Seine-et-Marne : un forage pétrolier menace-t-il l'approvisionnement en eau de 180.000 Franciliens ?

Publié le 7 mai 2024 à 15h54, mis à jour le 7 mai 2024 à 17h22

Source : JT 13h WE

Un recours a été déposé en urgence contre un projet d'extension pétrolière en Seine-et-Marne.
La société Bridge Energies entend forer de nouveaux puits et les opposants dénoncent des risques pour l'eau potable.
La justice administrative doit se prononcer d'ici à la fin de la semaine prochaine. Le gouvernement, lui, ne remet pas en cause le projet.

De nouveaux puits pétroliers à cinq kilomètres de la forêt de Fontainebleau ? C'est le projet de la société Bridge Energies, qui exploite déjà trois puits de pétrole à Nonville, en Seine-et-Marne. Depuis longtemps, l'entreprise française, qui produisait, en 2021, 0,47% de la production nationale de pétrole (sur les 1% que représente la production française de pétrole pour la consommation nationale), cherche à s'agrandir. 

Fin décembre 2023, avant de quitter Matignon, l'ancienne Première ministre Elisabeth Borne a signé un décret l'autorisant à forer deux nouveaux puits à plus de 1 500 mètres de profondeur pour doubler ses capacités de production. Puis, en février, la préfecture de Seine-et-Marne a pris un arrêté autorisant ces travaux.

Interrogé mardi, lors des séances de questions à l'Assemblée nationale, sur ces travaux qui menacent selon les opposants au projet la ressource en eau potable en Seine-et-Marne et à Paris, le ministre délégué à l'Industrie Roland Lescure a répondu : "Nous respectons la loi, les décisions de justice et aussi l'environnement". Il a assuré que le chantier ferait l'objet d'un suivi précis, notamment quant au risque de fuites et le degré de turbidité de l'eau. 

Ces nouveaux forages menacent l'approvisionnement en eau de 180.000 Seine-et-Marnais et Parisiens
Dan Lert, président de l'établissement Eau de Paris

Car ces décisions de l'autorité publique sont aujourd'hui contestées. Eau de Paris, l'établissement public chargé du prélèvement, du traitement et du transport de l'eau potable vers Paris, a en effet attaqué cet arrêté en référé-suspension devant le tribunal administratif de Melun. "L’ordonnance du juge des référés dans cette affaire devrait être rendue d'ici à la fin de semaine prochaine", annonce la juridiction auprès de TF1. 

"Nous avons également déposé un recours au fond", précise le président de l'établissement public, Dan Lert, également adjoint chargé de la transition écologique auprès de la maire de Paris Anne Hidalgo. "Ces nouveaux forages menacent l'approvisionnement en eau de 180 000 Seine-et-Marnais et Parisiens." Ils sont en effet situés près des zones de captage pour l'approvisionnement en eau des deux zones.

En avril 2023, la Mission régionale de l'autorité environnementale d'Ile-de-France relevait, dans un avis, des risques "susceptibles de dégrader la qualité de l'eau", précise Libération qui a révélé l'affaire. Selon l'AFP, elle formule un nombre important de recommandations, dont celle "d'analyser et de prévenir les risques d'un accident ou d'un acte de malveillance conduisant à des écoulements d’hydrocarbures pouvant atteindre le Lunain", une rivière qui se trouve près du site et classée Natura 2000.

Deux incidents par le passé

Les opposants au forage craignent deux effets : d'abord, un incident lors des travaux qui contamineraient les nappes phréatiques ; ensuite des incidents lors du transport des hydrocarbures. "Le risque de pollution est gravissime", estime Dan Lert. "En autorisant ces forages, le gouvernement prend un risque inconsidéré alors même que la ressource en eau est déjà menacée par le changement climatique." Dans un communiqué, Anne Hidalgo évoque, elle, "une catastrophe environnementale en puissance".

Et de citer deux incidents qui se sont produits sur le site par le passé et lors desquels Bridge Energies "n'a pas été réactivé" : un déversement accidentel d'hydrocarbures depuis un camion en 2013 et des fuites en 2022. Les riverains se plaignent aussi d'odeurs de soufre émanant du site industriel.

Des travaux en 2025 ?

Une fois le référé suspension examiné – qui décidera de l'éventuelle suspension de l'autorisation –, reste le recours au fond. Mais le tribunal administratif ne se prononcera pas avant plusieurs mois. Or, si le référé suspension est rejeté, le recours au fond n'est pas suspensif. Les travaux pourront donc commencer.

Lors de l'audience du 26 avril devant le tribunal administratif, Bridge Energies a assuré qu'elle n'en ferait rien, précisant selon Libération que les travaux ne débuteraient pas avant mai 2025. Mais selon des propos rapportés par Dan Lert, le juge a souligné que l'entreprise ne donnait aucune garantie sur cette date.

L'entreprise n'a pas souhaité commenter l'affaire. Lors de la séance de questions à l'Assemblée nationale mardi, la députée Sandrine Rousseau a cité le slogan des années 1970 - "Nous n'avons pas de pétrole, mais nous avons des idées" — demandant au gouvernement si c'était "parce qu'il n'avait plus d'idées qu'il voulait du pétrole"

Le ministre Roland Lescure a répondu qu'en la matière, l'exécutif respectait la loi votée en France qui prévoit l'arrêt de l'exploitation des hydrocarbures en 2040 seulement. "Arrêtez de faire peur à tout le monde", a-t-il ajouté. Son cabinet précise que la concession pour ce site de Bridge Energies est valable jusqu'en 2034 et ne sera pas prolongée après.

Pour Dan Lert, qui demande à l'exécutif d'annuler le décret d'autorisation, "le gouvernement sera comptable en cas d'accident grave de pollution sur cette zone".

En 2020, Bridge Energies voulait déjà construire 10 puits supplémentaires. À l'époque, l'un des opposants au projet était le maire de Fontainebleau, qui était déjà inquiet pour la ressource en eau. Ce n'est autre que Frédéric Valletoux, aujourd'hui ministre de la Santé. 

Contacté par TF1, l'intéressé a confirmé sa position d'alors : "En tant que maire de Fontainebleau puis député, j’ai formulé à plusieurs reprises mes réserves et inquiétudes sur l’extension de la plateforme en cause au regard de l’impact environnemental et sanitaire pour le territoire. À l'unisson des maires de la commune concernée et des communes proches. C’est une conviction que j’avais en tant que député et que j’ai toujours en tant que ministre."


Marianne ENAULT

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