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Guerre en Ukraine : comment fonctionne la tentaculaire propagande russe

Publié le 20 février 2023 à 19h25

Source : TF1 Info

Depuis un an, la guerre que mène la Russie à l'Ukraine se joue aussi sur le front de l'information.
Communication lissée, fausses informations et usines à trolls, la machine à propagande est infatigable.
Ce lundi, l'équipe des Vérificateurs revient sur la propagande russe et ses mécanismes.

Il n'y a "pas de faits, rien que des interprétations", écrivait Nietzsche. Une vision philosophique érigée en stratégie politique par Vladimir Poutine. Si bien que, depuis un an, la guerre que mène la Russie à l'Ukraine ne peut toujours pas être décrite comme telle dans le pays de l'envahisseur. Pour marquer le premier anniversaire de l'invasion lancée par Moscou, le 24 février 2022, TF1Info revient ce lundi sur la propagande russe, ses visages et ses rouages.

Trois figures et un discours

La fabrique du mensonge a débuté dès le premier jour du conflit. Le 24 février, le Kremlin lance l'offensive et les médias russes annoncent le début d'une "opération militaire spéciale visant à protéger les républiques populaires de Donetsk et de Louhansk". Un phrasé qui reprend à la perfection l'une des expressions favorites du Kremlin et qui symbolise à lui seul la stratégie du pouvoir politique et médiatique russe. Au fil des mois, les médias vont nier les faits, mentir, ridiculiser les positions occidentales et surtout, aller toujours plus loin. La communication autour de Boutcha n'en est qu'un exemple. Après avoir expliqué que les massacres de civils étaient des mises en scène, la presse pro-Kremlin va moquer les Occidentaux qui croient en cette "machination" avant d'accuser Kiev d'avoir tué sa propre population pour créer ce bain de sang. Idem à propos des motivations derrière le conflit. On parle de nazisme, mais aussi de "guerre contre le satanisme", de "djihad contre le mal absolu" et même d'une guerre orchestrée par les gouvernements occidentaux qui auraient "provoqué, programmé" cette "opération militaire".

Une parole décomplexée, débarrassée de toute preuve factuelle, qui atteint son paroxysme le 9 janvier. Ce soir-là, les téléspectateurs russes vont entendre l'un des propagandistes du Kremlin ouvertement menacer la France d'une "frappe préventive". Si, vue depuis l'Europe, cette parole peut paraître grossière, il ne faut pas s'y méprendre. Ces messages remplissent parfaitement leur objectif. À destination des Russes, ils permettent de rendre acceptable l'inacceptable dans l'imaginaire collectif. "Les idées les plus absurdes et les plus dangereuses sont répétées jusqu'à devenir crédibles", analyse ainsi le journaliste russe Denis Strelkov auprès de TF1Info. "Au début, ça paraît violent, puis c'est juste idiot, puis tout le monde en parle. Et au fur et à mesure des mois, ça devient presque normal."

REPORTAGE - A Boutcha, un an après, l'autopsie d'un crime de guerreSource : TF1 Info

Pour porter ce discours, le Kremlin peut compter sur des relais particulièrement fidèles. Parmi les visages présents sur les différentes antennes, on ne peut passer à côté de celui de Vladimir Soloviev. Véritable porte-voix du chef du Kremlin, l'ex-opposant à Poutine devenu propagandiste en chef est omniprésent. Il anime une émission de débat tous les soirs, un direct sur la radio et publie frénétiquement auprès de ses 1,3 million d'abonnés sur Telegram. D'après un décompte réalisé par la journaliste russe Masha Borzunova, le présentateur a bénéficié de 218 heures d'antenne sur les trois premiers mois du conflit. Son rôle ? Cintré dans sa veste noire, il introduit les mots de Poutine, les répète et finit par les imposer dans le débat public. Quitte à les exagérer. Désormais, le discours du présentateur dépasse largement les menaces à demi-mots du Kremlin. 

