ENQUÊTE - Seniors victimes d'abus de faiblesse : "Je n'ai pas pu sauver ma mère"

par V. F | Reportage TF1 : Baptiste Guénais, Quentin Danjou et Quitterie N'Guyen-Long
Publié le 15 juin 2023 à 8h42, mis à jour le 15 juin 2023 à 11h06

Source : JT 20h Semaine

Tirer avantage de l'ignorance ou de la faiblesse physique ou morale de quelqu'un, c'est ce qu'on appelle l'abus de faiblesse.
Les personnes âgées, visées par les escrocs, sont particulièrement vulnérables, mais les condamnations sont rares et les procédures judiciaires très longues.
Le 20H de TF1 a mené l'enquête et recueilli des témoignages.

Les souvenirs de famille de Jean-Paul Vaglio se résument à un classeur. C'est tout ce qu'il a pu récupérer de sa mère défunte. "C'est les souvenirs de l'appartement de ma maman dans lequel j'ai grandi. Il y avait six albums photos, il ne reste plus qu'une petite pochette. Le reste a été vendu aux enchères ou mis à la poubelle", raconte-t-il dans la vidéo du 20H de TF1 ci-dessus.

Pour comprendre ce qui s'est passé, il faut remonter à 2017. Depuis quelques années, sa mère, Éliane, fréquente des réunions francs-maçonniques. Elle y a rencontré deux hommes qui au fil du temps se sont rapprochés d'elle. Tout bascule lorsque Éliane est hospitalisée après une chute. À sa sortie de l'établissement, l'un d'eux va emménager chez elle pour plusieurs mois. Jean-Paul soupçonne alors une tentative d'abus de faiblesse et porte plainte. "Elle est restée en contact avec ces gens-là et moi, elle m'a renié", poursuit-il. 

J'ai récupéré ma maman, elle ne pesait plus que 25 kg, elle n'avait plus toute sa tête, mais j'ai pu voir que c'était une victime.
Jean-Paul Vaglio

Les deux individus ont désormais le champ libre. Détail surprenant, ils vont engager un coach sportif aux frais de la vieille dame ; elle a pourtant du mal à marcher. "C'est 600 euros tous les mois depuis cinq ans. Vous imaginez un coach sportif pour une dame handicapée avec une double fracture de la colonne vertébrale et de 82 ans", dénonce encore Jean-Paul. Ont-ils profité d'Éliane ?  Sur des fragments de relevés de compte, son fils découvre d'importantes sommes d'argent versées à l'un des deux hommes. "23.000, 10.000, 4000...", égrène-t-il. Selon Jean-Paul, le préjudice total s'élève à plus de 500.000 euros. 

Dernier acte en juin 2022 : après des années de procédure, il obtient enfin la tutelle de sa mère. Il la retrouve en maison de retraite, ses affaires ont été vendues. Elle est très affaiblie et décède quelques mois plus tard. "Malheureusement, j'ai récupéré ma maman, elle ne pesait plus que 25 kg, elle n'avait plus toute sa tête, mais j'ai pu voir que c'était une victime en fait. Parce qu'effectivement, j'ai été en colère contre elle vu qu'elle s'est mise du côté des gens qui la maltraitaient. J'ai pas pu sauver ma mère", admet-il, écœuré. 

Entamée il y a six ans, l'enquête est toujours en cours. Aucune poursuite n'a été engagée. Joint par TF1, l'un des deux hommes dit s'être occupé d'Éliane sans jamais rien demander en retour. "Il n'y a aucun mouvement d'argent qui a été fait, sauf les remboursements de l'argent que je lui ai prêté. Elle a perdu un frère qui s'est noyé. Pour elle donc, j'étais quelque part la réincarnation de son frère, et comme je suis quelqu'un de très gentil, on va dire, elle avait besoin de moi. Et j'ai pas osé lui dire non", affirme-t-il au téléphone.

"Les escrocs sont toujours sympathiques"

Les seniors sont les cibles de choix pour les escrocs, car leur piège se referme au moment où la personne est le plus vulnérable : lorsqu'elle a des problèmes de santé, qu'elle est dépendante ou qu'elle vient de perdre un proche. À l'association "Alma 13", dans les Bouches-du-Rhône, c'est toujours le même schéma qui revient dans les dossiers d'abus de faiblesse : petit à petit, l'escroc tisse un lien entre lui et sa victime. "Une co-dépendance affective facilite l'abus de faiblesse. D'ailleurs, les escrocs sont toujours sympathiques. La première chose à faire si vous voulez abuser de quelqu'un, c'est de vous rendre indispensable et aimable à ses yeux", analyse la fondatrice Catherine Marand-Fouquet. 

La population française vieillit alors mécaniquement, les abus de faiblesse se multiplient. L'avocat au barreau de Grasse (Alpes-Maritimes), Christophe Di Natale, voit ainsi de plus en plus de familles défiler dans son cabinet. Son dossier du jour concerne Philippe Mertillo, exploitant agricole atteint d'Alzheimer. Son plombier a réussi, au fil des années, à gagner sa confiance jusqu'à obtenir une procuration sur ses comptes, une assurance-vie et un testament à son nom. Préjudice pour la famille : 2 millions d'euros. La procédure dure depuis dix ans. "Ce qui est difficile, c'est le fait qu'on n'a pas d'issue, on voit pas l'issue, ça traine. Finalement, vous vous dites, on hérite à 80 ans", dénonce l'abusé. 

Dans ce dossier, le plombier a finalement été condamné à deux ans de prison, mais le testament n'a toujours pas été annulé. Après le procès au pénal, un nouveau marathon judiciaire s'annonce donc. "Rebelote, double peine, on recommence par un procès civil pour faire annuler un testament, pour faire annuler des contrats d'assurance-vie et pendant ce temps-là, ça peut durer dix ans, quinze ans", regrette maître Di Natale. 

L'abus de faiblesse reste très difficile à prouver, car les victimes ne se considèrent pas comme telles. Peine maximale pour ce délit : trois ans de prison et 375.000 euros d'amende. 


V. F | Reportage TF1 : Baptiste Guénais, Quentin Danjou et Quitterie N'Guyen-Long

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