Exposition aux écrans et troubles du langage : "Avant trois ans, l'enfant est anesthésié par les images"

Publié le 14 janvier 2020 à 18h13, mis à jour le 14 janvier 2020 à 19h00

Source : TF1 Info

ADDICT - Les jeunes enfants sont les premiers exposés aux dangers des écrans, comme en atteste une étude publiée ce mardi par Santé publique France. Et cela n'est pas sans conséquences sur leur santé. La pédiatre Sylvie Dieu Osika répond à nos questions.

Les études démontrant les risques des écrans sont de plus en plus nombreuses. A l'image de celle publié ce mardi par l'agence sanitaire Santé publique France sur les troubles du langage chez les jeunes enfants qui seraient favorisés par leur utilisation. Et pourtant, ils sont de plus en plus exposés aux tablettes et autres smartphones. Pour une raison simple : on a longtemps fait croire aux parents que leurs rejetons pouvaient y apprendre beaucoup de choses et qu'il était important de se doter du numérique de plus en plus tôt. "Foutaises", rétorque la pédiatre Sylvie Dieu Osika, co-fondatrice du CoSE (Collectif contre la surexposition des écrans) et auteure du livre "Les Ecrans, mode d’emploi pour une utilisation raisonnée en famille" (Editions Hatier).

"Les parents le font parce qu'ils pensent que ce n'est pas si mal, vu qu'en France, on les informe finalement très peu des dangers. Je ne suis pas pour les culpabiliser. Ces comportements sont aussi liés à une pression de la société qui ne supporte plus qu'un enfant fasse du bruit ou s'agite", avance-t-elle, jugeant qu'il est un peu trop facile de pointer du doigt la faute des parents et de stigmatiser les écrans. Bien qu'utiles, il est juste important de modérer leur utilisation. Cela vaut pour les grands, mais aussi et surtout pour les petits. Interview...

LCI - L'étude publiée mardi par Santé publique France montre que "ce n'est pas forcément le temps passé sur un écran qui est problématique" pour les enfants, "mais le moment de la journée" auquel ils y sont exposés, particulièrement le matin. C'est un constat plutôt nouveau ?

Sylvie Dieu Osika - Pas vraiment. De nombreuses études menées au Canada, aux Etats-Unis et en Australie mettaient déjà en avant cette donnée, mais on l'a très peu diffusée en France car on ne met pas beaucoup de conclusions négatives en avant. Ainsi, l'Académie américaine de pédiatrie a longtemps dit qu'il ne fallait pas mettre les enfants devant les écrans le matin avant les activités, pendant les repas, le soir avant le coucher et tout seul dans leur chambre. 

Pourquoi ces moments de la journée sont-ils à bannir ?

Il faut absolument éviter de mettre un enfant devant un écran au minimum une heure avant de dormir : d'abord pour éviter qu'il ne s'endorme trop tard car, on le sait, la lumière bleue inhibe la mélatonine, l'hormone du sommeil. En plus, si un enfant regarde quelque chose d'excitant avec plein de lumière, ce qui est le cas pour la plupart des dessins animés, il va être stimulé et va donc retarder son heure d'endormissement. Il risque aussi de faire davantage de cauchemars. 

Ensuite, comme le souligne l'étude, on ne met pas son enfant devant un écran le matin, car son attention va être totalement captée, et elle sera perdue pour qu'il puisse ensuite se concentrer fasse à une maîtresse qui, elle, ne crie pas partout et ne saute pas en l'air comme ce qu'il a vu précédemment sur sa tablette. Le troisième moment à bannir, c'est celui des repas. Car devant un écran, les enfants ne font qu'ouvrir la bouche. Résultat, ils ne se rendent même pas compte de ce qu'ils sont en train de manger. Je vois ainsi dans mon cabinet des enfants qui ne prennent leur repas que devant une tablette, et bien ils ne savent même pas qu'une carotte est orange !

L'étude souligne également l'importance d'accompagner son enfant lorsqu'il est devant un écran. Pour quelles raisons ?

Je suis contente que ce soit mis en avant car je n'arrête pas de le répéter aux parents qui viennent me voir.  Il faut absolument qu'ils soient présents aux côtés de leurs enfants et qu'ils échangent avec eux sur les émotions qu'ils ressentent. Car si un enfant s'enferme dans sa chambre avec sa tablette, le parent ne saura pas ce qu'il regarde et combien de temps il passe dessus. C'est une problématique qui touche le petit mais aussi et surtout les plus grands, avec les effets négatifs que peuvent avoir, par exemple, les images violentes ou pornographiques. 

L'âge est également un facteur aggravant ?

Un enfant de moins de six ans a tout intérêt à faire autre chose que d'être devant un écran. Par exemple des activités physiques, jouer, créer avec ses mains, imiter... D'autant que pour la majorité de ces jeunes enfants, être devant un écran, c'est juste récréatif. Ils sont totalement passifs donc ce n'est pas très intéressant. Par ailleurs, en dessous de trois ans, l'enfant n'apprend strictement rien. On peut même dire qu'il est anesthésié puisque son cerveau n'a pas la maturité nécessaire pour comprendre les images qu'il voit et qui passe en général à toute vitesse. Ce qui est d'ailleurs fait exprès pour les envoûter et capter leur attention.

Grand format : comment éviter la surexposition des enfants aux écrans ?Source : JT 20h Semaine

Comment explique-t-on ces troubles du langage liés à l'exposition aux écrans ?

Si dès ses premiers mois de vie, on parle et on regarde en même temps un bébé, il va apprendre à parler. En revanche, si on donne une tablette à un jeune enfant, il aura ce qu'on appelle "un déficit d'attention", c'est-à-dire qu'il n'apprendra pas et ne mémorisera pas correctement les mots. Ce sera juste un perroquet qui répétera ce qu'il entend, sans en comprendre le sens. S'il n'y a pas les gestes et le regard qui accompagnent les mots, on ne peut rien comprendre. Ainsi, je vois tous les jours des enfants de trois ans qui ne parlent pas parce qu'ils passent leur temps à regarder des dessins animés, et la seule chose qu'ils savent dire c'est : "Disney" ou "Roi Lion".

Est-ce que ces effets sont irréversibles ?

Heureusement non, mais il faut que le pédiatre soit bien informé des risques liés aux écrans. Ainsi, il pourra faire le lien avec un éventuel retard de langage. Une fois que le problème est détecté, en une à deux semaines, l'enfant peut reprendre ses apprentissages correctement. C'est pour cela qu'il n'est pas question de bannir les tablettes, mais qu'il faut les utiliser avec parcimonie.


Virginie FAUROUX

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