Verif'

Le massacre de Boutcha qualifié de "fake news" : on passe au crible les arguments du Kremlin

Publié le 5 avril 2022 à 17h44, mis à jour le 6 avril 2022 à 14h37

Source : TF1 Info

La Russie accuse l'Ukraine de "fake news" après la découverte dimanche de nombreux cadavres à Boutcha.
Une communication reprise par la presse officielle, qui s'appuie sur très peu de preuves.
Nous avons vérifié les arguments de Moscou.

Face aux funestes images venues de Boutcha, Moscou devait réagir. Pour tenter de répondre à l'indignation de l'Occident, la Russie a multiplié dès le 3 avril les allégations concernant les faits survenus dans cette petite ville proche de Kiev, la capitale ukrainienne. Des théories parfois contradictoires, mais toujours fondées sur de maigres arguments. Nous les avons vérifiés. 

De "fausses" victimes ?

Dès lundi, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a plaidé la fausse information, accusant l'Ukraine de partager des vidéos avec des signes de "falsification". Si le porte-parole n'a pas précisé la séquence à laquelle il faisait allusion, l'Ambassade de Russie au Canada s'est empressée de tweeter une vidéo supposée prouver la "mise en scène de faux cadavres dans la ville de Boutcha ". Ce montage, initialement publié par le média espreso.tv, proche du Kremlin, a été réalisé à partir d'une vidéo publiée par la Défense ukrainienne. Dans cette longue séquence enregistrée par le conseil local depuis un véhicule qui traverse la ville, des corps sont visibles à gauche comme à droite de la rue Yablonska. Or, au moins deux d'entre eux seraient "vivants", d'après le narratif russe. 

En zoomant sur un premier corps, visible à travers le pare-brise, espreso.tv affirme que celui-ci repli son bras. Un argument repris en chœur par la sphère complotiste française. Seulement, en analysant plan par plan comme le tweet ci-dessous, on comprend que le mouvement est provoqué à l'image par une goutte d'eau sur le pare-brise de la voiture. Le ralenti permet de voir que cette tâche déforme le paysage, même au-delà du corps allongé.

Le second "cadavre fictif" est quant à lui visible dans le rétroviseur. Selon espreso.tv, il se serait "assis" après le passage du pick-up. Là encore, il s'agit d'une simple distorsion de l'image, causée par le rétroviseur du véhicule. Ainsi, on distingue clairement que l'ensemble des immeubles en arrière-plan du corps sont, eux aussi, déformés par ce miroir.

Par ailleurs, ces deux cadavres, accusés d'être faux, n'ont pas bougé entre le 2 avril, lors du passage du véhicule ukrainien et le 3 avril. Un photographe de l'AFP sur place a pu, lui aussi, capturer des images de ces corps, dans une série de photos particulièrement insoutenable. Sur les clichés, on reconnaît plusieurs indices : le trottoir blanc et jaune sur lequel sont jonchés les corps, la couleur des véhicules visibles sur le bas-côté et les vêtements des cadavres.

Une "mise en scène" après le départ des Russes ?

La théorie des faux cadavres a tenu le temps d'une journée. L'argument était bien faible face à l'abondance d'images et témoignages recueillis sur place par l'ensemble des médias occidentaux, dont TF1. Mais la Russie avait déjà une deuxième version des faits. Dans une déclaration officielle, le ministère de la Défense russe s'est étonné le 3 avril que les "soi-disant preuves de crimes de guerre ne sont apparues qu'après quatre jours"

Dans cette version des événements, les cadavres sont bien réels, sauf qu'ils ne seraient apparus qu'après le retrait des troupes russes. Aucune preuve n'est avancée, à part la vidéo du maire de la ville, notamment partagée par l'ambassade russe à Genève. Car Anatoli Fedorouk s'est bel et bien réjoui dans un message sur les réseaux sociaux de la "libération" de sa ville. Seulement, ces images remontent au 27 février. Le moment correspond donc au déplacement des chars russes du nord vers la capitale. Et non pas au retrait des Russes de la ville. Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirment les officiels russes, les preuves de l'hécatombe ne sont pas apparues pour la première fois "quatre jours" après cette victoire. Elles étaient en fait disponibles sur les réseaux sociaux dès le 1er avril. Comme en témoignent cette publication sur Telegram, ou ce tweet. Les médias internationaux sont quant à eux arrivés sur place le 2 avril.

REPORTAGE - Des dizaines de civils tués à Boutcha : y a-t-il eu crime de guerre ?Source : JT 20h WE

Au-delà de ces témoignages, des images satellites de la ville décryptées par le New York Times invalident une bonne fois pour toutes cette théorie. Depuis le ciel de la rue Yablonska, elles montrent que, dès le 21 mars, au moins onze corps jonchaient cette artère de la ville. "Les objets apparaissent dans les positions exactes dans lesquelles les corps ont été retrouvés", et comme ils sont visibles sur les images du 2 avril, note le quotidien américain.

Une armée russe très conciliante ?

Dans ces mêmes images satellites récupérées par le New York Times, on découvre la façon dont au moins l'une des victimes est décédée. Dans la rue Yablonska, un blindé russe est visible au moment où il tire sur un civil à vélo, sans raison apparente. De quoi venir décrédibiliser la troisième théorie du ministère de la Défense russe. Celle selon laquelle, lorsque la ville était sous son contrôle, "pas un seul résident local n'a subi d'action violente".

Cette allégation va d'ailleurs à l'encontre de tous les récits entendus sur place. Dès le 4 mars, Human Rights Watch a ainsi enregistré le récit d'une exécution sommaire dans cette ville. Selon cette ONG qui enquête sur des crimes de guerre, des soldats russes ont "appréhendé cinq hommes et ont exécuté sommairement l'un d'entre eux". Un récit qui corrobore celui recueilli sur place par notre équipe. Au micro de TF1, un homme expliquait ce samedi avoir échappé de peu à la mort. "Ils ont voulu nous fusiller contre un mur. Quand ils ont vu que j'étais né en Russie, ils m'ont épargné", raconte-t-il. 

La totalité des versions présentées par Moscou est donc fallacieuse. Mais malgré la faiblesse de leur argumentaire, les autorités continuent de plaider leur innocence à grands coups de messages propagandistes. Une fabrique du doute toujours plus surréaliste. Qui réussit tout de même à convaincre certains Occidentaux.

Vous souhaitez nous poser des questions ou nous soumettre une information qui ne vous paraît pas fiable ? N'hésitez pas à nous écrire à l'adresse lesverificateurs@tf1.fr. Retrouvez-nous également sur Twitter : notre équipe y est présente derrière le compte @verif_TF1LCI.


Felicia SIDERIS

Sur le
même thème

Tout
TF1 Info