourquoi sa version entièrement "verte" n'est pas forcément la solution miracle pour la planète

Publié le 29 avril 2024 à 17h35, mis à jour le 29 avril 2024 à 19h30

Source : JT 20h Semaine

Le carburant E85 sera bientôt obtenu à partir de blé, de maïs, de betteraves, mais aussi d'huiles de cuisson usagées.
Selon Bioéthanol France, ce "carburant 100% biomasse" permettrait de réduire de 70% les émissions de CO2 par rapport à l'essence, de même que la pollution.
Une analyse qui ne prend pas en compte tout l'impact du bioéthanol : concurrence avec les terres agricoles à usage alimentaire, transport des matières premières et importations des huiles usagées depuis la Chine.

En matière de transports, il est parfois tentant de penser qu'un autre type de carburant, "vert" cette fois, viendra à terme remplacer l'essence et le diesel et résoudra, ainsi, l'impact de la voiture, des camions et des avions sur la planète. Mais la réalité est évidemment bien plus complexe.

Un carburant entièrement renouvelable ? C'est pourtant ce que promet Bioéthanol France, avec une nouvelle version du superéthanol E85. À l'heure actuelle, celui-ci est un carburant essence composé, selon la saisonnalité des matières premières qui le constituent (blé, maïs, betteraves), de 65 à 85% d'éthanol, et donc, au minimum, de 15% de sans-plomb classique.

Les 15% d'essence classique remplacés par des huiles usagées

Cette nouvelle version, présentée lundi matin sur RTL par Nicolas Kurtsoglou, le responsable carburant de Bioéthanol France, serait un carburant "100% biomasse". "On enlève la partie d'essence fossile classique dans l'E85 et on le remplace par 15% de carburant renouvelable, a-t-il ainsi expliqué. Il peut être fait à partir d'huile de cuisson usagée et, à la fin, on a un E85 qui vient à 100% de la biomasse."

Selon les calculs réalisés par la filière, ce nouveau superéthanol permettrait "de réduire de 70% les émissions de CO2 par rapport à l'essence et de 90 à 98% les émissions d'oxyde d'azote et de particules en empreinte globale, c'est-à-dire y compris la production du carburant et sa consommation". 

Une promesse alléchante, alors que les transports représentent 32% des émissions nationales de CO2. D'autant plus qu'il serait aussi une promesse économique et sociale, avec un prix autour de un euro le litre contre 1,85 euro pour le SP95. 

Eau, engrais, transport et besoins alimentaires dans le monde

Mais le calcul ne saurait être aussi simple. Car trois enjeux sont à prendre en compte quand il s'agit d'agrocarburants :

— Les impacts agro-environnementaux liés à la production des matières premières qui les composent : utilisation de pesticides pour produire blé, maïs, betteraves et besoins en eau pour l'essentiel.

— La concurrence qu'ils supposent avec les besoins alimentaires à l'échelle mondiale. "Consommer des biocarburants conventionnels implique de consacrer des terres arables pour produire les matières premières alors que celles-ci pourraient être utilisées pour l'alimentation humaine, précise ainsi Yvonnic Frouin, chargé d'études au sein du think tank indépendant Institut Mobilités en Transition. Les effets de la consommation des biocarburants sur la hausse des prix de certaines denrées ont été largement documentées."

— Leur bilan énergétique global : énergie pour les produire et les transporter jusqu'à la pompe (puis leur usage, évidemment).

Ainsi, sur l'année 2022, 48% des matières premières utilisées sous forme de biocarburant dans la filière essence en France provenaient de l'étranger, dont 10% du Brésil. Seule la betterave est exclusivement française ou presque, mais elle ne représente que 11% des matières premières utilisées pour produire le bioéthanol consommé en France en 2022.

60% des huiles usagées viennent de Chine

Par ailleurs, l'ajout d'huile de cuisson usagée pour verdir le carburant pose aussi problème. Ainsi, selon une étude de l'ONG Transport et Environnement, l'Europe importe 80% de celle-ci pour l'utiliser dans du carburant pour les voitures, les camions et les avions, dont 60% en provenance de Chine. 

Et ce n'est pas tout. "L'Europe importe des huiles usagées de Chine pour remplacer l'huile de palme dans la composition de ces agrocarburants, car celle-ci est interdite sur le continent européen pour lutter contre la déforestation en Asie du Sud-Est, explique Jean-Philippe Hermine, directeur de l'Institut Mobilités en Transition. Mais comme la Chine envoie en Europe ses huiles usagées, elle les remplace chez elle par de l'huile de palme pour fabriquer ses propres agrocarburants.

Le bilan environnemental de ce superéthanol "100% renouvelable" est donc loin d'être nécessairement positif. "En réalité, la filière du bioéthanol tente de surfer sur les débats actuels sur les voitures électriques pour obtenir une meilleure fiscalité pour son carburant", analyse un expert. Ce carburant bénéficie en effet déjà d'une fiscalité plus intéressante que ses concurrents classiques.  L'augmentation des volumes utilisés pèsera donc sur le budget de l'État et le contribuable.

Dernier point, et non des moindres, l'usage de E85 suppose d'installer un kit de conversion sur les voitures qui n'ont pas été fabriquées pour cet usage (en 2022, 300 000 voitures fonctionnaient à l'E85 en France, dont 220 000 véhicules "classiques"). Or, sur la moitié de ces modèles classiques, leurs propriétaires n'ont pas installé le kit dédié qui permet d'optimiser l'usage du E85 et risque donc d'émettre davantage de polluants ou de réduire la durée de vie du moteur. 

" En outre, le carburant E85 dispose d’une densité énergétique moindre que le carburant SP classique : une surconsommation de l’ordre de 20 % est donc notable par rapport au sans-plomb classique", précise encore l'IMT dans une note consacrée au sujet.


Marianne ENAULT

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