Mort d'Evgueni Prigojine : quelles sont les hypothèses envisagées pour expliquer le crash ?

par Maëlane LOAËC
Publié le 24 août 2023 à 13h13

Source : TF1 Info

Le patron de la milice pro-russe Wagner a été tué jeudi dans le crash d'un avion privé en Russie, aux côtés de son bras droit.
Les circonstances de la catastrophe restent encore floues, mais plusieurs hypothèses font surface : accident de vol ou attaque préparée contre la tête de cette milice, dans le collimateur de Moscou depuis des mois.
L'appareil semble bien avoir été pris pour cible, victime d'une explosion ou d'un tir de missile.

Accident fortuit ou attaque orchestrée ? Les spéculations se multiplient après le crash d'un avion privé mercredi au nord-ouest de Moscou, dans lequel le patron du groupe paramilitaire Wagner Evgueni Prigojine et son bras droit ont perdu la vie, aux côtés de huit autres passagers. Le crash de cet appareil qui effectuait un vol entre Moscou et Saint-Pétersbourg dans la région de Tver avait été annoncé par le ministère russe des Situations d'urgence et l'agence russe du transport aérien. Et la milice a confirmé peu après la mort de son chef, dans le viseur du Kremlin depuis une tentative de mutinerie lancée en juin. 

La chute de l'avion a été immortalisée dans de nombreuses vidéos, de différents points de vue : l'appareil semble tomber soudainement en piqué, suivi d'une fumée blanche, avant de s'enflammer à l'impact au sol, où les débris brûlés du fuselage ont été retrouvés. En seulement 32 secondes, l'avion, qui volait depuis une trentaine de minutes selon les médias russes, a perdu 3000 mètres d'altitude, chutant brutalement de 9000 mètres environ à 6000. Pour les membres du groupe Wagner, il ne fait aucun doute que leur patron "est mort à la suite des actions des traîtres à la Russie", quand Moscou paraît privilégier la piste d'un simple accident d'aviation. Si les zones d'ombre sont nombreuses, l'hypothèse d'une attaque reste pour l'heure la plus plausible. 

Un accident, une option peu plausible

L'appareil avait été recensé comme appartenant à la compagnie Wagner Group, en service depuis près de 16 ans, sachant que la durée de vie d'un avion peut s'étirer jusqu'à 25 à 30 ans, comme expliqué dans la chronique vidéo en tête d'article. Pourtant, du côté de Moscou, on semble privilégier la possibilité d'un accident de vol : une enquête a été ouverte pour "violation des règles de sécurité du transport aérien". "Une équipe d'enquêteurs a été envoyée sur les lieux (...) pour établir les causes de l'accident", a indiqué dans un communiqué le Comité d'enquête russe, laissant entendre qu'il pourrait mettre en doute le fonctionnement du matériel ou le comportement de l'équipage. 

Le Kremlin mis en cause

Une deuxième piste, plus probable, dessine la possibilité d'une attaque préparée contre l'avion privé, une théorie alimentée par le silence du Kremlin et de Vladimir Poutine, qui n'avait toujours pas commenté le crash ce jeudi matin. Du côté de l'Ukraine et de ses alliés, il ne fait déjà aucun doute que Moscou se trouve derrière la catastrophe, un geste de représailles après la stupéfiante provocation d'Evgueni Prigojine lors de sa tentative avortée de rébellion en juin dernier. 

"L'élimination spectaculaire de Prigojine et du commandement de Wagner deux mois après (leur) tentative de coup d'État est un signal de Poutine aux élites russes avant les élections de 2024", a écrit sur X (ex-Twitter) un conseiller de la présidence ukrainienne, Mykhaïlo Podoliak, estimant que "Poutine ne pardonne à personne". Le président américain Joe Biden s'est lui dit "pas surpris" de la possible mort du patron de Wagner, estimant que "peu de choses se passent en Russie sans que Poutine n'y soit pour quelque chose", tandis que le porte-parole du gouvernement français Olivier Véran a partagé ses "doutes raisonnables" sur "les conditions" du crash. 

Bombe ou missiles, les deux théories envisagées

Reste à savoir de quelle manière l'appareil aurait été attaqué. Des témoins ont indiqué avoir entendu des bruits d'explosion, retrace Le Monde, mais les experts hésitent entre l'option d'une bombe placée à l'intérieur de l'avion et celle d'un tir de missile. L'hypothèse d'une destruction depuis l'intérieur de l'appareil semble tout de même moins probable au vu des images du crash. Une vidéo publiée par le média d'État russe RIA Novosti montre l'appareil en train de plonger avec une aile manquante, a repéré CNN, mais pour autant, au vu des différentes séquences diffusées, l'appareil n'a pas volé en éclats en plein vol.

Autre possibilité donc : des missiles anti-aériens qui auraient visé l'avion privé. Selon la chaîne Telegram Grey Zone, réputée proche de la milice, les "deux explosions" entendues par des témoins sont "caractéristiques du travail de la défense antiaérienne". Une piste d'explication plausible, selon certains experts. "Sur une image, on a un panache de fumée qui vient de l'extérieur avec deux couleurs, (...) c'est exactement le même type d'image que des explosions par des missiles anti-aériens", a par exemple détaillé mercredi soir sur LCI Xavier Tytelman, ancien aviateur militaire et spécialiste aéronautique du magazine Air et Cosmos. "Une explosion venant de l'intérieur, une bombe par exemple, n'aurait pas laissé une deuxième traînée", a-t-il insisté. "S'il y a eu deux explosions importantes, cela correspond à deux départs de missiles sol-air", a abondé jeudi sur LCI le général Patrick Dutartre, ancien général de l'Armée de l'air, évoquant la possibilité d'"un attentat contre Prigojine".

"Il est presque certain que Poutine a ordonné au commandement militaire russe d'abattre l'avion de Prigojine", avance également le centre de recherches américain Institute for the Study of War. Il évoque explicitement la possibilité d'un "assassinat des hauts dirigeants de Wagner", qui représentait selon lui pour le Kremlin "probablement la dernière étape pour éliminer Wagner en tant qu'organisation indépendante". Même la presse russe se fait écho de cette possibilité : "Des trous dans le fuselage et les ailes indiquent un possible tir de missile", note le quotidien russe Kommersant dans sa Une ce jeudi.

Mais pour certains spécialistes, la cause précise de la mort d'Evgueni Prigojine importe peu en réalité, tant que la finalité est là : le haut commandement de Wagner a été décapité. "Quelle que soit la cause de l'accident d'avion, tout le monde y verra un acte de représailles et de châtiment, et le Kremlin ne s'opposera pas particulièrement à ce point de vue", note ainsi sur le réseau X la politologue Tatiana Stanovaya, de l’observatoire R.Politik. "Du point de vue de Poutine, ainsi que de nombreux responsables militaires et de la sécurité, la mort de Prigojine devrait servir de leçon à tous ses successeurs potentiels", souligne la spécialiste.


Maëlane LOAËC

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