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Que sait-on des journalistes accusés d’avoir suivi le Hamas le 7 octobre en Israël ?

Publié le 10 novembre 2023 à 7h30, mis à jour le 10 novembre 2023 à 10h45

Source : TF1 Info

Des photographes gazaouis sont accusés d’avoir été embarqués aux côtés du Hamas, au moment des massacres commis en Israël.
Les médias et agences de presse ayant acheté leurs clichés démentent avoir été informés des événements du 7 octobre.
Rien ne prouve à l’heure actuelle que ces journalistes, qui couvrent le conflit depuis Gaza, aient été au courant de l’opération du Hamas.

Mise à jour du 10/11 : ajout des propos d'un des photographes accusés, ayant réagi auprès de Libération.

Le Hamas avait-il mis des journalistes dans la confidence avant de passer la frontière et de commettre leurs raids meurtriers dans le sud d’Israël, le 7 octobre dernier ? Un mois après ces attaques ayant causé la mort de plus de 1350 Israéliens, dont plus de 1000 civils, une ONG américaine basée à Jérusalem, HonestReporting, accuse des médias et agences de presse d’avoir accompagné les commandos terroristes du Hamas. Et donc d’avoir été informés de l’opération "Déluge d'Al Aqsa", préparée minutieusement par le groupe palestinien. Sinon, comment expliquer avoir été sur le terrain si tôt ce matin-là ? 

Des accusations rejetées par les agences

Les agences Associated Press (AP) et Reuters, mais aussi les médias CNN et le New York Times sont visées. Ils auraient tous acheté des clichés à au moins quatre journalistes de Gaza, qui auraient été "embarqués" aux côtés du Hamas : Hassan Eslaiah, Yousef Masoud, Ali Mahmud et Hatem Ali. L’AFP, qui compte sur Mahmoud Hams, photographe pour l’agence française, n’est pas concernée. Les allégations d’HonestReporting se sont rapidement propagées sur les réseaux sociaux, en étant reprises par des comptes américains, français ou par Israël

Sur Twitter, on accuse des médias et des agences de presse d'avoir eu des journalistes aux côtés du Hamas le 7 octobre.
Sur Twitter, on accuse des médias et des agences de presse d'avoir eu des journalistes aux côtés du Hamas le 7 octobre. - DR

Face à ces accusations, trois des quatre rédactions ont démenti avoir été au courant des attaques du Hamas et avoir envoyé des journalistes sur le terrain. "Notre affirmation est claire : nous n’avions aucune connaissance préalable des attentats du 7 octobre", affirme CNN auprès de TF1info, tandis qu’AP assure, par voie de communiqué, que "les premières photos reçues par AP d'un indépendant montrent qu'elles ont été prises plus d'une heure après le début des attaques" et qu'"aucun membre du personnel de l’AP n’a traversé la frontière à aucun moment". 

De son côté, Reuters "nie catégoriquement avoir eu connaissance de l'attaque ou avoir intégré des journalistes au Hamas le 7 octobre" et explique dans un communiqué avoir "acquis des photographies de deux photographes indépendants basés à Gaza qui se trouvaient à la frontière le matin du 7 octobre, avec lesquels l'agence "n'avait aucune relation préalable". Des clichés pris "deux heures après" les premiers tirs de roquettes du Hamas sur Israël, selon l’agence. Seul le New York Times, que nous avons contacté, n’a pas encore réagi. 

Une couverture au plus près du Hamas

Le point commun de ces quatre photographes est donc d’être accusés d’avoir suivi le Hamas dans son parcours meurtrier. Tous les quatre sont originaires de la bande de Gaza, y vivent toujours et collaborent avec des agences de presse internationales en leur vendant des photos. Pour trois d’entre eux, la présence aux côtés de commandos terroristes le jour du 7 octobre est avérée. 

Hassan Eslaiah a par exemple pris ce cliché d’un char israélien détruit à la frontière de Gaza, à l’est de Khan Younis, et l’a vendue à AP. Une photo encore publiée sur le site de l’agence et utilisée par des médias, dont The Times of Israël. Auprès de nos confrères de CheckNews, le photographe indique qu'il se trouvait chez lui ce 7 octobre, "à Khan Younès dans la bande de Gaza", et avoir été réveillé par des tirs de roquettes. Après avoir pris des clichés sur le toit de sa maison, il aurait contacté AP pour lui proposer d'aller au plus près des événements, à la frontière.

