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Présidentielle 2022 : que sait-on de ce collectif "citoyen" qui requiert "l'annulation du résultat du second tour" ?

Publié le 6 avril 2022 à 22h14, mis à jour le 27 avril 2022 à 13h05
Le site ReCiProC, créé le 19 mars 2022, propose de "contrôler les résultats" de l'élection présidentielle en France
Le site ReCiProC, créé le 19 mars 2022, propose de "contrôler les résultats" de l'élection présidentielle en France - Source : Capture d'écran

Les plateformes "citoyennes" se sont multipliées lors de l'élection présidentielle pour proposer un "contrôle" du scrutin.
Face à ce qu'elle considère comme des "errements", l'une d'elle demande "l'annulation des résultats du second tour".
Focus sur "ReCiProC" et l'association "Bon Sens", qui sont derrière cette initiative.

La victoire d'Emmanuel Macron sera bientôt officielle. À quelques heures de la proclamation des résultats du second tour par le Conseil constitutionnel, qui devrait avoir lieu ce mercredi 27 avril, une association de "citoyens" alerte sur les "errements" qui ont eu lieu lors du scrutin. Si elle ne précise pas les raisons de son inquiétude, elle requiert tout de même à l'institution "l'annulation des résultats" du second tour. Mais derrière cette revendication, que sait-on réellement de l'association derrière cette initiative ? 

De nombreuses failles

Il y avait en tout trois outils qui promettaient de réaliser leur propre "comptage indépendant". Le phénomène surfe sur cette idée selon laquelle une fraude électorale aurait eu lieu en France. Plusieurs mois avant l'élection, cette rumeur courait déjà dans les milieux complotistes. Inspirée du phénomène "Stop the steal" né aux États-Unis lors du scrutin de novembre 2020, cette thèse est apparue en France dès janvier, dans les sphères QAnon françaises. Entre autres arguments, celui de l'adoption par le gouvernement du logiciel "Dominion", utilisé lors des élections Outre-Atlantique. Une fausse information, comme nous vous l'expliquions ici. Autre théorie, celle d'une fraude via les machines électroniques, que nous avons également vérifiée.

Bien qu'à court d'arguments, cette inquiétude persiste dans certaines sphères. Alors, pour éviter "le risque que l'élection ne soit entachée par la fraude électorale" pour reprendre les mots de France Soir, des internautes ont proposé une nouvelle forme de "contrôle citoyen". Baptisé "ReCiProC" - pour "Respect de la Constitution et Protection des citoyens" - l'outil a été promu sur Telegram par un certain Silvano Trotta, son co-fondateur, le lundi 4 avril. Vue 71.000 fois, la publication est à destination de ceux "qui ne veulent pas aller voter, car c'est truqué". 

Elle appelait les adeptes de ces théories à être "présents dans TOUS les bureaux de vote lors du dépouillement". En lien, un site créé dès le 19 mars. Il offre à chaque citoyen la possibilité de renseigner "les données" de son bureau de vote ce dimanche, avec une photo du procès-verbal à l'appui. "En les vérifiant, nous pouvons, tous ensemble, recompter !", promet la plateforme. Ces "résultats" alternatifs seront "publics et partagés" par la voie d'un "e-mail". À l'heure où nous écrivons ces lignes, soit trois jours après la fin du dépouillement, ces "résultats" n'étaient toujours pas publiés.

Capture d'écran de l'interface de ReCiProC, qui propose de collecter les données des bureaux de vote
Capture d'écran de l'interface de ReCiProC, qui propose de collecter les données des bureaux de vote - Capture d'écran

Une procédure qui se veut transparente, mais qui pose énormément de questions. D'abord, sur l'identité de ceux qui partageront les données de leurs bureaux. Comme TF1 Info a pu l'observer, tout le monde peut s'inscrire, s'enregistrer comme "assesseur" d'un bureau de vote et déposer des photos. Sans avoir besoin de prouver son identité. Seules données nécessaires avant l'inscription : un prénom, un nom et une adresse e-mail valide. Comment s'assurer de l'authenticité des images ? Comment savoir que les résultats ne sont pas retouchés à l'image ? Le site ne le précise pas. 

Quant aux photos envoyées par les internautes, de quelle manière se fera le tri entre l'image d'un PV et celle d'un document lambda ? Comment vont être enregistrés les résultats des quelque 65.000 bureaux de vote que compte le pays ? Là non plus, aucune lisibilité sur le logiciel utilisé. Enfin, comment certifier que les résultats publiés en ligne rassemblent toutes les données issues des photos ? Et qu'aucun filtre n'a été réalisé en amont par les créateurs du site ? Impossible de le savoir sur la plateforme. Interrogés sur ces questions plus que cruciales, les auteurs de l'initiative ne sont pas revenus vers nous.

Des "citoyens" adeptes de la désinformation

Derrière ce phénomène aux airs "citoyens", cette application n'amène aucune assurance de données fiables et transparentes. Bien au contraire. Plus inquiétant encore, les personnes à son initiative ont des profils qui laissent craindre une manipulation de ces résultats. Le co-fondateur, Silvano Trotta, est un YouTubeur largement connu de la sphère complotiste. Intervenant dans le long-métrage Hold Up, il s'intéressait au paranormal, avant de devenir l'un des animateurs du mouvement anti-vaccin. Et depuis plusieurs semaines, il s'est pris de passion pour le conflit en Ukraine, dans lequel il prend très clairement parti pour les thèses pro-kremlin, diffusant des fausses informations à ce sujet

Quant au président de l'association Bon Sens à l'initiative de cette application, il s'agit de Xavier Azalbert, responsable de la publication de France Soir. Pro de la finance, il a surfé sur le Covid-19 pour alimenter son quotidien devenu une machine à désinformation. Tous deux proches des sphères Qanon, ils sont adeptes des théories complotistes. Cette plateforme pourrait donc être instrumentalisée pour crier à la fraude aux élections. 

En résumé, la fiabilité de cette plateforme est loin d'atteindre celle des bureaux de vote, où les procédés sont cadenassés. Et ses auteurs laissent craindre des manipulations des chiffres. De quoi inquiéter les autorités ? Interrogé sur la question, le ministère de l'Intérieur a simplement noté qu'aucune disposition "n'interdit aux électeurs d'opérer un comptage 'parallèle', et que rien, dans le code électoral, "ne s'oppose à la prise de photographies ou à la présence d'une caméra d'un média dans un bureau de vote, sous réserve de l'autorisation du président du bureau de vote".

Par ailleurs, la place Beauvau a tenu à rappeler que "le processus électoral (...) est transparent". D'ailleurs, pour ceux qui voudraient avoir un droit de regard sur les voix afin de les "recompter", les résultats de chaque bureau de vote seront disponibles. Il suffira de se rendre, comme en 2017, sur le site data.gouv.fr.

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Felicia SIDERIS

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