César 2024 : le cinéma français fait-il enfin son #MeToo ?

Publié le 23 février 2024 à 8h30, mis à jour le 24 février 2024 à 9h53

Source : Bonjour !

La 49ᵉ cérémonie des César se tiendra ce vendredi soir en pleine tempête médiatique suite aux accusations de Judith Godrèche contre Benoît Jacquot et Jacques Doillon.
La comédienne, qui a déposé plainte contre ces deux cinéastes respectés, pourrait prendre la parole à l’Olympia.
Longtemps sur la défensive, le cinéma français semble enfin prendre la mesure des violences faites aux femmes sur les plateaux et en dehors.

Le cinéma français va-t-il laver son linge sale en famille ? L’Olympia accueille la 49ᵉ cérémonie des César dans un climat brûlant suite aux accusations de la comédienne Judith Godrèche contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon. Trois ans après le coup d’éclat d’Adèle Haenel, quittant son siège pour protester contre les récompenses attribuées à Roman Polanski, la profession semble enfin prendre la mesure du mouvement #MeToo, né aux Etats-Unis en 2017 suite à l’affaire Weinstein.

On se rappelle qu’à la veille de la précédente édition des César, le jeune comédien Sofiane Bennacer avait été évincé de la liste des révélations masculines suite à des accusations de viols et de violences conjugales, une affaire toujours aux mains de la justice. Dans l’embarras, l’Académie allait annoncer à la dernière minute qu’en cas de mise en cause dans une affaire de violences impliquant l’un des lauréats, l’intéressé ne serait "pas mis en lumière" sur scène. Un moindre mal.

Une prise de conscience bien tardive

Les César 2023 s’étaient soldés par le triomphe de La Nuit du 12, le film de Dominik Moll inspiré d’un féminicide jamais résolu. Un polar qui mettait en lumière toutes les formes de sexisme au sein de la société française, de la plus banale à la plus monstrueuse. "C’est quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes", déclarait le flic joué par Bastien Bouillon lors d’une scène poignante face à la juge interprétée par Anouk Grinberg.

Un an plus tard, l’actualité a prouvé que le cinéma tricolore ne pouvait pas se passer d’un véritable examen de conscience. Mis en examen pour viol en 2020 suite à une plainte déposée par la jeune comédienne Charlotte Arnould, Gérard Depardieu a régulièrement tourné depuis. Il a fallu la diffusion en novembre dernier d’un reportage de "Complément d’enquête", exhumant des propos sexistes tenus en Corée du Nord par l’acteur en 2018, pour que ses collègues réalisent qu’il y avait là aussi "un truc qui cloche".

Judith Godrèche à contretemps

À l’approche des fêtes de Noël, l’affaire Depardieu a polarisé le cinéma français à coups de tribunes dans la presse– et sans doute pas mal de familles entre la dinde et la bûche. Le Cyrano de Jean-Paul Rappeneau n’était-il qu’un cas isolé, victime de son succès et des excès qui vont avec ? La prise de parole de Judith Godrèche est venue montrer que les "monstres" pouvaient aussi se dissimuler derrière la caméra. Mais là aussi, il a fallu s’y reprendre à plusieurs fois.

Présentée en septembre dernier au Festival de Deauville, la série Icon of French Cinema est diffusée en décembre sur Arte dans un relatif anonymat. Dans les colonnes de Elle, l'actrice et réalisatrice Judith Godrèche avoue pourtant s’être inspirée de son expérience douloureuse avec des cinéastes plus âgés au début de sa carrière pour écrire son héroïne. Si elle tait les noms des hommes en question, l’article remplit les blancs en citant Benoît Jacquot et Jacques Doillon. Mais personne ne réagit.

C’est finalement grâce aux réseaux sociaux que tout s’enflamme. Début janvier dernier, un internaute diffuse sur X un extrait d’un documentaire de Gérard Miller de 2011 dans lequel Benoît Jacquot se gausse d’avoir eu des rapports sexuels avec Judith Godrèche lorsqu’elle était mineure. "Faire du cinéma est une sorte de couverture", avoue-t-il même au psychanalyste qui sera lui-même accusé de viols et d’agressions sexuelles par une quarantaine de femmes. On appelle ça le karma.

Écœurée en redécouvrant ces images qu’elle avait effacées de sa mémoire, Judith Godrèche ose enfin écrire le nom de Benoît Jacquot. Dans un message posté sur Instagram, elle affirme avoir été sous "l'emprise" de l'adulte qui a partagé sa vie de l'âge de 14 à 20 ans. Elle avoue également sa crainte de plus jamais travailler suite à ses propos à l'égard d'un cinéaste qui fait encore travailler les plus grands, de Vincent Lindon à Isabelle Huppert en passant par Guillaume Canet et Charlotte Gainsbourg, vedettes de son prochain film.

La nouvelle génération à la rescousse

Dans la foulée, Judith Godrèche dénonce sur France Inter des faits graves qu’aurait commis Jacques Doillon en marge et sur le plateau de La Fille de 15 ans, à la même époque. Puis le 6 février, la comédienne finit par déposer plainte contre les deux hommes qui ont immortalisé - et volé ? - sa jeunesse sur pellicule. En attendant les suites judiciaires d’un dossier complexe au regard de la prescription, elle pourrait prendre la parole ce vendredi soir à l’Olympia face à une communauté qui ne peut plus faire semblant qu’elle ne savait pas.

Si une partie du cinéma français peine encore à affronter son passé, la nouvelle génération est en train d'écrire un avenir où les femmes auront chaque jour un peu plus le contrôle de leur destin. On pense aux coordinateurs d’intimité et aux référents harcèlement qui se multiplient sur les plateaux. Et puis tout simplement à la montée en puissances des femmes derrière la caméra comme le montre la liste des nommés aux César 2024.

Figurez-vous que pour la première fois en près d’un demi-siècle, il y a plus que de femmes que d’hommes dans la catégorie meilleure réalisation. Justine Triet pour Anatomie d’une chute, Jeanne Herry pour Je verrai toujours vos visages et la doyenne Catherine Breillat pour L’Été dernier : l’une d’entre elles deviendra peut-être la deuxième lauréate de l’Histoire après Toni Marshall, récompensée pour Vénus Beauté (Institut) en 2000. Presque une éternité. 

En regardant de plus près la liste des nominations, on s’aperçoit qu’il y a quatre réalisatrices sur cinq dans la catégorie meilleur documentaire. Et 100% de femmes dans la catégorie meilleure adaptation : Valérie Donzelli et Audrey Diwan pour L’Amour et les forêts, Catherine Breillat pour L’Été dernier et…Vanessa Filho pour Le Consentement, d’après le récit de Vanessa Springora qui a donné du courage à Judith Godrèche et tant d’autres femmes. Si ce n’est pas un signe…


Jérôme VERMELIN

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