Harcèlement scolaire : le plan du gouvernement est-il efficace contre les violences en ligne ?

par Maëlane LOAËC
Publié le 2 octobre 2023 à 18h00

Source : JT 20h Semaine

Le gouvernement a dévoilé un arsenal de mesures contre le harcèlement scolaire, qui prend aussi en compte le cyberharcèlement, en particulier sur les réseaux sociaux.
Une initiative prometteuse, aux yeux de Justine Atlan, directrice générale de l'association E-enfance.
Elle souligne toutefois l'importance de remporter l'adhésion des parents, notamment dans les sanctions décrétées contre les harceleurs.

Après une rentrée chamboulée par un nouveau drame, le suicide d'un élève harcelé à Poissy dans les Yvelines, l'heure est à la "mobilisation générale" pour le gouvernement. L'exécutif a présenté la semaine passée un plan interministériel pour lutter contre le harcèlement scolaire, qui comprend tout un volet consacré aux violences en ligne : parmi les mesures annoncées, figurent notamment, sur décision de justice, la confiscation du smartphone et le bannissement des réseaux sociaux pendant six mois voire un an en cas de récidive, pour les auteurs de harcèlement grave. 

Ce plan "prend la juste mesure" du cyberharcèlement, jusqu'alors encore trop sous-estimé par l'Éducation nationale, constate auprès de TF1info Justine Atlan, directrice générale d'Association e-Enfance, dédiée à la protection de l'enfance sur Internet et en charge du 3018, qui va devenir le numéro unique d'aide d'urgence pour le harcèlement scolaire. Reste toutefois à savoir comment les mesures et les sanctions pourront se mettre en place, pour accompagner efficacement les jeunes et leurs parents contre ce fléau qui touche 20% des enfants, souligne-t-elle.

En quoi le cyberharcèlement est-il devenu un véritable prolongement du harcèlement scolaire dans les murs des établissements ? 

C'est un phénomène qui s'est massifié depuis une dizaine d'années, avec l'arrivée des réseaux sociaux et leur utilisation croissante par les jeunes. Les violences en physique se prolongent en ligne, dès que les auteurs et les victimes y sont présents. C'est une arme très puissante, qui agrège de nombreuses personnes : parfois, des élèves qui ne sont pas nécessairement dans le même établissement ou la même classe que la victime vont participer à son harcèlement.

Et pour cette victime, la situation est dramatique, car elle ne dispose plus d'aucun répit, même le soir, le week-end, ou pendant les vacances. Il y a un continuum, le harcèlement ne s’arrête jamais et le numérique amplifie ensuite le phénomène à l'intérieur de l'établissement. C'est un cercle vicieux extrêmement persécutant. 

Le gouvernement vous semble-t-il avoir pris la mesure de ce fléau ? 

Jusqu'alors, l’Éducation nationale a sans doute accumulé un petit retard, en considérant trop souvent le cyberharcèlement comme un phénomène mineur, qui ne la concernait pas forcément. Mais nous avons le sentiment que ce nouveau plan dispose d'un volet numérique important et le prend à sa juste mesure, avec des sanctions pénales spécifiques sur cet aspect. De la même façon, attribuer le numéro unique d'aide au 3018, qui était historiquement celui qui gérait le cyberharcèlement, permet aussi de montrer que ce volet est devenu extrêmement présent aujourd'hui et que l'on ne peut pas traiter le problème en silos. De manière générale, ce nouveau plan interministériel montre que la responsabilité face au harcèlement est partagée entre différentes institutions qui ont toutes leur rôle à jouer : le sport, l'Intérieur, la santé... C'est une approche assez nouvelle.

La confiscation n'est pas une mesure aberrante dans les situations les plus graves : on retire un outil qui est mal utilisé, comme on le ferait par exemple avec le permis de conduire en cas d'accident de la route
Justine Atlan, directrice générale de l'association E-enfance

La confiscation du téléphone ou le bannissement des réseaux sociaux pour les auteurs de cyberharcèlement grave pourront-ils permettre de soulager les victimes ? 

