Capture et stockage de carbone : 3 questions pour comprendre le débat autour de cette technologie

Publié le 11 décembre 2023 à 15h05

Source : JT 20h WE

Alors que la COP28 doit se terminer ce mardi, le "Carbone Capture and Storage" est au cœur des débats.
Une technique qui consiste à récupérer le CO2 émis par les activités humaines pour le stocker ensuite.
Mais l'efficacité de ce dispositif pour lutter contre le changement climatique fait largement débat.

Solution miracle ou mirage technologique ? Alors que les négociations pour aboutir à un accord à la COP28 entrent dans leur dernière ligne droite, les débats sont vifs aux Émirats arabes unis. Au cœur des discussions : la fin (ou non) du charbon, du gaz et du pétrole. Un domaine dans lequel deux grands camps s'affrontent : l'Union européenne, la Grande-Bretagne, de nombreux pays en développement et petits pays insulaires qui appellent à une sortie rapide de ces énergies fossiles, et les grands pays pétroliers et gaziers - Émirats arabes unis et Arabie saoudite en tête - qui mettent l'accent sur la réduction des émissions sans abandonner les fossiles qui les génèrent.

Et pour continuer à produire de l'énergie à partir du charbon, du gaz ou du pétrole, ces acteurs défendent une technologie controversée : le "Carbone Capture and Storage" (CCS). Une méthode qui consiste à capter le CO2 à la sortie des sites industriels les plus émetteurs pour éviter que le gaz à effet de serre ne se répande dans l'atmosphère. Une technologie à ne pas confondre avec le captage direct du carbone dans l'air (DAC, en anglais) pour ensuite l'éliminer. TF1info fait le point. 

Comment ça marche ?

La capture et le stockage du carbone s'effectue à la sortie des usines (centrales électriques, cimenteries, hauts fournaux, etc.) Sur ces sites, le CO2 émis par la combustion des énergies fossiles ou les procédés industriels est directement capté avant qu'il ne rentre dans l'atmosphère. Il existe trois techniques de captage : la "post-combustion" qui consiste à capturer le carbone dans les fumées issues de la combustion, la "pré-combustion" qui consiste à le retirer des combustibles avant leur combustion et "l'oxycombustion" – la moins développée – qui se déroule durant la phase de combustion. Cette dernière technique permet d'obtenir une fumée très concentrée, rendant la capture du CO2 plus facile.

Par la suite, le carbone capté est réinjecté dans des réservoirs géologiques hermétiques – par exemple d'anciens sites d'extraction de pétrole où les forages ne sont plus en activité  – pour y être stocké définitivement. 

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Le CCS est souvent confondu avec le captage direct de carbone dans l'air. Cette dernière technologie ne consiste pas à limiter les émissions de gaz à effet de serre, mais bien à retirer le CO2 déjà présent dans l'atmosphère, via des usines complexes. 

Pourquoi le CCS est aujourd'hui mis en avant ?

Les dispositifs de CCS sont connus et développés depuis les années 1970, mais ont peiné à se développer en raison notamment de leurs coûts importants. Ils ont connu une véritable accélération ces dernières années, et particulièrement avec la promotion qu'en a fait le président de la COP28, Sultan Al-Jaber, fervent défenseur de ces technologies. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), à la fin de l'année 2022, 35 entreprises commerciales dans le monde appliquaient cette technologie, captant un total de 45 millions de tonnes (Mt) de CO2.

"Pour l'industrie et les pays également, il est impossible d'atteindre l'objectif de zéro émission nette d'ici 2050" sans l'adoption de ces technologies, avait d'ailleurs affirmé à l'AFP, en mai dernier, le responsable des programmes de décarbonation d'ADNOC, la principale compagnie pétrolière nationale des Émirats arabes unis, Musabbeh Al Kaabi. Un constat partagé par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (le Giec) et l'AIE qui considèrent désormais ces mesures d'élimination du CO2 comme un outil nécessaire dans la lutte contre le changement climatique. 

Enfin, si le CCS a un coût, son développement devrait booster les projets. De récentes lois aux États-Unis et au Canada misent sur les crédits d’impôts pour inciter les entreprises à investir, tandis que Corée du Sud et Chine investissent massivement. Une usine visant à capter 500.000 tonnes de carbone par an vient d'ouvrir dans la province chinoise de Jiangsu. L'Europe n'est pas en reste, avec un véritable "cimetière de CO2" qui se développe en mer du Nord alors que la France, dans la planification écologique présentée par Emmanuel Macron cette année, souhaite développer des sites de captage de CO2 sur son territoire.

Pourquoi est-elle remise en cause ?

Problème, ces projets sont insuffisants. Déjà, parce que développer des sites de stockage prend du temps : environ 10 ans, alors que pour atteindre l'objectif de zéro émission nette de carbone d'ici 2050, le CCS devra détourner 1,3 milliard de tonnes de CO2 par an d'ici 2030, soit 30 fois plus qu'en 2022, et 7,6 milliards d'ici 2050, soit environ 20% des émissions actuelles, selon les chiffres de l'AIE. Avec 40 millions de tonnes annuelles aujourd'hui, le monde est encore très loin du compte. Dans une déclaration publiée quelques semaines avant le COP28, la High Ambition Coalition, qui regroupe des pays comme la France, le Kenya ou la Colombie, a ainsi alerté sur le rôle "minime" du CCS pour décarboner l'énergie. 

Plus grave, selon une analyse du groupe Climate Analytics, une dépendance excessive à l'égard du CCS à grande échelle – et une performance insuffisante – pourraient entraîner un excédent de 86 milliards de tonnes d'émissions de gaz à effet de serre entre 2020 et 2050 quand un rapport de la Smith School of Enterprise and the Environment (Université d'Oxford) pointe qu'une forte dépendance à l'égard de cette technologie coûterait au moins 30.000 milliards de dollars de plus que de parier sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique.

Un constat partagé par des ONG comme Fern ou Friends of Earth, qui ont publié une tribune en 2022 estimant que la capture de carbone à grande échelle était un "fantasme de greenwashing". Le projet "s'appuie sur une justification dangereuse et fausse, qui légitime la poursuite des émissions : l'idée que quelqu'un pourrait dans le futur retirer de l'atmosphère une tonne de carbone émise actuellement", alertaient alors les organisations avec cet avertissement : "Une telle chimère est le moyen le plus sûr de brûler la planète".

Certains craignent aussi que le développement de cette technique ne détourne de précieux investissements des énergies renouvelables, indispensables pour assurer une transition énergétique et écologique efficace et limiter le réchauffement de la planète en dessous de 1,5°C par rapport à l'échelle industrielle. Lors du sommet de Bonn, en juin dernier, le chef de l'ONU climat avait ainsi estimé que "tous les leviers dont on dispose doivent être activés" tout en rappelant que "la science est très claire : le moyen le plus rapide et le plus efficace de nous amener à nos objectifs est la réduction et l'élimination progressive de tous les combustibles fossiles". 


Annick BERGER

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