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Des "jobs dating" permettent-ils vraiment de devenir prof en seulement 30 minutes ?

Publié le 9 juin 2022 à 18h29

Source : TF1 Info

Face au manque d'enseignants, certaines académies innovent dans leur recherche de nouveaux candidats.
Des "jobs dating" organisés ces dernières semaines ont été présentés comme une manière de recruter des professeurs en seulement 30 minutes.
Si le concept suscite des réactions mitigées, les processus de recrutement ne se résument pas à ces seuls entretiens.

Dans certaines régions, trouver des enseignants devient de plus en plus délicat. Certaines matières, les maths en particulier, se trouvent encore plus touchées par la pénurie, ce qui se révèle très difficile à gérer au sein de l'Éducation nationale. Dans ce contexte, l'Académie de Versailles, tente d'innover. Face au manque chronique de profs auquel elle est confrontée, elle a décidé d'organiser des "jobs dating". Des entretiens d'une demi-heure environ avec des candidats potentiels, à la manière des "speed dating" conçus pour se faire rencontrer des personnes célibataires dans un temps restreint.

La méthode a suscité de vives réactions, chez les syndicats enseignants notamment, et peut laisser les parents d'élèves quelque peu circonspects. En effet, dans les médias, certains reportages consacrés à cette initiative ont mis en avant la rapidité du processus de recrutement. Un sujet du journal de France 2 a récemment été intitulé "30 minutes pour devenir professeur". Des réactions n'ont pas tardé : "Peut-on réellement imaginer qu'on peut devenir prof après un entretien de 30 minutes ? Quelle insulte pour tous les enseignants qui ont suivi des années de formation. Cela devrait indigner tous les parents", a réagi un internaute, résumant la teneur de multiples messages.

Une étape parmi d'autres du recrutement

Ces "jobs dating" organisés par l'Académie de Versailles visent à recruter des enseignants contractuels, pour une durée d'un an ou moins. Contrairement à leurs collègues, ces derniers ne bénéficient pas d'un statut de fonctionnaire, et peuvent intégrer l'Éducation nationale sans avoir suivi une voie "classique", marquée par l'obtention d'un diplôme spécifique, le Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (Capes). Soulignons au passage que la part de contractuels est en augmentation notable : de 14,5% à 22% entre l'année scolaire 2015-2016 et celle 2020-2021.

Les candidats sont-ils recrutés en seulement 30 minutes ? Est-ce suffisant pour s'assurer de leurs compétences ? Sont-ils ensuite propulsés devant des élèves ? Autant de questions que TF1info a posé aux académies de Créteil et Amiens. D'emblée, toutes deux expliquent n'avoir pas les mêmes besoins ni les mêmes problématiques. Les académies d'Île-de-France, que ce soit Créteil ou Versailles, font face à des besoins plus importants. Il n'est donc pas surprenant que ce soit cette dernière qui ait tenté l'expérience du "job dating". Avec des besoins conséquents, 700 professeurs des écoles et 600 professeurs de collège et lycée recherchés pour la rentrée (2% des effectifs), "il faut qu'on soit assez offensif et attractif", a reconnu la rectrice. 

Si toutes les académies n'organisent pas ces rencontres d'un nouveau genre, il est courant de s'entretenir avec des candidats potentiels. Au préalable, les candidats sont priés de fournir "leurs diplômes, ainsi qu'une lettre de motivation", glisse-t-on du côté de Créteil. De quoi opérer une présélection avant de recevoir les postulants. Ceux-ci sont alors invités à échanger "avec deux représentants de l'Éducation nationale, des inspecteurs essentiellement, ou bien des conseillers".

"Il y a une importance du diplôme détenu, il faut l’avoir en tête", confie-t-on du côté de l'académie d'Amiens, "il s'agit de pouvoir justifier de bases solides dans la discipline concernée". Quand les inspecteurs reçoivent les candidats, "ils les mettent en condition", avec un temps de parole en langue étrangère pour celles et ceux qui souhaiteraient par exemple dispenser des cours d'anglais ou d'allemand. Ou avec des "exercices spécifiques, pour les futurs professeurs de maths notamment". Des entretiens ultérieurs sont généralement prévus lorsque la première rencontre se passe bien, de manière à affiner la sélection.

Ces derniers jours, le représentant d'un syndicat des personnels de l'Éducation nationale laissait entendre que des personnes peu qualifiées pouvaient être recrutées. "Je ne me vois pas devenir vétérinaire ou pilote de chasse en une demi-heure, seulement parce que j'ai un chat ou parce que j'aime bien voyager en avion", raillait-il. Une caricature que les représentants des académies dénoncent. "Il ne suffit pas de regarder en boucle des documentaires historiques pour devenir prof d'histoire", tranche-t-on à Amiens. Si un(e) diplômé(e) des Beaux-Arts sera légitime pour enseigner les arts plastiques, les titulaires d'un diplôme d'ingénieur pourront de leur côté plus facilement prétendre à enseigner la technologie. Pour les personnes en reconversion, certains parcours seront sans doute plus difficile à mettre en avant, même si "l'on observe aussi des besoins en contractuels dans les disciplines professionnelles, en hôtellerie-restauration par exemple. Dans ce cas de figure, mieux vaut avoir une solide expérience dans ces domaines", nous confie-t-on.

Accompagner avant de fidéliser

Lorsque des candidats sont retenus, leur intégration n'est pas encore complète. Dans l'académie de Créteil, on veille à ce que les contractuels qui seront en poste à la rentrée puissent consacrer "la dernière semaine d'août à leur prise de fonction". L'occasion de découvrir leur futur établissement, mais aussi de consacrer du temps à l'assimilation des règles déontologiques ou de neutralité. Est aussi prévu un temps plus axé sur la pédagogie, "sur la manière de conduire une classe", et pour faire plus ample connaissance de ses collègues. 

À Amiens, on met en avant un parcours d’accueil des personnels contractuels, avec une formation de 6 heures obligatoire pour tous. "Quand le prof contractuel arrive dans l’établissement, un enseignant référent est nommé avec lui", pas nécessairement dans la même discipline, nous explique-t-on. Un autre professeur sera également désigné pour assurer une forme de tutorat. Enseignant dans la même discipline, il aura pour mission de proposer un soutien sur le plan pédagogique. Qu'il s'agisse de réfléchir à la façon d'aborder certains aspects du cours ou de réfléchir à des évaluations.

D'une académie à l'autre, les contractuels nouvellement recrutés ne disposent jamais de plus d'une semaine d'accompagnement avant une prise de fonctions. Si cette durée peut apparaître très courte d'un point de vue extérieur, les représentants des académies d'Amiens et Créteil mettent en avant un accompagnement en cours d'année et misent sur le renforcement des liens avec les nouveaux entrants dans la profession. "Notre priorité, c'est de fidéliser les enseignants contractuels, de les amener à passer le concours", insiste-t-on à Créteil. De quoi réduire les besoins futurs et faire progresser la qualité des enseignements, "puisque cela vient récompenser une montée en compétence".

Si le principe des "jobs dating" dans l'Éducation nationale continue de cliver, il convient de souligner que certaines présentations de ces dispositifs se sont révélées caricaturales. Les entretiens d'une trentaine de minutes ne constituent qu'une partie du processus de recrutement, ce dernier s'achevant pour les personnes retenues par une phase de formation et d'accompagnement avant leur prise de poste. Reste à savoir si ces méthodes de recrutement d'un nouveau genre permettront de palier le déficit majeur d'attractivité dont souffre la profession d'enseignant, à cause (entre autres) des niveaux de rémunération encore faibles.

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Thomas DESZPOT

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