"C'est un port, ça appelle au trafic" : la difficile traque des trafiquants de drogue à Marseille

par V. F | Reportage TF1 : Paul Geli et Sylvain Fargeot
Publié le 9 mars 2024 à 8h00

Source : TF1 Info

Alors que 80% des saisies de cocaïne ont lieu par la voie maritime, le gouvernement a lancé ce jeudi un plan de renforcement des contrôles dans les ports.
À Marseille, par exemple, les douaniers doivent intervenir le plus en amont possible, car une fois le bateau à quai, les trafiquants bénéficient de complicité.
Et cela rend très compliqué toute détection, comme le montre cette enquête de TF1.

Au large de Marseille, la douane est en alerte dès le lever du jour. Cette fois, il s'agit d'un cargo battant pavillon du Panama qui a coupé son signal GPS au cours de son itinéraire. Un comportement suspect alors les douanes maritimes l'accoste en pleine mer. Pendant que certains douaniers questionnent le capitaine, d'autres équipes fouillent la cargaison de minerai, mais aussi à fond de cale et en salle des machines, jusque dans les conduits d'aération. "Ils peuvent cacher la drogue dans les couloirs de ventilation ou dans des réservoirs en créant de fausses cloisons", détaille l'un des agents. Les cabines de l'équipage sont aussi fouillées. "Ils peuvent en mettre dans les affaires personnelles de l'équipage qui peut être approché pour servir de mule", assure un autre. 

"Diversifier tous les modes d'acheminement"

Ces contrôles en mer sont essentiels, car il est nécessaire d'agir avant l'arrivée au port des cargos. "Ça permet de vérifier le bateau avant qu'il puisse y avoir soit un déchargement, soit des marins qui descendent et donc des échanges avec des complices. Par exemple, dans les personnels qui travaillent dans les ports", explique Aurélie Body, commandante du patrouilleur Jean-François Deniau de la douane maritime française. Une fois à quai, de nouveaux contrôles peuvent être effectués. L'extérieur de la coque du cargo panaméen est ainsi inspectée par des plongeurs, car de la drogue peut y avoir été fixée. "C'est accroché de manière à ce que personne ne soit au courant à bord. Donc les plongeurs viennent, accrochent leurs torpilles et s'en vont. Et à l'arrivée, d'autres plongeurs viennent les rechercher", souligne un douanier. 

Ça peut être 30.000 euros, 100.000 euros, ça dépend du volume
Jean-Pierre Ferrier, ancien transporteur condamné pour contrebande

Malgré toutes ces vérifications, aucune saisie ce jour-là. La dernière grande prise à Marseille était de 100 kg de cocaïne trouvé sur un navire de croisière. Des passagers servaient de "mules". "Il faut comprendre la stratégie des trafiquants qui est de diversifier tous les modes d'acheminement. En fait, tous les navires, potentiellement, sont bons pour transporter de la marchandise", avance Eric Salles, inspecteur principal adjoint au directeur des douanes. 

Cela comprend notamment le traditionnel porte-container. La méthode est classique, mais fonctionne toujours, sachant qu'il passe dans le port de Marseille plus d'un million de containers par an. Alors les trafiquants profitent des flux pour y cacher de la cocaïne. Une fois la drogue chargée à bord en Amérique latine, ils informent leurs complices français du nom du bateau et du numéro de container. Contre rémunération, l'agent portuaire retire ensuite discrètement le colis et le sort du port. 

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Pour autant, face à la caméra de TF1, un employé assure qu'il est impossible de déjouer la traçabilité des cargaisons. "Le moindre mouvement est enregistré avec nos tablettes et notre bureau à Marseille a toutes les informations. C'est par ailleurs impossible pour nous d'ouvrir un container. C'est interdit. On ne peut pas franchir la ligne rouge", assure-t-il. Malgré tout, par téléphone, un docker qui ne sait pas qu'il est enregistré tient d'autres propos. "De tout temps, dans les ports, bien entendu, il y a des trafics qui rentrent et des trafics qui sortent. Oui, bien entendu, il y a déjà eu quelques dockers qui se sont fait attraper. Ce sont des faits individuels. Des agissements de certaines personnes qui se mettent en marge de la profession", affirme-t-il. 

Sous ses airs de retraité sans histoire qui coule des jours paisibles dans sa villa, Jean-Pierre Ferrier est l'un de ces repris de justice. Sa dernière condamnation : trois ans de prison pour avoir facilité l'entrée d'un container chargé de cocaïne. Cet ancien opérateur logistique s'exprime pour la première fois sur la rémunération des transporteurs par les trafiquants de drogue. "Souvent, ils arrivent à savoir quel transporteur c'est, puis ils s'arrangent avec lui. Ça peut être 30.000 euros, 100.000 euros, ça dépend du volume aussi", témoigne-t-il. Un système qui semble bien ancré dans les traditions portuaires. "Ils ne pourront jamais enrayer le trafic sur le port de Marseille. Et puis bon, c'est un port, ça appelle à faire le trafic", ironise-t-il.

Pour faire face à ces enjeux, l'ancien ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a été nommé à la tête du port de Marseille. Celui qui avait créé l'Office anti-stupéfiants en 2020 fait face à la réalité complexe de la contrebande. "Il ne faut pas croire que ça peut se faire d'un coup de baguette magique. Le port de Marseille-Fos, c'est 70 kilomètres de côtes. C'est un territoire grand comme la ville de Paris. C'est quelque part chercher une aiguille dans une botte de foin. Mais il n'empêche qu'il faut le faire de façon inlassable, avec des moyens humains, des moyens techniques. Nous avons un scanner actuellement disponible sur le port. Nous aurons un second scanner cette année qui viendra sur le port. Et puis, nous devons renforcer la coordination avec tous les services", avance-t-il.

D'ici fin 2024, les douanes vont être renforcées par de nouveaux effectifs et des moyens supplémentaires dans les principaux ports français.  


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