Incendies meurtriers à Hawaï : pourquoi des espèces de plantes invasives sont pointées du doigt

par M.L (avec AFP)
Publié le 18 août 2023 à 23h53

Source : TF1 Info

Des incendies catastrophiques ont ravagé l'archipel d'Hawaï la semaine passée, tuant plus d'une centaine de personnes.
Des plantes invasives, qui gagnent du terrain sur les îles depuis plusieurs décennies, auraient participé à alimenter le brasier.
Le fléau touche aussi l'ouest des États-Unis, où les feux dévastateurs se multiplient ces dernières années.

Elles auraient précipité la tragédie. Après l'incendie meurtrier qui a ravagé l'île hawaïenne de Maui, coûtant la vie à plus d'une centaine de personnes, des herbes envahissantes sont pointées du doigt. Résistantes à la sécheresse mais hautement inflammables, ces espèces importées se propagent massivement sur l'archipel américain depuis des décennies, mais aussi à l'ouest des États-Unis. Une présence de plus en plus menaçante selon les scientifiques, qui s'inquiètent de voir les feux se multiplier dans ces territoires

"Le problème des incendies est surtout attribuable aux vastes étendues d'herbes allogènes (originaires d'un autre territoire que celui où elles se sont implantées, NDLR) laissées à l'abandon par de gros propriétaires", a déploré sur les réseaux sociaux Clay Trauernicht, spécialiste des incendies à l'université d'Hawaï à Manoa. Les champs autrefois bien entretenus de l'île, qui auraient pu ralentir le feu, ont été remplacés par de "vastes étendues de plantes non locales", a-t-il souligné. Selon lui, la surface annuelle brûlée à Hawaï a augmenté de 300% ces dernières décennies.

"Tout d'un coup, vous avez beaucoup plus d'incendies"

Capables d'envahir des terrains difficiles et de remplacer peu à peu les plantes locales, la plupart de ces herbes, dont le Cenchrus ciliaris, l'herbe de Guinée ou encore l'herbe à mélasse, sont originaires d'Afrique. Elles ont été introduites pour servir de pâturage au bétail, sans se douter du danger qu'elles représenteraient des décennies plus tard. À Hawaï, la fin des plantations de canne à sucre autour des années 1990, dans un contexte de mondialisation, a eu des conséquences désastreuses : d'immenses zones sont abandonnées et envahies par les herbes. Selon un conseil hawaïen consacré aux espèces invasives, 79 plantes ont été introduites sur les îles dès 1793, lorsque les Européens puis les Américains se sont installés, relève le Time. Elles poussent actuellement sur près de 25% de la surface de l'archipel.

"Les herbes envahissantes sont très inflammables, elles changent le paysage, elles créent des conditions favorables aux feux, et tout d'un coup, vous avez beaucoup plus d'incendies", explique à l'AFP Carla D'Antonio, chercheuse travaillant sur ces espèces depuis plus de 30 ans. Au lieu de se décomposer comme d'autres plantes une fois mortes, ces herbes "restent debout pendant longtemps, aussi sèches que de la paille", décrit cette professeure à l'université de Californie à Santa Barbara. 

Les graines des espèces locales peuvent être détruites par le feu, tandis que les graines des espèces envahissantes ont tendance à survivre. Parfois, elles sont même libérées par le feu
Lissa Strohecker, porte-parole du Comité des espèces envahissantes de Maui, à Hawaï

Et après un feu, elles survivent mieux que les plantes locales. "Elles sont les premières à se régénérer après un incendie", souligne auprès du Time Lissa Strohecker, porte-parole du Maui Invasive Species Committee (Comité des espèces envahissantes de Maui). "Les graines des espèces locales peuvent être détruites par le feu, tandis que les graines des espèces envahissantes ont tendance à survivre. Parfois, elles sont même libérées par le feu", poursuit-elle. Or, être la première plante à "repousser dans un paysage défriché" offre un vrai "avantage" sur les autres espèces. 

En 2021, un rapport sur la prévention des feux réalisé par le comté de l'île Maui alertait déjà sur la menace croissante des incendies dans les champs d'anciennes cannes à sucre, sous l'effet "des températures en hausse et des périodes de sécheresse prolongées, liées au changement climatique", et préconisait un "plan efficace" pour remplacer les herbes envahissantes par des plantes locales. 

Une propagation aggravée par les changements climatiques

Mais le problème ne se limite pas à Hawaï. Sur le continent américain, dans "les déserts de l'Ouest, les forêts de conifères, et les zones d'arbustes sur la côte, les herbes envahissantes sont là pour rester, elles font désormais partie de l'écosystème", souligne Carla D'Antonio. De "grands feux dans les déserts des Mojaves et du Grand Bassin des États-Unis sont alimentés par les herbes envahissantes", des incendies qui ne sont pas des catastrophes naturelles : "Il n'y a presque rien de naturel là-dedans", insiste la chercheuse. En 2018 par exemple, l'incendie "Camp Fire" avait détruit la petite ville californienne de Paradise, tuant plus de 80 personnes. Il avait été déclenché par une ligne électrique mettant le feu à des herbes sèches.

L'un de ces végétaux, le Cenchrus ciliaris, menace aussi les cactus emblématiques Saguaro, en Arizona, en permettant aux incendies de se propager dans la région, si bien que des associations se retrouvent obligées d'organiser régulièrement des opérations de défrichage. Cette même herbe se propage également au Mexique et en Australie. Selon une étude de 2019 ayant analysé douze espèces d'herbes envahissantes dans la partie continentale des États-Unis, six sont d'ores et déjà liées à une augmentation de la fréquence des feux jusqu'à 150%. 

Le fléau risque de s'accentuer encore, puisque sous l'effet du changement climatique dû aux activités humaines, les périodes de sécheresse s'intensifient et se prolongent, ce qui favorise le développement de ces plantes invasives résistantes. "Nombre de ces plantes supportent assez bien les températures élevées (...) et s'accommodent assez bien des conditions de sécheresse", souligne auprès du Time Erica Fleishman, professeure et directrice de l'Institut de recherche sur le changement climatique de l'Oregon. "En général, beaucoup de plantes non-locales s'accommodent très bien des changements climatiques." La sécheresse alimentant déjà à elle seule la probabilité d'un incendie, les risques n'en finissent pas de se multiplier : "La possibilité de désastres est énorme", prévient Carla D'Antonio. 


M.L (avec AFP)

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