Une loi protectrice de l'image des enfants sur les réseaux sociaux : qu'est-ce qui va changer ?

par Emma FORTON
Publié le 7 février 2024 à 17h45

Source : JT 20h WE

Les députés ont adopté à l'unanimité, mardi 6 février, une proposition de loi visant à mieux protéger le droit à l’image des enfants sur les réseaux sociaux.
En cause, des parents qui surexposent l'intimité de leurs enfants sur les plateformes.
Des mesures ont été impulsées, sans pour autant complètement satisfaire les associations de défense des enfants.

C'est une belle avancée dans la protection des mineurs sur les réseaux sociaux. Dans un rare consensus au sein d’une Assemblée nationale morcelée en dix groupes, les députés ont adopté à l’unanimité, mardi 6 février, une proposition de loi visant à mieux protéger le droit à l’image des enfants face aux comportements de certains parents les exposant sans retenue sur les réseaux sociaux. Une loi portée par le député de la majorité du Bas-Rhin, Bruno Studer. En mars 2023, elle avait déjà été adoptée au Sénat.

D'après des chiffres cités lors des débats, un enfant apparaît en moyenne "sur 1 300 photographies publiées en ligne avant l'âge de 13 ans". Avant le vote solennel, Bruno Studer a tenu aussi à rappeler à la tribune de l’Assemblée que "50 % des images aujourd’hui échangées sur les forums pédopornographiques sont issues de contenu partagé par les parents sur les réseaux sociaux." Ces clichés peuvent par ailleurs alimenter des phénomènes de cyberharcèlement chez les enfants.

Selon Yves Monerris, avocat en droit pénal et droit de la presse, "cette loi est utile, car l'image des enfants sur les réseaux sociaux est une vraie problématique aujourd'hui et constitue de véritables dangers pour les enfants." Un constat partagé par Justine Atlan, directrice générale de l'association E-Enfance : "À travers des mesures appropriées, la loi actualise les droits de l'enfant à l'ère du numérique et évite de banaliser ces images." Alors, qu'est-ce qui va changer ?

"Sacraliser le pouvoir conféré au juge"

La loi vise d'abord à responsabiliser les parents. Ces derniers ne disposent pas d’un "droit absolu sur leur image". Comme le rappelle Justine Atlan, "le droit à l'image appartient bien à l'enfant dès sa naissance et les parents n'en sont pas les seuls propriétaires." La loi prévoit que "les parents exercent un droit en commun sur l’image de leur enfant mineur". Ce qui signifie qu’en cas de désaccord, un juge pourra "interdire à l’un des deux parents de publier ou de diffuser tout contenu relatif à l’enfant sans l’autorisation de l’autre parent".

"Cette loi sacralise le pouvoir conféré au juge", se réjouit Yves Monerris. Car en effet, les pouvoirs du juge ne s'arrêtent pas là. Il pourra également confier l’exercice du droit à l’image de l’enfant à un tiers. Dans des cas graves d'atteinte à la dignité de l'enfant, le juge pourra procéder à une délégation totale de l’exercice de cette autorité parentale. Comme le détaille l'avocat, "c'est un point important qui a fait l'objet de débats et qui était contesté par les sénateurs. Si les deux parents sont défaillants, le juge peut retirer le droit à l'image de l'enfant aux parents. C'est ensuite l'aide sociale à l'enfance ou les familles d'accueil qui prennent le relais."

Autre apport : la loi introduit la notion de "vie privée" de l’enfant dans la définition de l’autorité parentale donnée par le Code civil. "Ce n'est pas une nouveauté en soi, mais le changement réside dans le fait de montrer aux parents que l'enfant a des droits propres, différents de ceux de ses parents. Surtout, c'est une preuve que l'enfant doit être associé aux décisions dans le cadre de la gestion de son intimité", analyse Yves Monerris.

De multiples pistes à explorer

Mais comme le résume l'avocat, "les lois peuvent toujours être améliorées". "Peut-être aurait-il fallu prévoir des tranches d'âge imposées aux parents. Par exemple, l'interdiction de publier des images des enfants en dessous de l'âge de six ans", propose-t-il. L'association E-Enfance, qui a créé un numéro unique national (3018) et qui réalise des campagnes de prévention, pointe également les limites de cette loi. "Le problème, c’est l’application régulière et systématique des lois", assure Justine Atlan. Selon elle, il faut que "les réseaux sociaux renforcent leur capacité à identifier les photos des mineurs, qu'ils soient proactifs pour repérer les comptes de parents influenceurs et qu'ils luttent contre les contenus pédopornographiques". Pas évident, car les plateformes "ont déjà eu du mal à accepter de simples chartes", conclut la directrice générale de E-Enfance.

Pour Martine Brousse, présidente de l'association La Voix de l'enfant, "personne n'a entendu parler de cette nouvelle loi". Il est nécessaire d'aller plus loin en créant une "grande loi sur le numérique et les réseaux sociaux, un travail législatif sur tous les risques encourus par les enfants et surtout moins dans la précipitation". En plus, elle appelle à la constitution d'une "délégation interministérielle sur cette question" mais aussi à clarifier la "notion de consentement" qui ne peut pas être identique pour tous les enfants. Enfin, la présidente de l'association rappelle l'importance de la pédagogie. "Pendant les périodes de vacances, informer les adultes des risques de la diffusion des photos de leurs enfants."


Emma FORTON

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