Eau minérale en bouteille : "Ce modèle est voué à disparaître d'ici cinq à dix ans"

par V. F | Reportage TF1 : Tiphaine Leproux, Marine Derre et Alexis Tranchant
Publié le 19 décembre 2023 à 7h30
Eau minérale en bouteille : "Ce modèle est voué à disparaître d'ici cinq à dix ans"
Source : Getty Images/iStockphoto

Le marché de l'eau minérale a-t-il encore un avenir ?
La question se pose à l'heure où certaines sources dans lesquelles puisent les producteurs voient leur niveau baisser dangereusement.
Regardez ce reportage de TF1 dans les Vosges et le Puy-de-Dôme.

Près de 7 milliards de litres d'eaux minérales sont puisés tous les ans dans nos sous-sols. Mais, depuis le début de l'année, plusieurs industriels sont contraints de réduire la voilure. Wattwiller, Volvic, Vittel, Perrier, Hépar... Les unes après les autres, des marques du secteur baissent leurs prélèvements. Et cela se voit dans les rayons, avec une hausse des prix et des ruptures de stock de certaines eaux. Alors que se passe-t-il ? Le changement climatique remet-il en question l'avenir de ce marché ?

"Beaucoup (trop) de prélèvements"

Pour s'en rendre compte, direction Vittel, dans les Vosges. Ici, cela fait trois ans qu'une association locale, "Eau 88", alerte sur l'état préoccupant des cours d'eau. "Il n'y a plus d'eau qui coule depuis janvier", lance son porte-parole Bernard Schmitt, dans le reportage de TF1 à retrouver en tête de cet article. 

Ces sources, qui drainent la nappe en profondeur, s'assèchent chaque année de plus en plus longtemps et de plus en plus tôt. "Si ça ne coule plus, c'est qu'il y a un problème. Donc c'est que cette nappe à un niveau qui est trop bas. Certes, il y a moins de précipitations, mais aussi beaucoup de prélèvements", souligne de son côté Jean-François Fleck, autre porte-parole de l'association.

Le responsable, selon ce collectif, se trouve à quelques kilomètres de là. Le groupe Nestlé Waters puise dans ces sous-sols pour ses eaux : Contrex, Hépar, Vittel. Mais l'entreprise affirme, au contraire, contribuer à la gestion durable de la ressource. Ces dernières années, elle a même volontairement demandé à la préfecture d'abaisser ses autorisations de pompage. "Nestlé Waters a baissé de façon continue ses prélèvements sur l'ensemble des nappes (...) soit déjà une baisse de 23% entre 2010 et 2022", assure son porte-parole dans un communiqué. 

Mais depuis le printemps, les aléas climatiques, comme la sécheresse, ont contraint le groupe à suspendre des forages. Deux sur six de ses eaux Hépar sont à l'arrêt, ce qui représente 60% de la production à eux seuls. 

La Société des eaux de Volvic attaquée en justice

Face au manque de pluie qui s'intensifie chaque année, que dire donc de l'avenir de ce secteur ? Pour l'hydrologue Emma Haziza, les prélèvements des industriels ne baissent pas assez pour recharger les nappes. "Les minéraliers, au rythme où ils vont, à moins de baisser drastiquement la vitesse d'exploitation, on a une bascule qui fait que ce modèle devrait être terminé d'ici cinq à dix ans", affirme-t-elle. Les producteurs d'eaux minérales, eux, réfutent ce scénario. 

Pourtant, l'inquiétude grandit, comme dans le Puy-de-Dôme, où la population commence à exprimer sa colère. Certains ont même manifesté contre l'activité de la Société des eaux de Volvic, propriété de Danone. Un habitant, Édouard de Féligonde, attaque d'ailleurs l'entreprise en justice, accusant son puissant voisin d'avoir asséché les sources d'eau de sa pisciculture familiale, désormais à l'arrêt. "C'est à sec total alors que vous aviez 470 litres/seconde, là, il n'y a plus rien", se désole-t-il. 

Le procès est toujours en cours, mais l'homme a en sa possession un rapport d'expertise qu'il a financé et qui démontre, selon lui, que Danone a sa part de responsabilité. L'eau pourrait-elle revenir ? Impossible de le garantir, mais il y croit : "Si Volvic arrête de pomper de l'eau, l'eau revient. Je doublerai les volumes d'eau, j'aurai de l'eau constante sur la pisciculture."

La Société des eaux de Volvic est le seul producteur d'eaux minérales à avoir accepté de répondre à TF1. Pas question de commenter la procédure judiciaire en cours, mais ses dirigeants soutiennent que la ressource est gérée durablement dans un respect strict des "arrêtés sécheresse" de la région. "Notre objectif est que cette ressource soit pérenne pour tout le monde, pour l'eau potable, la nature et pour l'eau minérale, pour hydrater nos consommateurs. Donc, on va pas épuiser cette nappe, c'est pas du tout notre objectif", insiste Christine Raphanel, la responsable RSE. 

Depuis 2017, Volvic a baissé ses prélèvements de 13% sur la nappe. Non pas en produisant moins, mais en réduisant le gaspillage d'eau sur la chaîne d'embouteillage. "Aujourd'hui, on investit sur des nouvelles technologies, ce qui permet de ne pas rincer à l'eau les bouteilles. C'est 360 millions de litres d'économies d'eau réalisées", avance le directeur Emmanuel Gerardin. Pour autant, Volvic prélève au total 2,33 milliards de litres chaque année, dix fois plus qu'il y a trente ans. 

Aujourd'hui, la France est le premier pays exportateur d'eaux minérales dans le monde. Mais pour combien de temps encore ? 


V. F | Reportage TF1 : Tiphaine Leproux, Marine Derre et Alexis Tranchant

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