REPORTAGE - "Ces épiceries ne vendent pas de beurre" : à Montpellier, enquête sur le trafic de drogue et le blanchiment d'argent

par M.T | Reportage Maurine Bajac, Erinna Fourny, Lucas Lassalle
Publié le 29 septembre 2023 à 22h14, mis à jour le 30 septembre 2023 à 14h35

Source : TF1 Info

Des milliards d'euros issus du trafic de drogue sont blanchis chaque année à l'abri des regards, dans des petits commerces de quartier.
Une équipe de TF1 s'est rendue dans la région de Montpellier, où les élus qui tentent de s'y opposer se sentent de plus en plus impuissants.

Coiffeurs, épiciers, vendeurs de kebab... À Montpellier (Hérault), ces petits commerces agglutinés sur une même rue sont tous fermés. En pleine journée, on ne voit jamais aucun client. Que dissimule-t-on derrière ces façades ? Seuls quelques riverains osent répondre à nos équipes, face caméra : "Ça me paraît évident qu'il y a des histoires de blanchiment d'argent !", s'exclame un passant, dans l'enquête en tête de cet article. 

Dans ces commerces fantômes, des milliards d'euros issus du trafic de drogue sont blanchis chaque année à l'abri des regards. Sébastien Cote, adjoint au maire de Montpellier, en a fait son combat. Dans le reportage ci-dessus, il conduit nos équipes dans un quartier de la ville, inondé par ces petites boutiques  : "Vous avez deux épiceries, un bar à chicha, de la grillade à emporter, des tacos, encore une épicerie. Tout est fermé ! Et c'est là qu'on commence à avoir un soupçon d'argent sale et de blanchiment", confie l'élu. 

Trafic de drogue : impuissance des élus ?Source : JT 13h WE

Les gérants surveillent toute la journée devant leurs commerces. "Tous les soirs, ce sont des voitures en double file, des gens qui parlent fort, on a malheureusement eu des tirs d'armes à feu, et quelques règlements de compte", déplore Sébastien Cote, en passant devant les petites enseignes désertes. 

Dans ces magasins transiterait l'argent de la drogue. Par exemple, les trafiquants achètent légalement en salon de coiffure, en déclarant une coupe de cheveux à trente euros. Mais sur les trente euros, seuls vingt viennent du client et dix euros sont issus du trafic. Ils déposent la somme totale à la banque. Dix euros ont ainsi été blanchis. 

Comment l'empêcher ?

La mairie ne peut pas interdire le blanchiment. À la place, elle verbalise, comme c'est le cas dans le reportage ci-dessus avec une épicerie fermée pour avoir vendu de l'alcool après 22 heures. "On est obligé de faire du harcèlement administratif, en faisant fermer ces commerces pendant une semaine, quinze jours, trois semaines. Ensuite, ça rouvre encore et encore", explique Sébastien Cote. Les enquêtes de police peuvent parfois prendre des années pour les faire fermer. 

Un fléau qui ne s'arrête pas aux grandes villes. Dans le reportage en tête de cet article, nos équipes ont assisté à une réunion d'urgence sur le sujet. Autour de la table, des élus de toutes petites communes subissent, eux aussi, ce blanchiment. "Ces épiceries ne vendent pas de la lessive ou des plaquettes de beurre. On le sait, mais on est impuissant", intervient Frédéric Lafforgue, maire de Castelnau-le-Lez (Hérault). "Ils nous rigolent au nez, ils n'en ont rien à faire", renchérit patrice Speziale, maire de Marsillargues (Hérault). 

Malgré nos sollicitations, impossible de connaître le nombre d'enquêtes en cours pour soupçon de blanchiment à Montpellier. C'est à ce moment qu'intervient ce policier de la brigade financière, interrogé par TF1, qui traque pendant des mois les trajets quotidiens des délinquants, sans se faire remarquer, dans une voiture banalisée : "Il faut des preuves en justice, et on est là pour apporter des preuves. Photos, vidéos... il faut qu'on fasse attention à être le plus discret possible. Si on est repéré, ce sont des mois d'enquête qui pourraient être mis au panier", détaille l'espion. 

Une fois ces preuves rassemblées, les blanchisseurs sont interpellés et leur butin saisi. Au total, 112 millions d'euros liés au trafic de stupéfiants ont été saisis l'année. "Notre action vise à démanteler les réseaux les plus organisés en la matière, et arriver à déjouer les empilements de société qui sont mis en œuvre, avec l'utilisation de fausses identités ou d'individus qui ne sont gérants que sur le papier", explique Anne-Sophie Coulbois, qui représente l'office central pour la répression de la grande délinquance financière. 


M.T | Reportage Maurine Bajac, Erinna Fourny, Lucas Lassalle

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