Si Vladimir Soloviev a un visage aussi dur que ses mots, Olga Skabajeva cache les siens derrière une apparence de poupée russe. Ce qui lui vaut le surnom de "poupée de fer de Poutine". Rouage indispensable à la communication du Kremlin, elle est une fervente défenseuse de la Russie, qu'elle place comme une grande nation face à un Occident en perdition. Ses coups d'éclats patriotiques, elle les lance quotidiennement dans l'émission Soixante minutes, sur Rossiya-1. Plateau sur lequel elle partage l'affiche avec son mari, Yevgeny Popov, et où elle a notamment proposé de profiter des funérailles de la Reine Elizabeth pour bombarder la Grande-Bretagne. 

Autre visage féminin du petit écran russe, Margarita Simonyan. Officiellement décrite par l'Union européenne comme "une figure centrale de la propagande du gouvernement russe", elle est dans les médias du Kremlin depuis 2001. Sa fidélité à Vladimir Poutine lui vaudra de devenir rédactrice en cheffe de RT quatre ans plus tard. C'est à la tête de ce média, le premier en langue anglaise financé par l'État russe, qu'elle développe sa propre vision des faits. "Il n'y a pas d'objectivité - seulement des approximations autour de la vérité par autant de voix différentes que possible", disait-elle dans une hyperbole visiblement inspirée par Nietzsche. Une tactique de désinformation, ou plutôt de multiplication des informations "alternatives", qui serait "directement sortie du manuel du KGB de Poutine", comme l'analysait le Guardian en mars 2015.

Il n'y a pas d'objectivité, seulement des approximations autour de la vérité
Margarita Simonyan, rédactrice en chef de RT

Autour de ces figures-clés, il y a une constellation d'invités : politologues, experts en tout genre, correspondants qui rencontrent des soldats bien choisis. "Tout ce monde supposé être objectif, contradictoire, vient nourrir le camp de la propagande sur les plateaux télé", selon Denis Strelkov. Idem pour les reportages. Montés sur un rythme très vif avec des éléments assemblés à la suite de manière saccadée, ils ne permettent aucun temps de respiration. Ni de vérification. À l'instar de ce "reportage" sur la crise énergétique en Europe diffusé en décembre dernier. Mélangeant approximations et exagérations d'informations venues du continent, il donnait l'impression que l'Europe entière était en train de plonger dans la misère.

Dans la bouche des propagandistes en chef ou à travers les reportages, cette multitude d'informations alternatives, assénées à longueur d'antenne, finit alors par effacer l'idée même de vérité. Pour Denis Strelkov, "la population pense que la vérité n'est pas accessible".

Un système largement financé

Pour que ces éléments de propagande puissent alimenter les écrans russes à longueur de journée, ils sont nourris par un budget quasi illimité. Les émissions - des talkshows sans contenus - sont très peu coûteuses. Mais les salaires sont pharamineux afin de faire des figures de la propagande de fidèles relais. Vladimir Soloviev en est la meilleure preuve. Depuis son virage à 180° dans les rangs du Kremlin, il fait incontestablement partie de l'oligarchie russe. Le présentateur a plusieurs appartements huppés en plein cœur de Moscou, une maison dans la zone périphérique la plus prisée de la capitale et une villa splendide sur le lac de Côme, en Italie, à quelques pas de la résidence de George Clooney. Cette dernière a toutefois été saisie par les autorités italiennes lors des premières sanctions économiques qui visaient la Russie. Résultat des comptes : dans une enquête réalisée en 2017, l'opposant Alexeï Navalny avait évalué la seule fortune immobilière de Soloviev à un milliard de roubles, soit 12,6 millions d'euros. 

La propagande russe est indubitablement un véritable système, organisé et financé, dont les racines sont profondes. Bien avant le début de la guerre, dès son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine avait compris que l'information était une source clé du pouvoir. Il n'a eu cesse, depuis le début des années 2000, de gagner en influence sur les médias. Si bien qu'au moment de l'annexion de la Crimée en 2014, la machine à contre-vérités était déjà en place. C'est d'ailleurs cette année qu'a choisi Reporters sans frontières (RSF) comme date de décès de la liberté de la presse dans le pays. Désormais, la Russie est classée 155ᵉ sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse établi par l'ONG.

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Felicia SIDERIS

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