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Après l'Ukraine, la campagne de désinformation russe "Doppelgänger" s'empare du conflit entre Israël et Hamas

par Thomas DESZPOT & Samira El Gadir
Publié le 16 novembre 2023 à 17h37

Source : TF1 Info

Il y a quelques mois, les dessous d'une vaste campagne russe de désinformation étaient révélés.
Surnommée "Doppelgänger", elle portait sur la guerre en Ukraine et cherchait à déstabiliser les pays occidentaux.
Basées sur le clonage de site de presse et institutionnels, ces manœuvres sont aujourd'hui étendues au conflit entre Israël et le Hamas.

En Allemagne, le terme "Doppelgänger" fait référence dans le folklore à l'idée d'un double maléfique. Mais c'est aussi le nom donné à une vaste campagne de désinformation, menée par la Russie depuis 2022. À l'origine, elle se focalisait sur la guerre en Ukraine, cherchant à déstabiliser les pays occidentaux, mais nous observons depuis plusieurs semaines qu'elle tente d'instrumentaliser le conflit entre Israël et le Hamas. 

Des sites de médias "clonés"

En juin dernier, TF1info décrivait les rouages de cette campagne de désinformation en ligne. Le principe était assez simple : des sites de presse (français, allemands ou encore italiens) ont été reproduits presque à l'identique, avec des adresses web différentes pour seul signe distinctif. Le Monde, 20 Minutes, le Guardian ou encore le Spiegel ont ainsi été "clonés" puis utilisés afin de publier de faux articles. Ces publications étaient à l'origine centrées sur la guerre en Ukraine : elles se montraient très critiques vis-à-vis de Kiev et du soutien qui lui était apporté par ses alliés. 

Parmi les multiples articles ingénieusement relayés sur les réseaux sociaux par des comptes pro-russes, certains ont évoqué le "véritable désastre" de la contre-offensive ukrainienne, ou encore le fait que Zelensky et son gouvernement avaient perdu la confiance de la population. Des méthodes de déstabilisation à grande échelle, qui ont évolué avec le temps.

Le conflit Israël / Hamas à son tour instrumentalisé

Depuis quelques semaines, cette campagne a évolué. De nouveaux articles ont émergé, cette fois centrés sur le conflit entre Israël et le Hamas. Un faux-site imitant le quotidien Le Parisien nous explique par exemple que "le sang palestinien est sur les mains de Macron", et que "la France risque d'être déclarée complice du génocide palestinien". En raison d'une position "pro-américaine" du président de la République, une "guerre civile" serait à redouter dans l'hexagone.

Des articles trompeurs ont été repérés en français, mais aussi en allemand, hébreu, russe ou encore anglais et ukrainien. Leur point commun : laisser entendre que le soutien (financier et militaire) des puissances occidentales est aujourd'hui détourné au profit d'Israël. Et que l'Ukraine, dans le même temps, ne pourrait bientôt plus en bénéficier. Les individus à l'origine de ces détournements sont des acteurs "qui aiment souffler sur les braises, démarrer le plus d'incendies possibles" dans le but de "polariser", témoigne auprès de TF1info Alexandre Alaphilippe, directeur exécutif de EU DisinfoLab, l'ONG qui a en premier évoqué (et nommé) l'opération Doppelgänger l'an passé. En clair, le but est de faire en sorte que "les gens se détestent entre eux à l'intérieur d'un pays", en accentuant les divisons. 

Le dernier exemple en date remonte à quelques jours. Sur le réseau social X, les photos d'une série d’étoiles de David bleues taguées sur des murs de Paris et d'Île-de-France ont été très largement repartagées. Le Quai d'Orsay a rapidement réagi et imputé "avec un haut degré de confiance" ces relais massifs au réseau Doppelgänger. Les nombreux comptes qui lui ont été associés ont été les premiers à partager ces clichés, a fait savoir Viginum, l’organisme français de lutte en charge de la lutte contre les opérations d’influence.

Des bots sont aujourd'hui utilisés

La multiplication en ligne de ces contenus trompeurs a attiré l'attention d'une série d'internautes, qui se sont rassemblés afin d'étudier les méthodes utilisées pour tenter d'influencer les opinions publiques. Un collectif se faisant appeler  "Antibot4Navalny" sur les réseaux sociaux a par exemple révélé que les méthodes employées ont évolué au fil du temps. Avec en particulier un usage généralisé de bots, ces programmes informatiques automatisés. 

Les Vérificateurs ont pu échanger avec des représentants de ce groupe d'enquêteurs : ils soulignent en préambule que le recours à des bots permet "de diffuser les fausses informations plus rapidement", mais aussi de rendre ces campagnes de manipulation plus discrètes. Afin de multiplier la propagation des articles fallacieux sur des plateformes comme X, les individus à l'origine de l'opération Doppelgänger ont recours à des machines qui vont se charger de rédiger les messages destinés aux réseaux sociaux (et qui les traduisent également dans diverses langues). La conséquence ? Seulement "15% de textes dupliqués" sur le quelque "27.000 qui ont été recensés et analysés", nous confie-t-on du côté de "Antibot4Navalny". Le nombre de bots utilisés dépasserait quant à lui les 8.000.

Un lien avéré avec la Russie

À la fin du printemps déjà, le ministère des Affaires étrangères confimait le lien entre ces opérations de déstabilisation en ligne et la Russie. "Les autorités françaises ont mis en évidence l'existence d'une campagne numérique de manipulation de l'information contre la France impliquant des acteurs russes", nous expliquait-on. Une campagne "à laquelle des entités étatiques ou affiliées à l'État russe ont participé en amplifiant de fausses informations". Les autorités françaises affirmaient par ailleurs à l'époque qu'elles se trouvaient en "lien étroit" avec leurs alliés "pour mettre en échec la guerre hybride menée par la Russie".

En juin toujours, il était aussi fait référence à une enquête du groupe Meta (propriétaire notamment de Facebook), évoquant l'implication de deux entreprises russes, détenues par un certain Ilya Andreevitch Gambachidze. Cet homme, qui affiche aussi une casquette de stratège politique, gravite autour du pouvoir : il a entre autres occupé un poste de conseiller du vice-président de la Douma Piotr Tolstoï.

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