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Attaque d'un hélicoptère en Transnistrie : opération ukrainienne ou "sous fausse bannière" russe ?

Publié le 19 mars 2024 à 19h29

Source : TF1 Info

La vidéo de l'attaque d'un hélicoptère en Transnistrie est devenue virale, dimanche.
Les autorités de cette région séparatiste pro-russe de Moldavie accusent l'Ukraine, qui dément.
Que sait-on des responsabilités de chaque camp ? TF1info fait le point.

Dans cette guerre informationnelle, chaque nouvel élément doit être pris avec la plus grande vigilance. Une règle d'autant plus vraie lorsque l'affirmation risque de mettre le feu aux poudres aux frontières de l'Europe. Face aux images d'un hélicoptère qui explose, largement relayées depuis ce dimanche 17 mars, l'heure est à la précaution. Car cette attaque, imputée à l'Ukraine, a eu lieu dans cette zone incandescente qu'est la Transnistrie, une région séparatiste pro-russe de Moldavie. Alors que sait-on de cette opération ? S'agit-il d'une frappe de "prévention" venue de Kiev ou d'une mise en scène russe destinée à justifier une intervention sur ce territoire qui a demandé la protection de Moscou ?

Un engin stationné depuis au moins 2003

L'incident a eu lieu dimanche matin. Les premières images, diffusées par les séparatistes pro-russes, montrent d'abord la carcasse d'un hélicoptère, un Mil Mi-8 de fabrication russe, accompagnées d'informations succinctes. "Une explosion a provoqué un incendie sur le territoire d'une unité militaire à Tiraspol", écrivent les autorités de cet État non reconnu, officiellement appelé "République moldave de Pridnestrovia" (PMR), précisant que l'incident aurait été provoqué "par une attaque de drone kamikaze". Par la suite, d'autres images sont relayées, dont celles en très grande qualité de l'incident filmé par un drone, accompagnées de messages accusant directement l'Ukraine.

Une version reprise en chœur par l'intégralité des relais de la propagande russe - notamment en France - mais rapidement démentie par la Moldavie. "Suite à l'examen des images vidéo et à l'échange d'informations, nous communiquons que l'incident en question est une tentative de provoquer la peur et la panique dans la région", ont répondu les autorités de Chisinau dans un communiqué, ne confirmant "aucune attaque" dans la région. Et pour preuve, la Moldavie argue que l'engin en question n'était "plus fonctionnel depuis plusieurs années".

Une version corroborée par les nombreux éléments visuels. Une analyse de l'engin démontre en effet que la vitre avant gauche du cockpit est manquante, accréditant l'idée que l'appareil n'était pas en état de vol. Est-ce-le cas depuis de nombreuses années comme le dit la Moldavie ? Pour le savoir, nous avons localisé le lieu où stationnait l'hélicoptère. D'après nos recherches, il se trouvait bien dans une zone de stationnement de cette base aérienne de Tiraspol. Or, en naviguant dans les archives de Google Earth, dont les données satellites remontent jusqu'en 2003, on découvre que cet hélicoptère n'a jamais bougé d'un iota. Même les pales du rotor sont arrêtées dans un axe identique, comme le montrent les images ci-dessous. L'engin n'a donc pas été utilisé en 20 ans. Ce qui vient balayer la thèse pro-russe d'une "frappe préventive" menée par Kiev : cet hélicoptère n'était pas une menace.

L'hélicoptère attaqué en Transnistrie en mars 2024 était à l'arrêt depuis au moins 2003
L'hélicoptère attaqué en Transnistrie en mars 2024 était à l'arrêt depuis au moins 2003 - Google Earth / Les Vérificateurs

Et que sait-on de la frappe ? Les séparatistes pro-russes évoquent dans leur communication des "munitions lancées depuis Odessa". Une version que nous n'avons pas pu confirmer, malgré la qualité de la vidéo. Si l'image montre bien un drone survoler l'hélicoptère et une munition toucher l'engin par la gauche, il est impossible d'identifier l'aéronef en question. Difficile aussi d'analyser la direction du tir. Comme le relève une source militaire auprès de TF1info, la frappe n'est pas réalisée via un obus, mais via une munition téléopérée, ce qui ne permet pas de tirer des conclusions sur l'origine du tir. 

Au-delà du fait que Kiev n'a aucun intérêt manifeste à réaliser une telle frappe, aucun élément tangible ne permet donc d'accuser les forces armées ukrainiennes. Quid de la Russie ? C'est la théorie présentée par Andriy Yusov. Dans la presse ukrainienne, le porte-parole de la Direction du renseignement militaire du ministère ukrainien a évoqué l'hypothèse d'une "provocation russe". Car l'éventualité d'une opération sous fausse bannière est bel et bien envisagée. Pour rappel, cette technique baptisée "false flag" en anglais consiste, pour un pays ou une organisation, à mener des actions laissant croire à une attaque de l'ennemi. Et dans le cas présent, plusieurs éléments donnent du crédit à cette hypothèse.

Une opération sous fausse bannière ?

Tout d'abord, la rapidité de la communication. Dès la diffusion des premières images, on a observé un empressement de la réaction russe et une activation rapide de ses relais, même à l'international. Par ailleurs, ce n'est pas la première fois que Moscou aurait recours à cette technique pour légitimer une intervention.  Cette stratégie est même décrite par les experts comme une "spécialité russe". En 1968, par exemple, le Kremlin utilisait déjà ses services de renseignement pour créer des incidents sous "false flag" afin de justifier l'intervention militaire soviétique en Tchécoslovaquie. 

Autre exemple bien plus récent, en février 2022. Alors que la Russie prépare son invasion de l'Ukraine, les dirigeants pro-russes des territoires séparatistes du Donbass alertent sur une incursion en cours, le 18 février. Les médias avaient alors révélé, en lisant les métadonnées des vidéos en question, qu'elles avaient été enregistrées deux jours plus tôt. Une technique à nouveau utilisée dans cette ex-république soviétique ? Si rien ne permet de le prouver, il est certain que cette attaque apparaît comme une aubaine pour le Kremlin : elle augmente artificiellement le niveau de la menace. Et légitime son rôle de "protecteur".

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Felicia SIDERIS

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