"Maintenant, c'est une histoire d'amour de fou ou rien" : face à la crise, les célibataires se révèlent à eux-mêmes

par Antoine RONDEL
Publié le 14 février 2021 à 11h10

Source : JT 20h Semaine

POUR VIVRE HEUREUX... - Par choix ou par défaut, 18 millions de Français sont célibataires. Une situation que la crise sanitaire et les impératifs de distanciation qu'elle porte avec elle n'a pas rendue évidente à vivre... quoique. Alors que les amoureux du monde entier célèbrent la Saint-Valentin, ce 14 février, on a demandé à cinq célibataires comment ils vivaient cette période.

Ils ont connu le célibat avec les confinements successifs. À moins qu'ils ne l'expérimentaient déjà depuis des semaines, des mois, des années. Ils font partie d'une cohorte de 18 millions de personnes connaissant cette situation en France, quand 10 millions vivent seules. "Ah, j'avais bien hâte qu'on en parle !" Au téléphone, Marie est bavarde. Beaucoup de choses à dire, à partager. "Même un mec en taule a plus d'activité sociale que moi", plaisante-t-elle. Une colère, un désarroi, aussi. 

Cette trentenaire de la banlieue parisienne arrive au bout d'une année de célibat, après une rupture "non choisie". Ce n'est pas tant que le célibat lui pèse. "Je n'ai pas de souci à vivre seule, je n'ai quasiment jamais connu autre chose de ma vie d'adulte." Elle ne peut pas dire non plus que sa précédente expérience de couple lui donne des regrets à l'idée de passer le confinement sans un conjoint avec qui se réveiller : "Je m'imagine confinée avec mon ex : ça se serait terminé comme un film gore" tant ce dernier rechignait à faire les tâches ménagères.

Doudous improvisés et discussions sur Tinder désastreuses

Le problème que ressasse Marie, c'est qu'elle veut des enfants. À 36 ans, le temps presse, d'autant qu'elle n'entend pas mener ce projet seule ni avoir recours à la procréation médicalement assistée. "Si je le fais, c'est à deux, en m'étant mariée auparavant", dit-elle, dépitée par certaines interventions sur la PMA à l'Assemblée que son activité professionnelle l'amène à suivre. "Des gens qui disent qu'après 30 ans, les femmes sont bonnes à jeter à la poubelle", résume-t-elle. Le projet de maternité a été mis à mal par les confinements successifs, les couvre-feux de plus en plus restreints, la mise à l'arrêt des lieux d'interactions sociales. Le premier confinement terminé, l'été est arrivé. Marie a tenté de rattraper le temps perdu - malicieuse, elle ajoute : "à avoir une vie de jeune fille, pour citer un auteur connu". Sans rencontre amoureuse à la clé, l'automne est revenu, et avec lui, le confinement, où sa vie est absorbée par le travail... et c'est tout. "Je fais mes rencontres quand, au juste ? Ma vie, mon travail, m'amènent à travailler tard, le soir et le week-end. Et non, je n'ai pas envie de faire des promenades avec le premier mec venu." Elle conclut, une pointe de ressentiment dans la voix, "J'ai perdu un an de ma vie".

800 kilomètres plus au Sud, à Marseille, Marion, 32 ans, au chômage, étrenne sa vie de célibataire sans regret. "Je n'ai pas envie d'avoir d'enfant, ça m'enlève une pression", reconnaît-elle. "Ça fait cinq ans, maintenant, je maîtrise." Le confinement a bien réveillé chez elle des désirs de tendresse, d'intimité partagée. "Dormir seule, ne pas sentir quelqu'un à mes côtés, ça devient pesant. J'ai été privée de toucher, d'une main posée sur l'épaule". Devant ce manque, elle se débrouille pour combler ce qui peut l'être. "Je me suis bricolé un traversin avec un sweatshirt gris à capuche. C'est comme un doudou, mon lit est un peu moins vide", sourit-elle. 

Les applications de rencontre deviennent tentantes. Selon l'Ifop, un Français sur trois en a utilisé une depuis le premier confinement. Sans nécessairement y trouver satisfaction. Guirec n'a pas aimé ces conversations "qui ne vont pas très loin, sans bienveillance. Mon premier confinement s'est bien passé, parce que je parlais du matin au soir avec la même personne. Mais là, j'avais zéro réponse en face, alors j'ai décidé d'arrêter de me faire du mal". Malgré deux dernières expériences sexuelles "minables", Marion a retenté sa chance : "Il y avait cette espèce d'injonction à la coucherie permanente, des mecs me demandaient si je serais assez 'brave' pour rompre le couvre-feu avec eux, alors que je ne le fais déjà pas pour faire des apéros avec mes copines". Marie a bien entamé quelques conversations sur Tinder... pour un résultat assez désastreux : "L'un m'avait donné suffisamment d'indices pour que je découvre qu'il était marié, avec trois gosses. Un autre m'avait proposé un plan hardcore avec un pote." 

