Politique de "rigueur" : Gabriel Attal assume un mot pourtant tabou en France depuis 1983

Publié le 27 mars 2024 à 14h15, mis à jour le 27 mars 2024 à 17h25

Source : TF1 Info

"Nous allons poursuivre sur cette voie de rigueur", a assuré le Premier ministre ce mardi devant l'Assemblée nationale.
Un mot assumé par Gabriel Attal qui sera interrogé ce mercredi dans le 20H de TF1.
Pourtant, depuis 1983, le terme de "rigueur" a souvent été scrupuleusement évité.

Pourquoi tant de précautions de langage face au mot "rigueur" ? Gabriel Attal, lui, a choisi d'assumer ce terme. Ce mardi devant l'Assemblée nationale, il a lancé devant les députés : "Nous allons poursuivre sur cette voie de rigueur" pour combler le déficit budgétaire, qui s'est creusé à 5,5% du PIB en 2023. Le mot "rigueur" a même été prononcé deux fois par le Premier ministre, qui sera notamment interrogé sur cette question du déficit, ce mercredi soir dans le 20H de TF1. 

1976 : la rigueur… pour rien ?

Bien avant Gabriel Attal, d'autres premiers ministres sous la Vᵉ République ont appliqué des politiques d'austérité budgétaire. C'est d'ailleurs Raymond Barre qui est l’inventeur de la formule en 1976. Peu après son arrivée à Matignon, il met au point un plan d'austérité pour lutter contre l'inflation et amortir les effets du premier choc pétrolier de 1973. Le franc est alors très faible et pâtit d'un Deutsche Mark au plus haut. La France atteint la barre du million de chômeurs.

Raymond Barre décide alors de toute une série de mesures allant du blocage des prix sur quatre mois, du relèvement du tarif de la vignette auto, l'augmentation des taxes sur le carburant et l'alcool, respectivement de 15% et de 10%, et la majoration de l'impôt sur le revenu de 4 à 8%. Mais si les premiers effets de ces mesures semblent aller dans le bon sens, le deuxième choc pétrolier de 1979 va anéantir tous ces efforts.

1982-1983 : le fameux "tournant de la rigueur"

Après l'arrivée des socialistes au pouvoir en 1981, qui instaureront les 39 heures, la cinquième semaine de congés payés et l'augmentation de 25% du SMIC, la gauche est obligée de faire machine arrière face à l'explosion des dépenses de l'État. Pierre Mauroy tente une première fois de renverser la vapeur. En juin 1982, il annonce le blocage des salaires dans le public. L'État s'engage également à limiter le déficit budgétaire à 3% du PIB. Mais ces mesures n'ont que peu d'effet. 

En mars 1983, contre l'avis des ministres communistes, Mauroy passe à la vitesse supérieure. Il décide de ponctionner 65 milliards de francs sur la consommation des ménages et les dépenses de l'État et instaure un prélèvement de 1% sur l'ensemble des revenus des ménages. Les ministres communistes quitteront peu après le gouvernement.

Le mot qui marquera cette période, est lâché par François Mitterrand, avec toutes les circonlocutions du monde, le 23 mars 1983, lors d'une allocution télévisée : "Ce que j'attends de lui (Pierre Mauroy, ndlr) n'est pas de mettre en œuvre, je ne sais quelle forme d'austérité nouvelle, assure-t-il. Mais de continuer l'œuvre entreprise, adaptée à la rigueur des temps". Le mot "rigueur" ne sera prononcé qu'une seule fois dans cette adresse aux Français, mais le terme raisonne encore aujourd'hui.

1995 : la rigueur par l’impôt

Quelques années plus tard, en 1995, Alain Juppé est à peine arrivé à Matignon qu'il est chargé par Jacques Chirac de respecter au plus près les engagements du traité de Maastricht afin de préparer le lancement de l'euro. Alain Juppé n'a donc pas le choix et choisit d'emblée la rigueur budgétaire. Il décide de hausses de prélèvements pour les ménages (TVA, essence, création du Remboursement de la Dette sociale - RDS, portant sur 0,5% des salaires et des revenus non salariaux). 

Il appelle également à la vigilance les communes qui "ne sauraient se dispenser d'un effort de rigueur, alors que l'État réduit ses dépenses". À l'époque, la France a les taux d'intérêts les plus élevés d'Europe et il faut rassurer les marchés. Si cette politique avait réussi à les séduire et à remplir le cahier des charges de l'euro (dette à -60% et un déficit public à moins de 3% du PIB), elle avait en revanche précipité la chute d'Alain Juppé, sous la pression de la rue.

2010 : le tabou de la rigueur

Fort des leçons du passé, en 2010, le gouvernement de François Fillon s'emploie, lui, à esquiver le mot "rigueur" à propos des mesures anti-déficits annoncées par le Premier ministre. Un terme devenu tabou, voire "insultant" depuis le "tournant de la rigueur pris par les socialistes en 1983, symbole du renoncement, d'un retour en arrière, de promesses non tenues, et qui fut un traumatisme", notait à l'époque Philippe Martin, professeur d'économie à Sciences Po.

Mais ce jeu de dupe, François Fillon n'en avait cure. Interrogé cette année-là sur le débat autour de l'utilisation du mot "rigueur" que l'opposition, mais aussi certains dans son camp utilisaient pour qualifier ses mesures de redressement des comptes publics, François Fillon lançait : "je m'en contrefous". "Tout ce débat a assez peu d'intérêt", assurait-il. 

Alors ce terme de rigueur, endossé ce mardi par Gabriel Attal, sera-t-il assumé jusqu'au bout ? Une chose est sûre, à peine le mot lâché, Matignon s'est empressé de relativiser sa charge symbolique, car en politique, il ne peut jamais être employé à la légère : "Attal, ce n'est pas Mauroy 83 (...) Dire qu'on veut être rigoureux, sérieux, en matière de maîtrise des dépenses publiques, cela ne signifie pas qu'on donne le top départ d'une politique d'austérité", assure-t-on au sommet de l'exécutif. 


Virginie FAUROUX

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