Verif'

Contrôle technique des deux-roues : un nouveau gouvernement pourrait-il vraiment faire marche arrière ?

Publié le 16 avril 2024 à 16h31

Source : TF1 Info

Marine Le Pen entend supprimer le contrôle technique désormais imposé aux deux roues motorisés si le RN arrive au pouvoir.
Une décision qui signifierait s’affranchir d’une directive européenne.
Si cette suppression est possible sur le papier, elle ne serait pas sans conséquences et exposerait la France à des sanctions coûteuses.

Devenu obligatoire en France le 15 avril, le contrôle technique des deux-roues motorisés suscite des crispations et un rejet de la part de certains responsables politiques. C’est le cas notamment dans les rangs du RN, Marine Le Pen fustigeant un dispositif "inutile en termes de sécurité et coûteux". L’ancienne candidate à la présidentielle l’assure : si son parti arrive au pouvoir, les jours de cette mesure seront comptés. "Que les motards se rassurent, nous le supprimerons", lance-t-elle sur les réseaux sociaux. Une promesse qui se révélerait en pratique très délicate à mettre en œuvre.

La France s’exposerait à d’importantes sanctions

La mise en place d’un contrôle technique obligatoire pour les deux-roues a été effectuée par le biais d’une transposition dans la loi française d’une directive européenne datant du 3 avril 2014. Pour envisager la suppression d’une telle mesure, il est donc nécessaire d’interroger le fonctionnement législatif de l’UE. Les Vérificateurs ont ainsi sollicité l'expertise des Surligneurs, un média de lutte contre la désinformation juridique qui rassemble des enseignants en droit.

Docteur en droit européen et chercheur associé à l'université Paris-Saclay, Vincent Couronne rapporte que le RN disposerait de plusieurs options pour supprimer le contrôle technique. "Dès lors qu’une directive européenne est adoptée, elle peut être abrogée", note-t-il. Ce qui supposerait toutefois une majorité au Parlement européen, "ainsi qu’un accord par la suite du Conseil de l’Union européenne", loin d’être une formalité.

Une autre hypothèse reviendrait à envisager une prise de pouvoir du RN en France. Dès lors, le parti de Marine Le Pen "pourrait décider de ne pas appliquer cette directive européenne". Ce qui ne "serait pas sans conséquences, puisque les États membres de l’UE sont tenus de transposer ces textes dans leur législation". À défaut de transposition ou en cas de "détransposition", via le retrait du décret en vigueur, des sanctions seraient à craindre.

En pratique, "la Commission européenne peut saisir la Cour de justice de l'UE et engager un recours en manquement. Il sera alors demandé à la France de se mettre en conformité. Si le gouvernement s’y refuse, la Cour de justice va acter que le pays ne respecte pas le droit de l'Union, ce qui ouvrira la porte à une demande de sanctions, formulée par la Commission auprès de la Cour de justice."  Des amendes forfaitaires seraient alors à redouter, ainsi que de potentielles "astreintes". Derrière ce terme ? Des amendes dont le montant est multiplié par chaque jour de retard. "La France a déjà connu de type de double peine dans l’affaire des 'merluchons' en 2005 avec une astreinte de presque 58 millions d’euros par semestre de retard. Il s’agit d’un mécanisme très dissuasif", rapporte Vincent Couronne. "La Pologne aussi a été visée par le passé : elle devait payer à l’origine 1 million d’euros par jour de retard, car elle ne garantissait pas l’indépendance de son système judiciaire, une astreinte finalement divisée par deux par la justice européenne".

Les aides européennes ne seraient pas suspendues

Pourrait-on craindre que l’UE aille plus loin et suspende le versement de certaines aides à la France, telles que celles de la PAC ? "Non", rétorque le spécialiste du droit européen, "une telle décision ne serait possible qu’à la condition de voir la France porter atteinte à l’État de droit".

Le représentant des Surligneurs ajoute que l’Etat s’exposerait aussi à des recours en justice en cas de suppression du contrôle technique. "Prenons l’exemple d’un riverain qui déplore le bruit excessif des scooters : il peut saisir un juge et demander l'application du droit européen. S’il obtient gain de cause, la justice pourrait alors tenter de forcer le gouvernement à appliquer les textes en vigueur à l’échelle de l’UE". En cas d’accident de la route, on peut aussi imaginer qu’une victime aille devant le tribunal pour demander des dommages et intérêts à l’État. Il serait possible d’obtenir gain de cause en prouvant que l’accident a été lié à un défaut d’entretien du véhicule que le contrôle technique aurait permis d’éviter.

Autre piste : mettre en œuvre des mesures alternatives de sécurité routière, ce qui est permis par la directive. Le Gouvernement avait tenté cette voie en 2022, mais le Conseil d'État lui a ordonné de rétablir le contrôle technique, les mesures prévues par le Gouvernement étant insuffisantes pour réduire effectivement la mortalité routière.

 Si une suppression du contrôle technique des deux-roues semble délicate à envisager, la dernière piste qui la rendrait possible se révèle aussi la plus hasardeuse. Il s’agirait en effet d’une sortie de l’UE. Un "Frexit" à l’issue duquel la France pourrait abroger sans le décret instaurant cette mesure sans s’exposer à des sanctions, mais dont les conséquences dépasseraient de très loin la question des règles en vigueur pour les conducteurs.

Vous souhaitez nous poser des questions ou nous soumettre une information qui ne vous paraît pas fiable ? N'hésitez pas à nous écrire à l'adresse lesverificateurs@tf1.fr. Retrouvez-nous également sur Twitter : notre équipe y est présente derrière le compte @verif_TF1LCI.


Thomas DESZPOT

Tout
TF1 Info