Ce n’est pas la seule fois où ce photographe a travaillé pour AP, puisque l’on retrouve son travail ici, le 27 octobre à Deir al-Balah, dans la bande de Gaza. Hassan Eslaiah est bien journaliste gazaoui. En mai dernier, il participait à une table ronde à Gaza, organisée par la maison de la presse de Palestine. L’homme est aujourd’hui accusé de connivence avec le Hamas, tandis qu’une photo supposée de lui et d’un dirigeant du mouvement a été sortie des archives. Celle-ci a été postée par lui-même en janvier 2020.

À gauche, Hasan Eslaiah invité à une table ronde en mai 2023, à Gaza
À gauche, Hasan Eslaiah invité à une table ronde en mai 2023, à Gaza - Press House Palestine

Ali Mahmud a, lui aussi, photographié des membres du Hamas ce matin-là, pour le compte d’AP. Il y a par exemple cette image d’un commando en train de rentrer à Gaza avec le corps sans vie de Shani Louk, une jeune femme germano-israélienne. Le photographe a pu collaborer quelques jours plus tard avec l’agence de presse en lui vendant, le 11 octobre, ce cliché de blessés palestiniens à l’hôpital Al-Shifa de Gaza. 

Hatem Ali a également été témoin d’exactions du Hamas, comme l’enlèvement de cette Israélienne, identifiée plus tard comme étant Yaffa Adar, âgée de 85 ans et vivant au kibboutz Nir Oz. Ses deux photos de l’otage, entourée de membres du Hamas, ont été vendues à AP et publiées dans The Times of Israël ou The Telegraph. Il continuera de vendre son travail à l’agence, depuis Rafah dans le sud de la bande de Gaza. Les 17 et les 22 octobre, il capture l’évacuation de Palestiniens après des bombardements israéliens. Le 1ᵉʳ novembre, il se trouve à la frontière avec l’Égypte, où des civils attendaient de pouvoir franchir le poste-frontière de Rafah.

Une collaboration active avec le NY Times

Nous n’avons pas retrouvé de clichés pris par Yousef Masoud le 7 octobre, dans le sud d’Israël. Ce dernier se présente comme un "photographe indépendant" vivant à Khan Younis, dans la bande de Gaza, selon le New York Times, avec qui il collabore. Contacté, Yousef Masoud n’a pas répondu à notre sollicitation. Mais sur Instagram, l’homme a publié ce 9 novembre deux clichés récents, vendus au quotidien américain.

Maintenant, ces photographes savaient-ils ce que préparait le Hamas ? Rien ne le prouve à l’heure actuelle. En fonctionnant comme des journalistes indépendants, qui vendent leur travail à plusieurs rédactions, tous les quatre ont pu également servir de fixeurs à des confrères étrangers en reportage. Être un photographe local, sur le terrain, implique nécessairement de nouer des contacts. Le fait d’être au plus près des agissements du Hamas ne signifie pas qu’ils ont cautionné leurs actes, ni qu’ils ont été informés au préalable de l’opération. 

Le photographe Yousef Masoud a publié deux clichés vendus au New York Times, ce 9 novembre, sur Instagram
Le photographe Yousef Masoud a publié deux clichés vendus au New York Times, ce 9 novembre, sur Instagram - Yousef Masoud

Reste le cas d’Hassan Eslaiah, qui est plus flou. L’homme se serait notamment filmé à moto, avec des membres du Hamas, ce matin du 7 octobre, puis aurait diffusé la vidéo sur son compte Facebook. Une vidéo qui a désormais été supprimée et que nous n’avons pu authentifier. Par ailleurs, deux des quatre rédactions visées par ces allégations ont pris leurs distances avec le photographe. "Nous ne travaillons plus avec Hassan Eslaiah, qui était occasionnellement pigiste pour AP et d'autres agences de presse internationales à Gaza", a fait savoir AP, pendant que CNN nous a assuré qu’Hassan Eslaiah "ne travaillait pas pour la chaîne le 7 octobre" et avoir "rompu tout lien avec lui à partir d’aujourd’hui". 

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Caroline QUEVRAIN

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