"Lula n’est pas du tout assuré de gagner" : à quoi va ressembler l'entre-deux-tours de la présidentielle au Brésil ?

Publié le 3 octobre 2022 à 12h02

Source : TF1 Info

Donné largement favori dans les sondages, Lula a finalement devancé Jair Bolsonaro d'une courte tête lors du premier tour de l'élection présidentielle au Brésil.
S'il reste en ballotage favorable, l'ancien président de gauche est loin d'avoir gagné la partie face à l'actuel chef d'État.
La longue période d'entre-deux-tours, qui s'annonce explosive et sous tension, pourrait bien redistribuer les cartes.

Il y aura bien un second tour. Annoncé largement en tête dans les sondages - et même gratifié de plus de 50% des votes par certains -, Luiz Inacio Lula da Silva, dit Lula (parti des travailleurs), a finalement récolté 48% des scrutins, dimanche lors du premier tour de l'élection présidentielle brésilienne. Un résultat suffisant pour faire la course en tête mais qui entérine la tenue d'un second tour de tous les dangers pour l'ex-chef d'état de gauche. "Je peux vous dire que nous allons gagner cette élection. C'est juste une prolongation", a-t-il déclaré devant ses partisans, tout de même visiblement affecté. 

Mais c'est ailleurs que se situe la véritable surprise de ce scrutin. Largement distancé dans les intentions de vote, le président sortant d'extrême droite, Jair Bolsonaro, a tout de même réuni 43% des bulletins. Il est notamment parvenu à totalement siphonner le réservoir des autres candidats, relégués au rang de simples faire-valoirs (la troisième, Simon Tebet, ne pointe qu'à 4%). "Nous avons vaincu les mensonges" des sondages, a exulté l'ancien militaire. "Le nombre de voix pour Bolsonaro surprend. Pour eux, c'est bien, pour nous, c'est le pire qui pouvait arriver", résume, auprès de l'AFP, José Antonio Benedetto, un fonctionnaire âgé de 63 ans. 

Joutes verbales accrochées, violences et fake news

Désormais, c'est une période de presque un mois (le second tour aura lieu le 30 octobre prochain) qui s'ouvre. À en croire les nombreux experts, elle s'annonce aussi incertaine que tendue. Les quatre semaines avant le prochain scrutin "vont être assez denses", confirme, à TF1 Info, Juliette Dumont, maîtresse de conférences en Histoire contemporaine à l’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine. "Des deux côtés, il va y avoir une mobilisation très forte", peut-être trop, ajoute-t-elle, craignant un "climat de violence, déjà très important, qui risque encore de monter d’un ou deux crans" dans le pays. "Nous allons voir un deuxième tour radicalement polarisé", abonde à l'AFP Bruna Santos, du Brazil institute. Pour Paulo Calmon, politiste de l'Université de Brasilia, "la course va être encore plus ouverte et promet une dispute acharnée". 

Concrètement, "Bolsonaro a déjà bien chauffé à blanc ses partisans. Cela fait un an qu’il dit qu'une défaite serait liée à la manipulation des urnes électroniques. De nombreuses fake news continuent de circuler au Brésil affirmant que, de toute façon, les élections sont truquées", rappelle Juliette Dumont. "Lorsque l'on sait l'impact qu'ont ces fausses informations dans le pays, Lula n’est pas du tout assuré de gagner", met en avant la chercheuse au CREDA. 

Lula et Jair Bolsonaro, les deux rivaux du second tour de l'élection présidentielle brésilienne.
Lula et Jair Bolsonaro, les deux rivaux du second tour de l'élection présidentielle brésilienne. - EVARISTO SA / AFP

Le revers relatif de Lula accorde "un mois supplémentaire" à son grand rival "pour provoquer des troubles dans les rues", estime pour sa part Guilherme Casaroes, de la Fondation Getulio Vargas. "On ne peut pas exclure que Bolsonaro galvanise sa base et l'encourage à pourchasser les supporters de Lula", alerte Michael Shifter, analyste de l'Inter-American Dialogue. Entre les deux camps, "il y a beaucoup de rancœur, de haine et il ne serait pas surprenant que cela conduise à des troubles", alors que la campagne a déjà connu des violences, souligne-t-il auprès de l'AFP. 

Les accusations de corruption pèsent "très lourd"

La perspective d'une victoire du vieux lion de la politique brésilienne est également rendu plus incertaine par les accusations de corruption à son égard, lui qui a passé plusieurs mois en prison. S'il a, depuis, été innocenté par la Cour suprême, Lula souffre toujours de cette image écornée. Lors du dernier débat entre les deux hommes, jeudi 29 septembre, Bolsonaro n'a d'ailleurs pas hésité à qualifier son parti de "plus grande mafia que le Brésil ait connue", pointe Juliette Dumont. Ces attaques verbales, menées depuis de nombreuses années, ont "infusé très profondément la société brésilienne", créant un "climat [qui] pèse très lourd", détaille-t-elle. De son côté, Jair Bolsonaro se présente toujours comme celui qui va éradiquer ce fléau au Brésil. Une prétention "ironique quand on sait les affaires de ses fils", raille l'experte. 

On pourrait avoir un nombre considérable d'électeurs qui renoncent à voter au second tour.
Juliette Dumont

Ce second tour pourrait bien aussi, comme souvent, se jouer au niveau de l'abstention. "On retrouve au Brésil cette idée selon laquelle les politiciens seraient 'tous pourris'. On pourrait donc avoir un nombre considérable d'électeurs qui renoncent à voter au second tour. Par peur ou par dégoût d'une campagne qui n’a pas, jusque-là, été très intéressante en termes d’idées démocratiques", explique la chercheuse. 

Toutefois, au vu du rapport de force, ce sont probablement les électeurs de Simone Tebet (MDB, 4%) et Ciro Gomes (PDT, 3%) qui devraient faire la différence dans la dernière ligne droite. "Les électeurs de Simone Tebet et Ciro Gomes, environ huit millions de personnes, vont décider qui sera le prochain président", reconnaît Bruna Santos. Une chose est sûre, l'hypothèse d'un second mandat de Jair Bolsonaro n'a jamais paru aussi plausible...


Maxence GEVIN

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