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Froid hivernal : peut-on réquisitionner des bâtiments vides pour héberger les plus démunis ?

Publié le 12 janvier 2024 à 14h00

Source : JT 20h Semaine

Membre du conseil municipal de Paris, Ian Brossat s'inquiète des conséquences du froid sur les plus démunis, et souhaiterait réquisitionner des logements vacants.
Problème, selon l'élu : les municipalités n'ont pas cette compétence, qui serait réservée aux préfets.
Si des dispositifs législatifs rendent possibles des réquisitions, celles-ci demeurent très rares depuis deux décennies.

Les températures hivernales que connaît la France depuis quelques jours préoccupent le sénateur PCF Ian Brossat, ancien adjoint au logement à la mairie de Paris. Pour venir en aide aux plus démunis, l'élu souhaiterait que la municipalité puisse décider de réquisitionner des logements laissés vacants par leurs propriétaires. Problème : les équipes d'Anne Hidalgo n'en auraient pas le pouvoir. "Aujourd’hui, seul le Préfet peut permettre la réquisition de bâtiments", assure Ian Brossat. "De fait, il n’utilise jamais ce droit. Il est temps pour les communes de récupérer cette compétence, elles qui sont au plus près du terrain." Des déclarations qui se traduisent par un appel du pied au gouvernement, afin que ce dernier "permette à la Ville de Paris de réquisitionner".

Un dispositif qui remonte à 1945

Utiliser des bâtiments publics tels que les gymnases pour y loger des personnes dans le besoin, la mesure est habituelle dans le cadre des plans "Grand froid". Mais qu'en est-il des réquisitions de logements privés qui seraient laissés vacants ? Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l'association Droit au logement (DAL), confirme à TF1info que des dispositifs législatifs les rendent possibles. En pratique, trois possibilités existent, avec une efficacité très variable.

Première option : s'appuyer sur une ordonnance de 1945 relative à la réquisition de logements. Elle a permis, depuis sa mise en place, de réquisitionner quelque 120.000 à 130.000 logements, note le responsable associatif, surtout dans l'après-guerre. Depuis 1995-1996, années au cours desquelles environ 1200 logements ont été réquisitionnés dans Paris et sa proche banlieue, le dispositif est resté "assez confidentiel", plus aucun bien privé n'étant visé. 

Sur le papier, il revient à une personne mal logée ou sans domicile fixe de se tourner vers l'État afin de formuler une requête et demander la réquisition d'un logement précis identifié comme vacant. Par la suite, détaille Jean-Baptiste Eyraud, une enquête doit déterminer si cette habitation est bel et bien laissée vacante depuis au moins un an et répond à une série de critères. Si les conditions sont réunies, c'est au préfet que revient la décision de signer ou non un arrêté en ce sens. Notez que si la réquisition d'un logement est actée, le bénéficiaire devra s'acquitter du versement d'une indemnité, "assez réduite et de l'ordre d'un loyer de logement très social", souligne le porte-parole du DAL. Une somme in fine transmise au propriétaire. Dernier élément à garder en tête : une réquisition est formulée pour un délai d'un an, renouvelable six fois. Soit au maximum sept ans continus.

D'autres dispositifs bien plus hypothétiques

Du côté du DAL, on explique aux Vérificateurs que des options alternatives sont envisageables pour procéder à des réquisitions. Une autre procédure, mise en place en 1998, diffère ainsi de celle de 1945 : elle attribue entre autres un rôle central à un intermédiaire, aux côtés de l'État. Il peut s'agir "d'une association, d'un service social, ou encore d'un organisme agréé", note Jean-Baptiste Eyraud. Cet intermédiaire "va gérer le bien réquisitionné et désigner le ménage qui va en bénéficier". Cette procédure, "mal foutue" selon les mots du DAL, n'aurait d'ailleurs "jamais été appliquée". La raison serait simple : "les propriétaires de biens réquisitionnés peuvent s'opposer à cette décision s'ils présentent un projet de réhabilitation du logement". Au milieu des années 2010, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a tenté en vain de réquisitionner des immeubles entiers laissés vacants, sollicitant pour cela les préfets d'Île-de-France. "Un échec", résume Jean-Baptiste Eyraud.

Ce dernier évoque enfin une dernière option pour réquisitionner un bien privé, tout aussi hypothétique. Il s'agit pour les maires de signer un arrêté de réquisition en invoquant leur pouvoir de police générale. Des procédures observées par le passé, qui ont toujours été retoquées. Les tribunaux administratifs ont en effet mis en avant le fait que "les municipalités disposaient de logements sociaux ou d'un patrimoine immobilier propre qui pouvait être mobilisé en priorité". Les logements privés, en somme, seraient uniquement réquisitionnables si toutes ces options étaient épuisées au préalable. Notons que ces réquisitions municipales ne seraient de surcroit pas possibles dans certaines villes de France : à Marseille comme à Paris. En effet, ces métropoles affichent un statut particulier, puisque les pouvoirs de police générale n'incombent pas à la municipalité, mais au préfet de police. 

En conclusion, il est donc possible de procéder à la réquisition de logements vacants, essentiellement par le recours à une ordonnance de 1945. Ce pouvoir est dans les mains des préfets, représentants de l'État dans les départements. 

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Thomas DESZPOT

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