"Célibataire au pire moment"

La solution est-elle d'apprendre à se suffire à soi-même ? Une gageure, surtout quand on a le cœur lourd d'une rupture récente. Arthur, étudiant à Toulouse, a mis longtemps à surmonter cet épisode où son "univers s'est effondré" après une histoire de deux ans et demi. D'abord à l'usine, dans sa région natale  : "Je me suis occupé l'esprit, malgré l'atmosphère du monde, autour du 16 mars, où tu ne sors que pour acheter des clopes et faire les courses". Puis est venue en septembre son installation à Toulouse, en reprise d'études. Et, de nouveau, le confinement, les études à domicile, et "ce foutu mur blanc tous les jours devant [lui] dans [sa] chambre". Là encore, il rumine, se repasse l'histoire en boucle et ne voit que le vide laissé par son ex : "Dans mon entourage, personne n'était capable de me lire comme elle". Alors, il s'est renfermé sur lui-même : "J'ai un peu organisé mon suicide social". 

Baisse de moral, isolement, idées noires... si les fins de couple, arrivées avant ou pendant le confinement, ont un aspect libérateur, elles ont aussi des conséquences négatives sur l'état psychologique, et même physique. Catherine, la cinquantaine habituée aux périodes de célibat successives, en témoigne. Après cinq ans d'une "très belle histoire", la crise sanitaire disperse tout sur son passage. "Je me suis retrouvée célibataire, au pire moment. Il composait beaucoup pour me plaire, et il n'a pas su poursuivre ses efforts avec le confinement. Il a disparu du jour au lendemain." Les plans qui s'effondrent. Le portable qui devient silencieux. La perspective des soirées passées l'un chez l'autre qui s'évanouit. "Ça m'a rendue malade d'une façon inouïe. Ce n'était pas tant sa présence physique qui me manquait, mais son soutien, même à distance. J'ai perdu les heures d'échanges, la connivence intellectuelle, la confiance que j'avais en lui. C'est ça qui me caresse de l'intérieur". Cette perte s'est traduite par une souffrance encore mal connue : le syndrome du cœur brisé, dont les cas ont quadruplé avec la pandémie, avec des effets physiques. Des douleurs thoraciques, un souffle qui s'altère, et l'organe cardiaque qui se rétracte. Catherine a mis un an à s'en remettre, avec des passages à l'hôpital

Comment les Français vivent-ils le reconfinement ?Source : 24H PUJADAS, L'info en questions

J'ai perdu un an de ma vie
Marie, 36 ans

Aujourd'hui, elle se retrouve face à deux options : "Soit j'attends que l'orage passe, soit j'apprends à danser sous la pluie" et retrouver les ressources qui la rangeaient dans le camp "des célibataires heureuses". Alors elle écrit, elle lit et voit le verre à moitié plein, se rassurant de rester chez elle. "Un côté hygiéniste" où elle "prenai[t] le contrôle", seule responsable d'une éventuelle contamination au Covid-19. Pas évident pour tout le monde : Marie, elle, vit avec la sensation "d'avoir perdu un an de [sa] vie.". "On n'a parlé que de la solitude des vieux, des difficultés traversées par les parents... Mais eux, ils ont ce que je n'ai pas : un couple, des enfants. Pour les gens seuls aussi, ça a été dur." Une amertume que cette consultante teinte de fatalisme : "Je ne vois pas ce qu'un gouvernement peut faire pour favoriser les rencontres amoureuses". 

Faute de pouvoir en vouloir à quelqu'un, les autres regardent l'avenir avec de l'exigence, malgré les angoisses, le temps qui presse et le manque de contact physique. Pas question de se mettre en couple pour être en couple, une perspective qui "terrifie" Marion. "Maintenant, c'est une histoire d'amour de fou ou rien du tout", pose celle qui s'imagine bien déménager à la campagne poursuivre sa vie "avec un chat ou des amies". Pareil pour Guirec : "Je travaille sur moi, je fais du sport, j'écris en attendant un avenir radieux. C'est le bon moment pour m'améliorer en tant que personne". Arthur a redécouvert "le plaisir de juste dormir à côté d'une fille et les papillons dans le ventre". "Alors je vis pour moi. Pas de précipitation pour rencontre qui que ce soit". Catherine, enfin, se projette seule : "Je n'ai pas besoin d'un homme pour me sécuriser". Cette idée d'être bien avec soi-même, avant de penser à être avec un ou une autre fait son chemin. Fin 2020, une étude de l'Ined indiquait que 46% des femmes et 34% des hommes célibataires l'étaient par choix. 


Antoine RONDEL

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