Astéroïde dévié : "L’impact a eu un résultat qui a dépassé nos attentes"

Propos recueillis par Matthieu DELACHARLERY
Publié le 12 octobre 2022 à 19h35, mis à jour le 13 octobre 2022 à 10h41

Source : JT 13h Semaine

Mardi 11 octobre, la Nasa a annoncé être parvenue à dévier un astéroïde de sa trajectoire.
Fin septembre, le vaisseau de la mission Dart s’était délibérément écrasé contre l’astéroïde Dimorphos.
L’astronome français Patrick Michel, qui dirige le volet européen de ce test grandeur nature, répond à TF1info.

Les dinosaures ont été rayés de la surface de la Terre à la suite de la collision d’un astéroïde, il y a 66 millions d’années. Alors pourquoi pas nous ? S'il n'y a aucune menace imminente, le risque d'un tel cataclysme, bien que très faible dans l’absolu, est bien réel. Et nécessite de s’y préparer. C’est justement tout l’enjeu de la mission Dart, qui doit permettre à l’humanité d’apprendre à se protéger d’une éventuelle menace future.

Fin septembre, à 11 millions de kilomètres de la Terre, un vaisseau de la Nasa a percuté l’astéroïde Dimorphos dans le but de dévier sa trajectoire. Les dernières observations montrent que le vaisseau "kamikaze" de la Nasa est bel et bien parvenu à déplacer l’objet en réduisant son orbite de 32 minutes, a annoncé, mardi 12 octobre au soir, la Nasa lors d’une conférence de presse.

Pour en savoir plus, la rédaction de TF1info a contacté l’astronome français Patrick Michel, directeur de la mission européenne Hera, le second volet de cette mission test inédite, dont le lancement est prévu pour 2024. 

Au-delà de la prouesse technologique, en quoi ce succès est-il important ?

Nous avons montré que l’humanité était capable, non seulement, d’atteindre un objet dont ne connaît que la taille, à 11 millions de kilomètres de nous, et à dévier sa trajectoire. C’est assez incroyable. La mission Dart est un succès pour trois raisons. D’abord, on a montré que cette technique d’impacteur cinétique, nous étions capables de la mettre en œuvre. Ensuite, que l’impact avait donné un résultat qui a même dépassé nos attentes. Et enfin, notre capacité à nous organiser de façon internationale, pour mener à bien une campagne d’information qui a permis d’aboutir à cette mesure en moins de deux semaines. 

Ces résultats sont-ils de bon augure en vue du lancement de la mission européenne Hera, dont l’objectif sera de mesurer précisément la déviation ? 

Si tout va bien, en 2027, un vaisseau de l’Agence spatiale européenne va mener des investigations sur l’astéroïde Dimorphos. Concrètement, Hera aura pour mission de sonder la structure interne de l’objet avec un radar, de mesurer la taille du cratère d’impact et d’étudier toutes les propriétés géologiques. L’objectif, c’est de comprendre ce qu’il s’est passé au moment de l’impact, ce qui a pu influencer les résultats, et de mesurer avec précision la déviation, de manière à être en mesure d’extrapoler ce test à d’autres scénarios.

Il n’y a aucun astéroïde qui nous menace directement, tout du moins pour le prochain siècle
Patrick Michel, astronome

C’est "un moment décisif pour la défense planétaire, et un moment décisif pour l'humanité", a déclaré mardi l’administrateur de la Nasa, Bill Nelson. Vous partagez cet avis ?

L’objectif des missions Dart et Hera est de fournir aux prochaines générations qui, on le sait, un jour en auront besoin, un plan validé, robuste et coordonné. Pour que le jour où ce risque se concrétisera, ils n’aient pas à improviser. Pour l’instant, il n’y a pas de raisons de s’en préoccuper. En revanche, il y a de bonnes raisons de s’en occuper. D’autant qu’on a un énorme avantage, c’est qu’on a les moyens de le prédire et de le prévenir avec justement des solutions qu’on est en train de mettre en œuvre et qui sont raisonnables. Les futures générations nous en voudraient de pas avoir fait le job alors qu’on pouvait le faire. 

À vous écouter, la menace est bien réelle, à combien l’évaluez-vous ?

Aujourd’hui, on connaît plus de 90% des objets de plus de 1 km, qui est le seuil à partir duquel une catastrophe à l’échelle du globe pourrait être envisagée. Il n’y en a aucun qui nous menace directement, au moins pour le prochain siècle. Leur fréquence d’impact, c’est tous les 500.000 ans en moyenne. L’incertitude, c’est pour les objets de l’ordre de 140 mètres de large, qui est le seuil de catastrophe à l’échelle d’une région, comme Dimorphos. On en connaît environ 40%. Leur fréquence d’impact est relativement faible, c’est tous les 10.000 ans en moyenne. Mais le risque n’est pas nul, cela vaut quand même le coup d’en faire l’inventaire. La Nasa prévoit justement d’envoyer un télescope spatial, nommé NEO Surveyor, qui fera le job en dix ans. Normalement, d’ici à 2040, nous aurons une bonne connaissance du risque et la possibilité.

D’autres méthodes pour neutraliser un astéroïde qui nous menacerait sont-elles imaginables ?

Il y a différentes pistes à l’étude. Certaines sont un peu farfelues, comme peindre une face en blanc et laisser les rayons solaires pousser l'objet ou bien encore, accrocher une voile solaire à l’objet. Celle qui me paraît la plus sérieuse, c’est la technique du tracteur gravitationnel. Cela consisterait à utiliser la masse d’un satellite pour attirer l’astéroïde vers lui et ainsi le dévier. Et ça, c’est la simple loi de Newton. On n’a pas besoin de toucher l’astéroïde. Ce ne serait efficace que sur des petits objets. De plus, cela prend du temps. L’impact cinétique me semble la technique qui nécessite le moins d’hypothèses sur l’objet, hormis sa structure. 

Imaginons maintenant que l'humanité soit confrontée à un objet de grande taille et qu'il soit détecté trop tardivement, quelles options nous resteraient-ils ?

En tout dernier recours, on pourrait utiliser la bombe nucléaire. La déflagration produirait une déviation suffisante. Mais c’est interdit par les traités internationaux. Et même pour un test, on ne peut pas mettre d’arme dans l’espace. Il faudrait que le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (Onu) se réunisse pour lever l’interdiction et, en attendant, l’objet nous tomberait dessus. C’est justement ça qu’on essaye d’éviter. Tous ces efforts ont pour objectif d’anticiper bien à l’avance, de telle manière que, soit un impact cinétique soit un tracteur gravitationnel, puissent faire le job si cela est nécessaire.


Propos recueillis par Matthieu DELACHARLERY

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