Oui sur le principe, puisque le cyberharcèlement repose sur des leaders, qui sont très moteurs. Si on les désamorce, cela permet en général de calmer le groupe, qui souvent ne se souvient même plus pourquoi il s'est mis à harceler la victime. Cette logique de sanction, si elle est rapidement appliquée, permet aussi de dissuader de futurs comportements malveillants. Mais le bannissement est compliqué à mettre en œuvre, car il faut encore que les réseaux sociaux l'appliquent. La confiscation du téléphone par un juge est en revanche plus simple. Cela permet de couper court aux comportements malveillants, le smartphone étant un outil puissant avec lequel un jeune peut tout faire, et très vite. En une minute, on peut filmer ou photographier la victime, diffuser les images à tout le monde, commenter... sans réfléchir une seconde à ce que l'on fait.

Ce n'est pas une mesure aberrante dans les situations les plus graves : on retire un outil qui est mal utilisé, comme on le ferait par exemple avec le permis de conduire en cas d'accident de la route. Mais il faut que cette sanction soit bien adaptée. Tout va se jouer dans le choix des critères, notamment la durée de la confiscation, car il faut pouvoir compter sur l'adhésion des parents, sans quoi ils vont aider leurs enfants à contourner la mesure. C'est très important pour recréer une alliance avec eux dans l'éducation des jeunes face à ces outils numériques. L'école ne peut pas gérer le problème toute seule.

Les parents envisagent le harcèlement uniquement comme une menace dont leur enfant pourrait être victime, sans penser qu'il pourrait aussi être lui-même un auteur ou un témoin
Justine Atlan, directrice générale de l'association E-enfance

Le gouvernement veut d'ailleurs remettre aux parents un livret de prévention sur le cyberharcèlement. Estimez-vous que ces derniers ne sont pas suffisamment conscients de ce fléau ?

Les parents sont en réalité très au fait du harcèlement, c'est même leur inquiétude numéro 1 concernant l'école. Mais le problème, c'est qu'ils envisagent ce phénomène uniquement comme une menace dont leur enfant pourrait être victime, sans penser qu'il pourrait aussi être lui-même un auteur ou un témoin. Il y a là un manque cruel, puisqu'il existe beaucoup plus de harceleurs et de témoins que de victimes. Nous sommes tous potentiellement des parents de témoins ou d'auteurs, il ne faut pas en avoir honte mais seulement être capable de le prévenir et de réagir. Les parents doivent être sensibilisés : ils doivent savoir que lorsqu'ils offrent un outil numérique à leur enfant, celui-ci va voir du cyberharcèlement passer et être tenté d'y participer, et qu'il faut lui apprendre les réflexes à avoir en ligne pour éviter cela. La formation à cet égard est donc très utile. 

Le plan prévoit également la mise en place d'un bouton de signalement sur tous les réseaux sociaux renvoyant au 3018, en quoi cela va-t-il consister précisément ? 

Un gros travail est à mener sur le signalement, il faut absolument que les jeunes comprennent qu'ils doivent tout de suite faire remonter des comportements violents, qu'ils soient victimes ou témoins. Au 3018, nous pouvons transmettre directement des signalements au service de modération des plateformes, qui sont alors traités en priorité et retirés plus vite.

Pour accélérer les choses, ce bouton permettra aux comptes qui sont déclarés mineurs, donc des internautes âgés de 13 à 17 ans, d'accéder directement au 3018 lorsqu'ils signalent un contenu sur une plateforme, pour pouvoir être pris en charge plus globalement. Ils ont besoin de trouver de l'aide directement où ils sont, sur le réseau social, sans avoir à en sortir. 

En parallèle, nous avons également une application 3018, et nous souhaiterions qu'elle soit téléchargée par défaut sur tous les téléphones vendus. Elle permet de rassembler les preuves de cyberharcèlement et chatter en direct avec des interlocuteurs spécialisés. Il faut encore que l'on aille plus loin dans l'accessibilité de ce service de signalement. 


Maëlane LOAËC

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